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obstinée dans ses opinions, n'était pas ce qu'il fallait » (1). Que Maurepas ait tenu ce langage, c'est très vraisemblable. Que le roi dès ce jour ait pris le parti de renvoyer Turgot, c'est impossible, Marmontel se trompait de date. Que Turgot n'ait pu rien prouver de ce qu'il avançait, c'est au moins douteux.

Mais pourquoi garda-t-il le silence? Nous adopterions volontiers à cet égard l'explication donnée par Weber. Ce jeune Allemand, frère de lait de Marie-Antoinette, et peu au courant des intrigues de France, était bien placé pour juger impartialement, et il voyait de très près la famille royale. « La clémence du roi, dit-il, voulut taire les instigateurs de cette sédition (2). » C'est-à-dire que l'affaire fut étouffée par ordre de Louis XVI. Il eut peur sans doute d'avoir à frapper trop haut et à punir un trop grand nombre de coupables. Ainsi nos présomptions ne peuvent se changer en certitudes, et l'émeute de mai reste un problème sans solution, un procès toujours ouvert devant l'histoire.

(1) Marm., Mém., XII, 756.

(2) Web., Mém., II, 84.

CHAPITRE VII

Polémique engagée au sujet de la liberté du commerce des grains et à l'occasion de la guerre des farines.

(Mai et juin 1775.)

Turgot et Necker.

Les satires, les chansons ne furent pas épargnées à Turgot pendant la guerre des farines. On répandit secrètement une estampe représentant le ministre en cabriolet avec la duchesse d'Enville. L'abbé Baudeau, l'abbé Roubaud, Dupont de Nemours, de Vaines et autres économistes attelés à la voiture, la faisaient rouler sur des tas de blé. Mais la voiture versait bientôt, et l'on voyait un peu plus loin le contrôleur général culbuté et la duchesse jetée à terre montrant, d'une manière fort indécente, une légende avec ces mots: Liberté, liberté, liberté tout entière (1).

Un ennemi des économistes écrivit les vers suivants, sous le titre de

L'EXPÉRIENCE ÉCONOMIQUE.

Un limousin, très grand réformateur,
D'un beau haras fait administrateur,
Imagina, pour enrichir le maître,

Un beau matin, de retrancher le paître

Aux animaux confiés à ses soins.
Aux étrangers il ouvre la prairie,

Des råteliers il fait ôter le foin.

Un jour n'est rien dans le cours de la vie.

Le lendemain, les chevaux affamés

Tirent la langue et dressent les oreilles.
On court à l'homme. Il répond: A merveille!
Ils y seront bientôt accoutumés.
Laissez-moi faire. On prend donc patience.
La lendemain, langueur et défaillance;
Et l'économe, en les voyant périr,

Dit: « Ils allaient se faire à l'abstinence :

» Mais on leur a conseillé de mourir

Exprès pour nuire à mon expérience » (2).

Il parut aussi un pamphlet intitulé: La Poule au pot. Mais les mémoires du temps disent que cette brochure politique, pleine de chimère, était fort médiocre (").

(1) Bach., Mém., VIII, 43-44. (2) Bach., Mém, VIII, 51; 24 mai 1775.

(3) Bach., Mém., VIII, 38-39.

Tandis que l'armée de Biron poursuivait les émeutiers dans toutes les directions et les dispersait, les Parisiens ne songeaient plus qu'à rire de l'événement. Les plaisants tournaient le maréchal en ridicule. Ils disaient qu'il recevait 24,000 livres par mois pour commander l'armée des miches et faire braquer les canons de l'Arsenal contre les hirondelles de la Seine. On n'appelait Turgot que «le généralissime ». On chantait :

Biron, tes glorieux travaux

En dépit des cabales,
Te font passer pour un héros
Sous les piliers des halles;
De rue en rue au petit trot,
Tu chasses la farine:

Général digne de Turgot

Tu n'es qu'un Jean-Farine (1).

Comme la mode se mêle de tout, les femmes portaient des bonnets à la révolte. La popularité du roi paraissait avoir baissé il s'en affligeait vivement, un trait surtout lui était allé au cœur. Lors de son avénement, une main inconnue avait écrit au bas de la statue d'Henri IV, sur le Pont-Neuf, ce simple mot: Resurrexit. Pendant l'émeute on l'avait biffé.

