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former et à renouveler, des rôles, des receveurs, des collecteurs, des sergents et des comptes très étendus; tantôt le droit, la quotité ou la manière de payer sont contestés; tantôt la mouvance est prétendue par d'autres seigneurs; les énormes procès qu'engendrent les contestations, passant de père en fils, dévorent les seigneurs, les vassaux et les terres où ils se sont élevés. » Le seigneur lui-même a donc intérêt à l'abolition des droits féodaux.

Mais, dira-t-on, le domaine royal est inaliénable. Comment supprimer les droits qui font partie du domaine royal? Boncerf réfute cette objection. Il prouve que cette inaliénabilité est un fantôme. La servitude des personnes aussi était jadis un droit du domaine, et pourtant elle a disparu. Il serait, d'ailleurs, facile de faire tourner au profit du domaine le rachat des droits féodaux relevant de la couronne. Les vassaux se rédimeraient de tous cens et servitudes moyennant le capital au denier 30 ou 40, et les sommes reçues pour cette libération seraient employées à l'acquisition des forêts et autres fonds, par forme de remplacement pour le domaine, ou à l'acquittement des charges les plus onéreuses de l'État... »

On peut soutenir, en outre (continue Boncerf), cette opinion très fondée que le domaine s'est tellement appauvri depuis des siècles que le revenu s'en réduit presque à rien; l'État n'a pas grand'chose à perdre, en admettant même qu'il y perde, à cette transformation de ses revenus. Que le roi prêche donc d'exemple! qu'il autorise le rachat des droits féodaux dépendant de ses fiefs! qu'il amène ensuite peu à peu les seigneurs à l'imiter! Cette révolution peut être progressive et insensible. Il suffirait de permettre aux vassaux actuels de racheter leurs terres, sans les y contraindre. Leur vie durant, cette mesure serait facultative: elle ne deviendrait obligatoire que pour leurs héritiers.

Boncerf terminait en énumérant les avantages de la réforme qu'il proposait. Le nombre des procès diminuerait; l'agriculture serait affranchie; les propriétaires reviendraient habiter leurs terres; on n'aurait plus à craindre la désertion des campagnes, etc.

Cette inspection rapide du livre de Boncerf suffit à prouver qu'il ne méritait point l'indignation ampoulée de l'avocat général du Parlement. Le commis de Turgot était comme lui un novateur juste et sage. Il ne rêvait ni le désordre ni la subversion de la société. Il voulait abolir des priviléges qui avaient fait leur temps, en indemnisant ceux qui en jouissaient encore. Il était digne de convaincre le Parlement qui le frappait aveuglément, si le Parlement avait pu, avait voulu se laisser convaincre; mais un sort plus haut lui était réservé quinze ans plus tard il inspira à la Constituante les décrets de la nuit du 4 août.

CHAPITRE IX

Les Remontrances du Parlement aux Édits.

(4 mars 1776.)

Le 2 mars, le Parlement se réunit, toutes chambres assemblées. Le prince de Conti assistait à la séance. Le premier président (1) annonça que les commissaires chargés de rédiger les remontrances avaient terminé leur travail, et il en fit aussitôt donner lecture. Le texte mis en délibération ayant été approuvé, on décida qu'une députation du Parlement serait envoyée à Versailles, afin de porter les remontrances au roi, et de savoir quel jour et à quelle heure il lui plairait de les recevoir solennellement, suivant le rit accoutumé (1). Cette députation fut introduite à Versailles par Malesherbes, le 4 mars (3). Elle remit le texte des remontrances, mais ne fut point admise auprès du roi (*).

Le 7, une seconde députation alla s'informer des intentions royales. « J'ai examiné avec grande attention, lui dit Louis XVI, les remontrances de mon Parlement; elles ne contiennent rien qui n'ait été prévu et mûrement réfléchi ("). » Et il ne s'expliqua point autrement.

Le 8, cette réponse ayant été lue aux chambres assemblées, le Parlement prit un arrêté ainsi conçu : « Représenter à S. M. que son Parlement est pénétré de douleur de ce que sa fidélité et son attachement au roi et au bien de son service le forcent de dresser de très respectueuses itératives remontrances, qu'il sera supplié de vouloir bien examiner lui-même, d'après les vues d'humanité, de bienfaisance et de justice qui règnent dans son cœur (). » Ainsi le Parlement s'appropriait les expressions mêmes chères à Turgot, pour les retourner contre ses édits. Mais ce n'est pas toujours parler la même langue que se servir des mêmes mots.

