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de pleins pouvoirs, allez, mon ami. Quand on a, comme vous et moi, la conscience pure, on ne craint pas les hommes (1). » Moins rassuré, suivant d'autres, il aurait dit en sortant, à Turgot: « Au moins, n'avons-nous rien à nous reprocher () ? »

Le jeudi 4 au matin, Turgot était de retour à Paris. Les émeutiers reparurent, essayèrent de recommencer le pillage, firent de grandes menaces. Mais l'appareil des troupes déployées dans la ville et au dehors leur imposa. L'ordre fut main tenu. On vola pourtant 6,000 fr. au domestique d'un banquier, on pilla un orfévre et un fripier, mais ce fut tout. Les séditieux avaient eu, dit-on, l'intention de se rendre à Bicêtre, d'en enfoncer les portes et d'en faire sortir les malfaiteurs qui s'y trouvaient enfermés, pour grossir leurs rangs. Les patrouilles disséminées dans un rayon de trois ou quatre lieues autour de la capitale les en avaient empêchés (").

Durant toute la journée, les troupes gardèrent les boutiques des boulangers. Le Châtelet, pendant ce temps, interrogeait les prévenus qu'on avait arrêtés et qui étaient déjà au nombre de 180.

Nous n'avons rien dit encore du Parlement. Il ne manqua pas, dès les premiers mouvements populaires, de s'assembler « pour en prendre connaissance ». Sur le conseil de Turgot, le roi lui écrivit qu'il voulait se charger de cette affaire, qu'elle le regardait seul, et qu'il le remerciait de son zèle (*). Loin de tenir compte de cet ordre, le Parlement, quand l'émeute d'ailleurs fut finie, fit afficher un arrêt qui défendait les attroupements, mais qui portait que le roi serait supplié de diminuer le prix du pain. Turgot, indigné, arrêta la distribution de cet arrêt en faisant rompre la planche chez l'imprimeur, et chargea l'autorité militaire de couvrir les affiches déjà posées, de placards défendant les attroupements sous peine de mort, au nom du roi (3).

En même temps, il rassurait les laboureurs et les commerçants; il accordait sur-le-champ 5,000 fr. d'indemnité au négociant Planter pour la valeur d'un bateau de blé dont la cargaison avait été jetée à l'eau (). Ce Planter était un négociant de Rouen. En remerciant Turgot, comme il lui témoignait son regret de n'être pas assez riche pour pouvoir se passer d'indemnité, « Monsieur, lui aurait répondu le ministre, votre délicatesse vous fait honneur, mais ceci est une justice, et le roi l'aime par dessus tout. D'ailleurs elle ne sera point onéreuse, parce que nous savons où prendre notre remboursement (7). › Quant au Parlement, il reçut un édit du roi portant établissement. d'une tournelle civile et criminelle pour juger les auteurs et les

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(5) Rel. à la s. des Mém. s. Terr., 263. · On peut y lire le texte de ceite ordonnance é igéo en termes très energiques.

(6) Dup. Nem., Mém., II, 46.

Corr. Métr., 1, 357.

complices de la sédition. Cet édit lui parut porter atteinte à la << grande police », qu'il avait eue de tout temps dans ses attributions. Il refusa de l'enregistrer; puis il rendit un arrêt par lequel il suppliait de nouveau le roi de faire baisser le prix du grain et revendiquait l'instruction de l'affaire pour la grand'chambre. Il fit ensuite afficher l'arrêt en regard de l'ordonnance royale (1).

Cette bravade irrita le roi. Le lendemain 5 au matin, il manda le Parlement à Versailles en lit de justice, pour lui dicter ses ordres (2). Le garde des sceaux expliqua les motifs qui avaient fait enlever à la justice ordinaire la connaissance des troubles. « Lorsque les premiers troubles seront totalement calmés, dit-il, le roi laissera, lorsqu'il le jugera convenable, à ses cours et à ses tribunaux ordinaires le soin de rechercher les vrais coupables, ceux qui par des menées sourdes peuvent avoir donné lieu aux excès, qu'il ne doit penser dans ce moment qu'à réprimer. » Conti, comme se désignant lui-même aux soupçons, protesta vivement. Un conseiller fit de même; on leur imposa silence. L'arrêt de la veille fut cassé; le jugement des séditieux qu'on s'était proposé d'abord de confier à une tournelle fut attribué aux prévôts de la maréchaussée; la décision royale fut enregistrée sur l'heure. Puis le roi congédia le Parlement, en lui défendant de lui présenter des remontrances. « Je compte, dit-il, que vous ne mettrez point d'obstacle ni de retardement aux mesures que j'ai prises, afin qu'il n'arrive pas de pareil événement pendant le temps de mon règne. » Le malheureux prince demandait beaucoup. Quant au Parlement, il se retira silencieux, mécontent, mais il obéit et ne s'occupa plus des troubles (").