On accusa Turgot d'avoir été lui-même cause de l'émeute. Les Mémoires secrets de Bachaumont, qui ne sont souvent rien moins que favorables au ministre, recueillirent cette plaisanterie : « On a beaucoup varié sur le principe et les auteurs des émeutes. On a successivement attribué ces dernières au chancelier, à l'abbé Terray, aux Anglais, aux Jésuites, au clergé, aux gens de finance. Ceux qui ne cherchent point à raffiner, en trouvent tout bonnement la cause dans le nouveau système du gouvernement, dans les derniers arrêts du Conseil, où M. Turgot dit que le blé est cher, qu'il sera cher, et qu'il doit être cher. C'est pour résumer les divers raffinements

(1) « On s'était moqué de lui d'une façon plus cruelle on lui avait envoyé un avis taux et absurde que les mutins voulaient s'emparer de La Bastille et de l'Arsenal. En conséquence, il donna l'alerte à M. de Jumilhar, gouverneur du château. On fat obligé de tenir les mousquetaires sur pied durant toute la nuit (la nuit du 8 au 9); on leur fit faire des rondes et des patrouilles autour de ces deux endroits. L'on pointa les canons, et l'on établit des dispositions formidables, comme si une armée ennemie devait commencer le siége de ces forteresses. Ces précautions risibles intimidèrent le peuple; mais es gens sensés et peu credules en plaisantèrent. Elles firent quelques jours l'entretien des soupers de Paris. (Relat. à la suite des Mém. sur Terr., 293.)

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Du reste quoique la tranquillité de la capitale n'eut été troublée en rien depuis le jour de l'émente, on ne s'était point relâché des signes extérieurs du danger. Les lanternes

étaient allumées longtemps avant la nuit : elles restaient allumees jusque dans le jour : elles étaient baissées, ainsi que dans les séditions, lorsqu'on craint quelques surprises..... Le service continuait à se remplir avec la plus grande régularité..... M. le maréchal ne crut pas même pouvoir s'absenter pour la cérémonie du sacre (qui eut lieu le 11 juin, c'est-à-dire près de quarante jours après l'émeute)..... Nombre de marechaux de camp, un état-major considérable, une multitude d'aides de camp, choisis dans les divers corps composant l'armée, se rendaient sins cesse au quartier general, e'abli à l'hôtel de Biron, et grossissaient la table de M. le marechal, qui touchait, pour ces frais extraordinaires, 40,000 livres, et devait en outre en avoir 20.000 par mois. (Rel. à la s. des Mém. s. Terr., 294.)

Les Parisiens n'avaient donc pas tout à fait tort de se moquer de Biron. Mais était-ce la faute de Turgot si Biron etait ridicule?

des politiques, qu'un plaisant se moque ainsi d'eux dans les vers suivants :

Est-ce Maupeou tant abhorré

Qui nous rend le blé cher en France?
Ou bien est-ce l'abbé Terray?
Est-ce le Clergé, la Finance?
Des Jésuites est-ce vengeance?
Ou de l'Anglais un tour fallot?
Non, ce n'est point là le fin mot...
Mais voulez-vous qu'en confidence
Je vous le dise?... c'est Turgot (1). »

On ne pouvait être plus injuste envers le grand ministre. Il reçut en revanche de précieux témoignages de sympathie et d'approbation. << Au premier bruit des séditions qui prenaient les grains pour prétexte, » dit Dupont de Nemours (2), le roi de Suède (c'était le célèbre Gustave III) envoya (à Rouen) en présent au roi de France deux vaisseaux chargés de grain (10,000 sacs de seigle). Il lui écrivit de sa main, ainsi qu'à Turgot, rendant justice à l'administration du contrôleur général, et l'encourageant à persévérer (3).

Frédéric II, de son côté, écrivait à d'Alembert: « J'ai admiré la conduite de votre jeune roi que des séditions excitées par les cabales de mauvais sujets n'ont point ébranlé, et qui n'a pas cédé aux desseins pernicieux de quelques frondeurs. Ce trait de fermeté assurera à l'avenir son administration. Des gens avides de changement l'ont tâté; il leur a résisté, il a soutenu ses ministres; à présent ou ne hasardera plus de telles entreprises (*). » C'est à Turgot que revenaient de droit la majeure partie de ces louanges.