On devine l'impatience du public, pendant toutes ces lenteurs et tous ces pourparlers. Voltaire n'était point des derniers à désirer un prompt dénouement, à vouloir connaître « l'événement de la querelle

(1) D'Aligre.

(2) Vignon, III, 139.

(3) Merc. fr., avril 1776.

(4) Vignon. III. 139.
(5) Corr. Métr., 11, 419.
(6) Id., 420.

entre M. Turgot et le Parlement ». Demandant des nouvelles à d'Argental, « Je vous avoue, disait-il, que je suis entièrement pour M. Turgot, parce que ses vues sont humaines et patriotiques. Il est réellement le père du peuple, et le Parlement veut le paraître (1). » Il écrivait aussi à Marmontel : « J'entends dire que dans Paris tout est faction, frivolité et méchanceté... Il faut espérer que Sésostris dissipera toutes ces cabales affreuses qui persécutent l'innocence et la vertu. Ce sage Égyptien doit écarter les crocodiles. J'apprends que vous en avez un très grand nombre sur les bords de la Seine... (2). » En même temps, comme réplique au Parlement qui avait naguère condamné sa diatribe, il lançait contre lui une violente satire anonyme sous le titre de: Lettre d'un grand inquisiteur de Goa à celui de la Chine (3).

Mais revenons aux remontrances (). Bien que datées du 4 mars, elles ne furent arrêtées définitivement qu'après le refus du roi de les recevoir. L'exorde en est ingénieux. Le Parlement affecte de redouter les effets de l'extrême bonté du roi : « Sire, dit-il, le désir de soulager le peuple est trop digne d'éloges dans un souverain, il est trop conforme aux souhaits de votre Parlement, pour qu'il conçoive jamais la pensée de détourner Votre Majesté d'un but si noble et si légitime. Mais lorsque des projets qui présentent cette perspective flatteuse conduisent à des injustices réelles et multipliées, mettent en péril la constitution et la tranquillité de l'État, il est de notre fidélité, sans chercher à mettre obstacle au cours de vos bienfaits, d'opposer la barrière des lois aux efforts imprudents qu'on hasarde pour engager Votre Majesté, dans une route dont on lui a dissimulé les écueils et les dangers. »

Le Parlement entre alors en matières. Il déclare avoir enregistré le seul édit qui offre quelque utilité, la suppression de la caisse de Poissy. Il n'a pas enregistré les autres, et notamment la suppression de la corvée, parce que, selon lui, cette suppression blesse la justice. << La première règle de la justice est de conserver à chacun ce qui lui appartient: règle fondamentale du droit naturel, du droit des gens et du gouvernement civil; règle qui ne consiste pas seulement à maintenir les droits de propriété, mais encore à conserver ceux qui sont attachés à la personne, et qui naissent des prérogatives de la naissance et de l'état. »

Ce raisonnement appartient, ce nous semble,' à un genre de sophisme bien connu dans l'École, et consistant à considérer comme démontré ce qu'il s'agit de démontrer. Mais laissons s'expliquer le Parlement. «< De cette règle de droit et d'équité, il suit que tout

(1) Volt. à d'Argent., 6 mars 1776. Volt. à Marm., 8 mars 1776.

(3) Corr. Métr., II. 413.
(4) Vignon, III, 145.

système qui, sous une apparence d'humanité et de bienfaisance, tendrait, dans une monarchie bien ordonnée, à établir entre les hommes une égalité de devoirs et à détruire ces distinctions nécessaires, amènerait bientôt le désordre, suite inévitable de l'égalité absolue, et produirait le renversement de la société civile, dont l'harmonie ne se maintient que par cette gradation de pouvoirs, d'autorités, de prééminences et de distinctions qui tient chacun à sa place, et garantit tous les états de la confusion. »

Désordre, renversement, ce sont là de bien fortes expressions pour une affaire en somme médiocre, puisqu'il s'agissait uniquement de savoir si les privilégiés paieraient ou ne paieraient pas leur part de la contribution remplaçant les corvées. Poursuivons. Voici de quelles hautes considérations le Parlement étayait ces grands mots : « Cet ordre, dit-il (celui qui consiste à maintenir les priviléges), ne tient pas seulement à la politique de tout bon gouvernement; il a pris sa source dans les institutions divines; la Sagesse infinie et immuable fit entrer dans le plan de l'univers une dispensation inégale de force et de génie, dont le résultat ne peut manquer d'être dans l'ordre civil une inégalité dans les conditions des hommes. C'est cette loi de l'univers qui, malgré les efforts de l'esprit humain, se maintient dans chaque empire, et y entretient à son tour l'ordre qui le fait subsister. Quels ne sont donc point les dangers d'un projet produit par un système inadmissible d'égalité, dont le premier effet est de confondre tous les ordres de l'État, en leur imposant le joug uniforme de l'impôt territorial? »

