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qui ont fait établir les grands priviléges de la noblesse, du clergé, des villes et de tous les corps. Et on ne prend le parti du peuple que quand on craint qu'il ne se révolte; parce qu'alors, pris en masse et opposé à quelques individus isolés, il est la plus grande force possible. La voix des forts contre les faibles est dans le Parlement, dans la cour des aides, dans ce qu'on appelle la bonne compagnie de Paris, dans la cour. La voix des faibles doit être dans le cœur d'un souverain juste et de ses ministres. Mais cette voix, pour contre-balancer tant d'efforts réunis, a besoin d'en imposer pour faire taire le parti contraire. C'est une illusion de croire que la raison prendra enfin le dessus et que la justice l'emportera sur les intérêts particuliers. C'en est une autre de croire qu'on pourra faire ce qu'on voudra à la longue, sans forcer au silence ceux qui ont un fort intérêt à s'y opposer. L'expérience a démontré qu'il n'y a de princes respectés que ceux qui savent faire un usage juste de leur autorité. Cette voix publique qu'on croit devoir laisser subsister, avec beaucoup de raison, pour s'opposer aux volontés injustes des ministres, ne se fait entendre qu'à la longue, et ne sera malheureusement jamais une barrière contre ceux qui voudront fortement une injustice. Il est bien malheureux qu'on puisse être en même temps l'organe de la justice et des intérêts particuliers; que ceux qui veulent le bien et ceux qui veulent le mal soient obligés de la vaincre. Mais c'est une vérité, il n'est pas permis de l'ignorer, quand on est au ministère.

» Il y a cependant une grande différence; c'est que ceux qui veulent le bien sont sûrs d'acquérir, même en assez peu de temps, cette voix publique en leur faveur, avec de la fermeté. Ceux qui veulent le mal ne l'ont jamais; ils peuvent la faire taire, mais les cris étouffés sont toujours contre eux.

» Le public, et par conséquent les cours de justice, la cour de Versailles, la cour de Paris, détestent et méprisent les ministres injustes; et toujours ils détestent et respectent les ministres justes et fermes. Ils détestent et attaquent les ministres justes et faibles : ils chérissent et méprisent les ministres injustes et faibles. Ils voudraient les conserver sans contredit et sans considération.

» Le ministère actuel est juste, ses intentions ne sont révoquées en doute par personne. Ceux qui voudraient des grâces et des injustices le haïssent, mais ne le respectent pas encore, parce que sa considération n'est pas encore établie sur la fermeté. Ce n'est pas seulement aujourd'hui le ministère qui a besoin de considération; c'est le roi dont le règne, commencé sous les meilleurs auspices, n'est encore attaqué que par ceux qui ne connaissent pas assez et ne peuvent par conséquent respecter sa fermeté.

» Cette époque est celle de son règne la plus essentielle. Je sais que se rendre à une objection n'est pas manquer de fermeté. Mais il est

des nuances sur cela que le public ne peut distinguer bien finement. Personne ne se trompe sur l'opposition du Parlement; il n'y a sûrement pas un seul homme qui croie qu'elle est fondée sur le bien général. Ceux qui croient gagner au changement du ministère y applaudissent; ceux, en petit nombre, qui désirent le conserver, parce qu'ils ne veulent que le bien, gémissent en secret et craignent; les indifférents regardent et attendent ce qui arrivera. »

Cette situation ne souffre pas la lenteur ni la moindre trace de faiblesse.

<< La suspension du public porte sur tous les objets. On voit mille cabales, actives, violentes, audacieuses, attaquer l'existence des ministres. On les voit tranquilles, lents, souvent indéterminés. On les suppose incertains de leur état, inquiets, effrayés. On ne sait pas même s'ils sont unis entre eux. Dans cette position, tout délai est dangereux... Les effets tombent considérablement à la Bourse depuis l'assemblée du Parlement. Ils vont continuer tant que le roi n'aura pas marqué ses intentions. »

Trudaine conclut en se prononçant une fois de plus contre tout nouveau sursis à l'exécution des édits. Turgot, de son côté, et avec lui le roi se montraient disposés à employer contre le Parlement les moyens de légalité extrêmes que l'usage leur fournissait, c'est-à-dire l'enregistrement forcé des lois dans un lit de justice (1).

