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C'est d'ailleurs à propos de l'édit des corvées que s'était livrée la grande bataille. Comme elle était maintenant perdue pour le Parlement, Séguier ne s'opposa, semble-t-il, que pour la forme, aux autres édits. Le roi persistant dans ses décisions, il y avait tout avantage à ne point heurter de front sa volonté. L'avocat général le comprit. Il protesta hautement de la fidélité du Parlement au roi. « C'est avec la douleur la plus amère, dit-il, que nous avons vu Votre Majesté répandre des nuages sur notre fidélité. Il semble que l'on a cherché à la rendre suspecte, et la réponse de Votre Majesté semble l'annoncer. Eh bien! Sire, recevez le serment que nous venons réitérer au pied du trône, de ne consulter jamais que votre gloire et vos intérêts, et c'est cette fidélité même que nous vous jurons de nouveau, qui nous force à requérir » l'enregistrement de la Déclaration. La déclaration fut enregistrée.

III. —Séguier prit ensuite la parole contre l'édit portant suppression des offices sur les halles, quais et ports de la ville de Paris. Il ne pouvait guère s'opposer au fond de l'édit, puisque la suppression de ces offices était décidée en principe depuis 1759. Il se contenta d'en critiquer l'économie financière. Il prétendit (pure invraisemblance) que les droits attachés aux offices, perçus désormais au profit du roi, seraient insuffisants pour acquitter le remboursement de ces offices; il ajouta (flagrante inexactitude) que les droits devaient cesser d'être perçus avant que le remboursement des offices ne fût effectué; il déclara que la liquidation des offices supprimés augmenterait la dette de 65,000,000, comme si les fonds destinés au remboursement constituaient une charge nouvelle pour l'État. Il s'apitoya enfin sur le sort des titulaires des offices supprimés, sous prétexte qu'une partie seulement de leur finance serait remboursée en argent, et que le reste le serait en contrats; - oubliant de dire qu'à l'origine les titulaires n'avaient pas payé autrement leur finance à l'État.

IV. — Après l'enregistrement de cet édit, on arriva à celui qui supprimait << les jurandes et les communautés de commerce, d'arts et métiers » (1). Le discours que l'avocat général prononça à cette occasion ne tient pas moins de douze pages d'un bon format. Sa tâche fut lourde en cette longue séance. Nous ne le suivrons pas dans le détail de cette harangue dont plusieurs arguments sont déjà connus. Il nous suffira de signaler quelques-uns des développements qu'elle contient.

Séguier est l'ennemi de la liberté. C'est pourquoi il débute par une précaution oratoire en l'honneur de la liberté. « La liberté est le principe de toutes les actions; elle est l'âme de tous les états; elle est