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Prêter à son adversaire des opinions qu'il n'a pas, afin de le réfuter plus aisément, est un autre genre de sophisme. Turgot (est-il besoin de le démontrer?) ne songeait nullement à réformer les lois générales qui régissent le monde et font entre les hommes « une dispensation inégale de force et de génie ». Il ne songeait pas davantage à supprimer «<l'inégalité dans les conditions ». Il voulait simplement soumettre les privilégiés à l'impôt. L'égalité devant l'impôt, qui est une des formes de l'égalité politique, et l'égalité des conditions sont deux choses que chacun sait très différentes, et que le Parlement s'efforçait de confondre. Le système d'égalité dont Turgot était réellement partisan n'était donc pas «< inadmissible ». On peut même croire qu'il était l'unique salut possible de la monarchie, si la monarchie avait pu être sauvée.

Mais qu'importe? A dire vrai, le Parlement ne songeait pas à raisonner juste. Les arguments qu'il invoque contre Turgot ne sont que déclarations banales et sans valeur, assertions inexactes, phrases creuses et déclamatoires. A l'en croire, l'impôt qui doit remplacer les corvées a été depuis longtemps proscrit par les hommes d'État les plus éclairés. Lesquels? Il n'a garde de les nommer. Il n'a de

confiance qu'en ses propres lumières, ne craint pas de faire la leçon au roi. « Le Ciel, Sire, vous a donné toutes les vertus qui doivent faire un grand roi; mais il est des choses que l'expérience seule apprend aux souverains... » Cette expérience faisant défaut à Louis XVI, le Parlement s'efforce d'y suppléer par ses conseils. Il invoque la mémoire, le témoignage de Maurepas. Il rappelle qu'en 1725 on fit un premier essai d'un impôt universel, le cinquantième; que cet impôt fut enregistré en lit de justice, et que cependant il ne put subsister, « tant il est vrai que les innovations de ce genre trouvent une résistance invincible non dans des sujets toujours soumis, mais dans la nature des choses. » Le Parlement évite de s'expliquer sur cet impôt du cinquantième; il ne dit pas que le cinquantième imaginé par les frères Pâris, sous le ministère du duc de Bourbon, ne ressemblait en rien à l'impôt territorial tel que le concevaient Machault, Silhouette, Turgot; qu'il devait être levé en nature sur tous les fruits de la terre, et en argent sur les autres revenus de toute espèce; qu'il nécessitait une multitude d'agents pour la levée, la conservation et l'emploi des denrées; qu'il entraînait ainsi de nombreux inconvé nients, et que ce furent là les véritables motifs qui en décidèrent bientôt l'abandon.

Le Parlement ne nous paraît pas plus heureux dans l'expression de ses sympathies pour les corvées, bien qu'il remonte jusqu'à l'époque de l'invasion des barbares pour en justifier l'emploi. «< Le droit de la corvée, déclare-t-il, appartenait aux Franks sur leurs hommes... Lorsque les serfs obtinrent leur affranchissement, en devenant citoyens libres mais roturiers, ils demeurèrent corvéables. » Malheureusement « le cri d'une liberté inconsidérée s'est fait entendre. On a vu éclore un système nouveau annoncé par des écrits et des dissertations aussi peu exactes sur les faits que sur les principes.» On a touché le cœur du roi. On a suspendu la corvée << sans s'inquiéter de la dégradation des chemins ». Dès lors tout va fort mal, au dire du Parlement.

Il faut convenir que la dégradation des chemins était réelle. L'intendant d'Auch, celui de Bordeaux, déploraient à cette époque le délabrement des voies de communication, même les plus importantes, de leurs généralités (1), et tout porte à croire que les autres généralités n'étaient guère mieux partagées (2). Mais le Parlement omet un fait essentiel: cet état de choses n'était nullement nouveau. L'argument qu'il invoque en faveur de la corvée se retourne ainsi contre la corvée. Si la corvée n'était pas même bonne à assurer

(1) Arch. dép. Gir., C. 64.

(2) Remarquons toutefois que ces provinces

n'étaient pas dans une condition normale, à cause des ravages de l'épizootie.

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