Condorcet, toujours optimiste et violent, appréciait en ces termes l'événement qui se préparait (2): « Le Parlement va donc faire des remontrances... La magistrature, composée autrefois de l'élite de la nation, n'en est plus que la lie... Il y aura un lit de justice la semaine prochaine. Celui que vous nommez Rosni, et qui vaut mieux que Rosni, est inaltérable. Le roi a dit en apprenant les remontrances: « Je » vois bien qu'il n'y a que M. Turgot et moi qui aimions le peuple (3). » Ce discours est très vrai. Ne craignez rien pour le salut de la France attaché à cette affaire, j'oserai dire pour le salut du genre humain. Si M. Turgot succombe jamais à la rage des trois canailles (*) qui n'en font qu'une, il restera dans la tête des hommes que les gens éclairés et vertueux ne sont pas propres au gouvernement, et l'univers demeurera condamné aux ténèbres et au malheur. Adieu, je vous

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embrasse, ne craignez rien, espérez, et aimez-moi un peu (3). »

(1) Vignon, III, 140.

(2) Dans une lettre à Voltaire de la fin de février.

(3) On connaît la date exacte de cette parole historique. Voir plus haut, p. 422.

(4) Cond., Eur., I, 112. Les editeurs datent cette lettre du 23 avril. Les nouvelles données par l'auteur prouvent qu'elle est antérieure au 12 mars de 8 jours au moins.

(5) Divers passages d'une lettre de Voltaire à Condorcet (27 janv. 1776) nous apprennent que par les trois canailles il faut entendre: 1o la Finance (« La compagnie du métier de

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Saint-Mathieu que vous appelez la canaille du sel»); - 2o le Parlement (& Les deux canailles dont vous me parlez me feront toujours trembler. J'ai été trop heureux de tirer d'Etallonde des griffes de l'une... »); - 3o le Clergé (« ...Mais je vois avec douleur qu'on ne pourra jamais ôter à l'autre le droit de faire du mal, surtout quand ces deux canailles sont jointes ensemble... Vous avez vu, par l'aventure arrivée à Laharpe, combien cette réunion està craindre.» Laharpe avait été censuré par l'assemblée du clerge. Une note désigne à tort Fréron. C'est bien du clergé qu'il s'agit).

Voltaire, sentant venir l'orage, feignant de céder à la crainte, écrivait à Laharpe le 1er mars: « Vous vivez dans un singulier temps et parmi d'étonnants contrastes. La raison d'un côté, le fanatisme absurde de l'autre; des lauriers à droite, des bouchers à gauche; d'un côté le temple de la Gloire, et de l'autre des préparatifs pour une Saint-Barthélemy; un contrôleur général qui a pitié du peuple, et un Parlement qui veut l'écraser; une guerre civile dans tous les esprits, des cabales dans tous les tripots... Sauve qui peut! Pour moi, je ne suis pas encore assez loin (1). »

Le philosophe de Ferney n'avait pas tort de trembler pour l'avenir; mais il se trompait sur le présent. Le lit de justice fut un événement beaucoup moins terrible que la Saint-Barthélemy.

(1) Volt. à Laharpe, 1er mars 1776.

CHAPITRE VIII

Le Parlement condamne le livre de Boncerf sur les inconvénients des droits féodaux.

(23 février 1776.)

C'est le 22 février qu'avait été rendu l'arrêt du Conseil qui supprimait les ouvrages hostiles aux édits. Le 23, comme par un fait exprès, le Parlement sévit de son côté; mais, on le pense bien, ce ne fut pas contre les ennemis des réformes. Mairobert, qui se trouva impliqué dans la procédure comme censeur royal, nous fournit d'abondants détails sur cette affaire. Elle fit grand bruit. « Les princes et les pairs, dit-il, se sont réunis hier au palais... La cabale opposée à M. Turgot s'y est encore distinguée. On a dénoncé un ouvrage produit sous les auspices de ce ministre, et tendant à éclairer les esprits, à les disposer à une nouvelle loi qu'il voulait établir; il a pour titre : Les Inconvénients des droits féodaux. L'objet de cet écrit où la matière n'est qu'effleurée, serait de détruire la servitude réelle ou des biens, après avoir détruit celle des personnes. On a prétendu que c'était attaquer les propriétés. Il a été ordonné que les gens du roi en prendraient communication pour en rendre compte à la cour sur le champ, et que le nommé Valade, libraire, dont le nom est au bas du titre, serait mandé à la barre de la cour pour y être interrogé (1). » Il continue le lendemain en ces termes : « Hier, le sieur Valade, interrogé sur l'auteur et le censeur de l'ouvrage remis aux mains des gens du roi, a dit que c'était un sieur Boncerf, du contrôle général, qui lui avait remis le manuscrit, et le sieur Pidansat de Mairobert, qui l'avait approuvé. En conséquence, ils ont tous deux été décrétés d'assigné pour être ouïs par devant M. Berthelot, conseiller, nommé rapporteur de cette affaire (2). »