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principalement la vie et le premier mobile du commerce. » Turgot n'eût pas mieux dit. Mais Séguier s'empresse d'apporter une restriction à cette sentence. « Par cette expression [de liberté], si commune aujourd'hui, et qu'on a fait retentir d'une extrémité du royaume à l'autre, il ne faut point entendre une liberté indéfinie, qui ne connaît d'autres lois que ses caprices, qui n'admet d'autres règles que celles qu'elle se fait à elle-même. Ce genre de liberté n'est autre chose qu'une véritable indépendance; cette liberté se changerait bientôt en licence...; il n'y a, dans un État policé, de liberté réelle, il ne peut y en avoir d'autres que celle qui existe sous l'autorité de la loi. » Ces phrases vagues, justes dans leur généralité, mais qui se prêtent dans l'application et le détail aux interprétations les plus contradictoires, servent d'exorde au discours de Séguier. Il s'efforce ensuite de démontrer que la liberté d'industrie et de commerce mènerait bientôt << à l'anéantissement total... des arts... et du commerce », que les corporations, qui enchaînent cette liberté, sont indispensables au maintien de l'ordre et de la sécurité publique. « La loi, dit-il, a érigé des communautés, a établi des règlements, parce que l'indépendance est un vice dans la constitution politique, parce que l'homme est toujours tenté d'abuser de la liberté. » On voit quelles conclusions libérales Séguier tire de ses premières déclarations. Il énumère donc les abus et les maux de toute sorte qu'entraînerait la suppression des corporations. «Chaque fabricant, chaque artiste, chaque ouvrier se regardera comme un être isolé, dépendant de lui seul, et libre de donner dans tous les écarts d'une imagination souvent déréglée; toute subordination sera détruite; il n'y aura plus ni poids ni mesure; la soif du gain animera tous les ateliers... La liberté indéfinie fera évanouir cette perfection [de nos produits] qui est la seule cause de la préférence que nous avons obtenue; cette foule d'artistes et d'artisans de toutes professions dont le commerce va se trouver surchargé, loin d'augmenter nos richesses, diminuera peut-être tout à coup le tribut des deux mondes... Le commerce deviendra languissant, et la France perdra une source de richesses que ses rivaux cherchent depuis longtemps à détourner... Les meilleurs ouvriers... ne tarderont pas à s'éloigner de la capitale... L'effet le plus sûr d'une liberté indéfinie sera de confondre tous les talents et de les anéantir par la médiocrité du salaire... La diminution du gain occasionnera une multitude de faillites. Le fabricant n'osera plus se fier à celui qui vend au détail... [La] crainte arrêtera toutes les opérations de crédit... La facilité de se soutenir dans les grandes villes avec le plus petit commerce fera déserter les campagnes... Cette surabondance de consommateurs fera renchérir les denrées... toute police sera détruite... et la multitude, que rien ne pourra contenir, causera les plus grands désordres. »

Que pensa Louis XVI, en voyant se dérouler à ses yeux les conséquences terribles de la liberté du travail? Qui veut trop prouver ne prouve rien. « Nous craignons, Sire, dit Séguier lui-même, de charger le tableau, et nous nous arrêtons pour ne point alarmer le cœur sensible de Votre Majesté. » C'est peu de dire que le tableau était chargé. Mais comme personne ne conteste plus aujourd'hui les effets bienfaisants de la liberté du travail, on nous permettra de ne pas insister sur ce point.

Nous n'en finirions pas d'ailleurs, si nous voulions relever les erreurs ou les traits de mauvaise rhétorique dont fourmille cette harangue. Séguier ne va-t-il pas jusqu'à dire que « donner à tous indistinctement la faculté de tenir magasin et d'ouvrir boutique » c'est commettre « une injustice »? Et il gémit sur le préjudice qui sera porté aux marchands dépouillés du privilége de leur maîtrise, oubliant tous ceux qui, pendant des siècles, se sont vus écartés impitoyablement de la maîtrise et privés du droit d'exercer librement leur métier. Il redoute pour l'État la charge d'acquitter les dettes des communautés, sans faire attention qu'il se contredit plus bas, en réclamant lui-même cette liquidation. Il n'a garde d'ajouter que Turgot avait pourvu d'avance à ce remboursement, en y affectant les droits perçus précédemment par les communautés et qui le seront désormais et jusqu'à nouvel ordre, au profit de l'État.

Il veut bien reconnaître toutefois « qu'il y a des défauts dans la manière dont les communautés existent aujourd'hui ». Il propose de les réformer; il voudrait qu'on en diminuât le nombre. « Qu'est-il nécessaire, par exemple, que les bouquetières fassent un corps assujetti à des règlements? Qu'est-il besoin de statuts pour vendre des fleurs et former un bouquet? La liberté ne doit-elle pas être l'essence de cette profession? Où serait le mal, quand on supprimerait les fruitières? Ne doit-il pas être libre à toute personne de vendre les denrées de toute espèce qui ont toujours formé le premier aliment de l'humanité? » Il ne voit pas que si la liberté est l'essence des professions de bouquetières et de fruitières, il est bien difficile d'admettre qu'elle soit absolument incompatible avec les autres métiers. Il convient encore que plusieurs communautés pourraient être réunies ensemble, que les femmes devraient être admises à la maîtrise dans plusieurs corporations. Il pense que la diminution du nombre des corps d'état serait << un moyen sûr et certain de leur ôter à tous mille prétextes de se ruiner en frais », et que « la liberté s'établirait d'ellemême », si le roi acquittait les dettes des communautés et supprimait tous les frais de réception. Qu'entend-il par cette liberté qui ne serait pas écrite dans les lois et pourtant s'établirait d'elle-même? Liberté illusoire assurément. Séguier savait très bien que la liberté proprement dite était incompatible avec l'existence des corporations même

réduites; sans quoi il n'eût pas prononcé une harangue pour en demander le maintien.