Un Anglais, J. H. de Magellan, auteur d'une description des Octants et des Sextants, fit hommage de son livre à Turgot. « Quel bonheur, disait-il dans son épître dédicatoire, ne doit pas se promettre la France sous un jeune roi qui a déjà montré le talent le plus nécessaire à un prince, celui de bien choisir ses ministres, sous un roi sourd à la brigue et qui croit à la renommée!» Et il ajoutait, en s'adressant à Turgot: « La France n'est point ma patrie; je n'y ai

Bach., Mém. secr., VIIL 62. (2) Dup. Nem., Mém., II, 73, note.

(3) Vergennes, au nom de Louis XVI, répondit en ces termes :

Versailles, 15 juillet 1775. — Monsieur mon frère, la marque d'interet que Votre Majesté me donne dans ce moment-ci m'est bien sensible. Quel que soit l'envoi de ble que vous m'enverrez, il me vaudra une plus grande quantite, venant d'un allié que j'estime autant, et dont l'amitie est aussi attentive. J'ai peur qu'on vous ait fait le mal plus grand qu'il n'était en effet: la mauvaise récolte et le mauvais esprit de quelques personnes dont les manœuvres étaient déconcertées out porte des

scélérats à venir piller quelques marchés. Les paysans, entraînes pir eux et par la fausse nouvelle de la diminution du pain, qu'on avait eu soin de repandre, s'y sont joints et ont eu l'insolence de venir piller les marchés de Versailles et de Paris: ce qui m'a forcé de faire approcher des troupes qui ont retabli le bon ordre sans peine. Après le déplaisir extrême que j'avais eu de ce que le peuple avait fait, j'ai eu la consolation de voir que, d'abord qu'ils ont ete detrompes, ils ont rapporte ce qu'ils avaient pris avec une veritable peine de ce qu'ils avaient fait.» (Geffroy, Gustave III et la Cour de France, II, 375.)

(4) Fred. à d'Alembert, 19 juin 1775.

point fixé ma demeure; ainsi je ne serai pas soupçonné de flatterie par ceux même qui pourraient ne pas vous connaître encore (1). »

En France, tous les vers n'étaient pas des satires ou des chansons. Un M. Quesnay de Saint-Germain, imprimait des vers pour mettre au bas du portrait de M. Turgot.

Ces traits que révère la France,

Dans l'esprit des méchants sont gravés par l'effroi,
Dans nos cœurs, par l'espoir et la reconnaissance,

Par la vertu, dans l'âme de son roi (2).

Voltaire ne manqua pas de condamner la guerre des farines et de se déclarer pour Turgot contre tous ses détracteurs. « Il est digne des Welches, écrivait-il à de Vaines, de s'opposer aux grands desseins de M. Turgot; et vous, Monsieur, qui êtes un vrai Français, vous êtes aussi indigné que moi de la sottise du peuple. Les Parisiens ressemblent aux Dijonnais qui, en criant qu'ils manquaient de pains, ont jeté deux cents setiers de blé dans la rivière (3). »

Mais Voltaire ne se borna point à des protestations intimes et à des lettres. Il voulut que son hommage fût public. Il écrivit l'Ode sur le passé et le présent. Dans les premières strophes, le poète déplore le mal qui règne dans le monde. Un Génie vient le consoler et dit :

Contemple la brillante aurore

Qui t'annonce enfin les beaux jours:
Un nouveau monde est près d'éclore;
Até disparaît pour toujours.
Vois l'auguste Philosophie,
Chez toi si longtemps poursuivie,
Dicter ses triomphantes lois.
La Vérité vient avec elle
Ouvrir la carrière immortelle
Où devaient marcher tous les Rois.

Les cris affreux du fanatique
N'épouvantent plus la raison;
L'insidieuse Politique

N'a plus ni masque ni poison.
La douce, l'équitable Astrée
S'assied, de grâces entourée,
Entre le trône et les autels,
Et sa fille la Bienfaisance
Vient, de sa corne d'abondance,
Enrichir les faibles mortels.

Je lui dis: Ange tutélaire,

Quels dieux répandent ces bienfaits?

C'est un seul homme (").
Méconnaît les biens qu'il a faits.

Merc. de F., juillet 1775.
Merc. de Fr., juin 1775.

Et le vulgaire

(3) Volt. à de Vaines, 8 mai 1775.
(4) Turgot.

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