Après un silence de quelques jours, Mairobert reprend ainsi : « On peut juger à quel degré les têtes du Parlement sont exaltées par le parti violent qu'ils ont pris contre la brochure dont on a parlé, intitulée Les Inconvénients des droits féodaux. On ne conçoit pas comment ils ont flétri de la lacération et de la brûlure ce petit écrit tout au plus dans le cas d'être supprimé, ou, pour mieux dire, ne

(1) Bach., Mém. secr., IX, 58; 24 fév. 1776.

(2) Bach., Mém. secr., 59; 25 fév. 1776

contenant que des raisonnements fort sensés, des réflexions, des opinions, un système toujours soumis respectueusement à la sagesse et aux lumières du législateur, qu'on invoque sans cesse. Quelque sec et ennuyeux qu'il soit, cet événement lui donne de la vogue, le fait renchérir, et soutient le courage du lecteur (1). » Il continue : « La brochure... [des] droits féodaux est condamnée comme injurieuse aux lois et coutumes de France, aux droits sacrés et inaliénables de la couronne, et au droit de propriété des particuliers, comme tendant à ébranler toute la constitution de la monarchie, en soulevant tous les vassaux contre leurs seigneurs et contre le roi même, en leur présentant tous les droits féodaux et domaniaux comme autant d'usurpations, de vexations et de violences également odieuses et ridicules, et en leur suggérant les prétendus moyens de les abolir, qui sont aussi contraires au respect dû au roi et à ses ministres, qu'à la tranquillité du royaume. Tout cela est précédé d'un réquisitoire à grandes phrases de l'avocat général Séguier, fort verbeux, fort emphatique, où, sous prétexte d'avoir à peine eu le temps de lire cet écrit, il le discute peu, mais se perd en déclamations et en injures. contre les économistes, qu'il désigne, sans les nommer, pour les perturbateurs de l'État, pour un parti méditant secrètement la subversion, y travaillant sans relâche, et dont il faut réprimer les écarts et les excès (2). Le jour suivant, nouvelles informations: « L'affaire... se suit avec acharnement. M. de Mairobert a subi son interrogatoire par devant M. Berthelot de Saint-Alban et a prouvé qu'il n'avait eu aucune connaissance de l'ouvrage, que son examen n'était pas de son ressort, et que le libraire s'était trompé en l'indiquant. De son côté le libraire est convenu que c'était par erreur qu'il avait nommé M. de Mairobert: pour motiver cette étourderie de Valade, il faut savoir qu'au moment où il parut devant le Parlement garni de princes et de pairs, M. le prince de Conti voyant qu'on le traitait avec douceur, et qu'on paraissait disposé à le renvoyer sur la preuve qu'il était en règle et muni d'une permission tacite : « Messieurs, dit » Son Altesse, pressez-le davantage, c'est un coquin, c'est lui qui >> imprimait toutes les brochures du chancelier [Maupeou]...» A cette apostrophe, le libraire a perdu la tête, craignant des suites fâcheuses d'une pareille dénonciation trop vraie. Heureusement on n'y a pas eu égard. Depuis M. de Mairobert, on a décrété M. Le Roi de Senneville, cet avocat voué au parti économique; il s'est encore trouvé innocent. Le véritable censeur est Coqueley de Chaussepierre, avocat qui, de son propre mouvement, est allé trouver M le procureur général et le premier président : il leur a dit qu'il était inutile d'inquiéter les censeurs ses confrères, qu'il était le seul coupable, le seul approbateur

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(1) Bach., Mém. secr., 62; 1er mars 1776.

(2) Bach., Mém. secr., 63-64; 2 mars 1776.

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