En finissant, il essaya de toucher le cœur de Louis XVI. Il lui rappela l'exemple des rois ses ancêtres, et particulièrement de Henri IV et de Louis XIV. Il lui parla de Sully, de Colbert, qui avaient non seulement maintenu, mais consacré par de nombreux édits l'existence des corporations. Il insista sur Henri IV, « ce roi qui sera toujours les délices des Français, ce roi qui n'était occupé que du bonheur de son peuple, ce roi que Votre Majesté a pris pour modèle. »

L'édit des jurandes n'en fut pas moins enregistré

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V. Séguier ne s'opposa à l'édit portant modération des droits sur les suifs que parce qu'il impliquait la suppression d'une corporation, celle des bouchers. Ce dernier édit fut enregistré également.

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Ainsi finit cette laborieuse séance du lit de justice (1). Le Parlement et le roi se séparèrent également mécontents l'un de l'autre. Quant à la victoire remportée d'autorité par Turgot, elle était de celles qu'avec un roi comme Louis XVI il n'était pas prudent de tenter de nouveau et qu'il était dangereux d'avoir gagnée même une fois.

(1) Procès-verbal du lit de justice. Eur. de T. Ed. Daire, II, 323.

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de Saint-Germain. Mémoire sur la guerre d'Amérique.

(Du 12 mars au 15 avril 1776.)

Nous avions laissé au 12 mars le détail de l'administration de Turgot.

Le 14, parut un édit destiné à consacrer une nouvelle conquête de la liberté commerciale. Les habitants de Saint-Brieuc, Binic et Portérieux, avaient « eu recours aux bontés du roi » pour obtenir la permission d'exporter librement les toiles dites de Bretagne et de commercer directement avec les îles et colonies françaises d'Amérique. Ils représentaient que le port de Saint-Brieuc pouvait recevoir des navires de 3 et 400 tonneaux et qu'il était l'un des plus sûrs de la province; que la ville possédait un siége épiscopal, une juridiction royale, etc.; que le département des classes y fournissait 3,000 hommes de mer; que la liberté du commerce avec les colonies ouvrirait au pays de nouveaux débouchés, faciliterait la consommation, accroîtrait la production, etc. C'étaient là plus de raisons que n'en demandait Turgot. Il était toujours prêt, nous l'avons remarqué plusieurs fois (1), à favoriser, même sous forme d'exception et de priviléges, l'accroissement des libertés partielles, espérant qu'elles arriveraient à se confondre un jour avec la liberté générale et de droit commun. Il s'empressa donc d'accorder à Saint-Brieuc et aux deux petits ports qui en sont voisins, l'autorisation qu'ils réclamaient (*).

Le 15, un arrêt compléta les lettres-patentes du 25 décembre 1775 qui avaient supprimé les droits sur les étoffes en passe-debout à Paris. Un article de ces lettres-patentes maintenait pour l'expéditeur l'obligation de faire passer ses ballots par la halle aux draps où les gardes des marchands drapiers et merciers devaient les remettre eux-mêmes aux voitures publiques, d'ailleurs sans autre frais que le salaire des porteurs. Mais il n'y avait pas seulement une halle aux draps; il y avait aussi à Paris une halle aux toiles. Pour éviter sans doute tout conflit d'attributions et toute contestation, Turgot réunit la halle aux toiles à la halle aux draps (").

(1) Voir notamment liv. II, ch. xvi, p. 342, mème liberté accordée au port de Rochefort.

Anc. 1. fr., XXIII, 433. (3) Id., 435.

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