(1) Rel. à la s. des Mém. s. Terr., 266 Elle donne le texte de cet arrét.

(2) Cond., Vie de T., 129.

(3) Pour plus amples détails sur le lit de justice, voir Relat. à la suite des Mém. sur Terray, 268-272.

CHAPITRE VI

Suites de la Guerre des Farines.

(Mai 1775.)

Fut-elle l'effet d'un complot?

Dans le lit de justice du 5 mai avait été enregistrée, par ordre, une proclamation du roi, ordonnant « que les brigands attroupés pour piller les maisons et les magasins des meuniers, des boulangers et des laboureurs, seraient jugés par les prévôts généraux des maréchaussées. » Elle annonçait une répression immédiate. « Les peines, y était-il dit, ne doivent être infligées que dans les formes prescrites par nos ordonnances; mais il est nécessaire que les exemples soient faits avec célérité... afin d'imposer à ceux qui échapperont à la punition, ou qui seraient capables d'augmenter le désordre (1). »

Le samedi 6, jour de marché, fut affichée dans Paris une nouvelle ordonnance qui défendait aux acheteurs de porter dans les rues et dans les marchés aucune espèce d'armes, pas même des bâtons, de peur qu'on ne les confondît avec les émeutiers. Du reste la tranquillité régna dans toute la ville, et les marchés se tinrent paisiblement (*).

Turgot ne se borna pas à des démonstrations militaires et au ton de l'autorité. Il voulait aussi gagner les cœurs, persuader au peuple qu'il travaillait pour son bien. Depuis longtemps il méditait la suppression des corvées : il obtint du roi qu'elles seraient provisoirement suspendues, et dicta à Trudaine la circulaire qui fit part de cette décision aux intendants. « Cette espèce de contribution, toujours trop onéreuse pour ceux qui en sont chargés, devient impraticable dans les lieux et dans les temps où les peuples ont tant de peine à se procurer leur subsistance par leur travail. » Cependant les routes ne pouvaient être abandonnées : il pourvut à leur entretien en ordonnant d'employer aux travaux les plus urgents les fonds destinés aux travaux de charité (3).

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 189.

(2) Corr. Métr., I. 362.

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(3) Vignon, Chem. publ., III, 69. (Pièc. Just. n° 30.) Il fait suivre la citation de cette lettre d'une note ainsi conçue: « Malgré ses recommandations de pourvoir au moins à l'entretien, tous les travaux sur les routes furent dès co moment abandonnés, si ce n'est dans les généralités de Limoges et de Caen, à l'exception de ceux que l'on fit faire par les ateliers

de charité..

Cette phrase est fort loin d'être claire. La première partie semble indiquer que malgré les recommandations de Turgot les routes furent abandonnees. Nullement, puisque dans la seconde partie, il est dit que des travaux furent exécutés par les ateliers de charité. Turgot ne demandait pas autre chose. - Dans

les généralités de Limoges et de Caen, Turgot et à son imitation l'intendant Fontette avaient remplacé la corvée par une contribution pécuniaire.

Le 8, par arrêt du Conseil, Turgot accorda de nouveaux encouragements à l'importation des blés étrangers. Il étendit le bénéfice des gratifications dont l'importation dans les ports jouissait seule, à l'importation par terre, et décida qu'à partir du 1er août les négociants français ou étrangers qui introduiraient des blés de l'étranger dans les provinces d'Alsace, de Lorraine et des Trois Évêchés, recevraient une prime de 15 sous par quintal de froment, et de 18 sous par quintal de farine (1).

L'activité du ministre, son accord avec le roi inspiraient confiance à ses amis, sans pouvoir les rassurer entièrement. « Nous n'avons pour le bien que le roi et Turgot, écrivait le 9 mai le marquis de Mirabeau; mais ils sont bien fermes l'un et l'autre. Et cependant, quoique actifs et invincibles dans l'opposition, Turgot et son maître sont faibles et inexperts dans l'astuce de cour, les insinuations et les obsessions inopportunes, et je pense que Turgot n'ira pas loin, mais il se retirera couvert de gloire : que le roi n'a-t-il le courage de ses vertus (2)? »

Turgot poursuivait son œuvre sans s'arrêter à aucune considération de conservation personnelle. Laissant aux autres le soin de prévoir des dangers trop certains, il se contentait d'agir.

Pour calmer les esprits et ramener la confiance dans les campagnes, il s'adressa, comme il l'avait déjà fait pour les ateliers de charité, aux curés du royaume. Il fit écrire par le roi une lettre adressée à leurs supérieurs immédiats, les évêques et les archevêques. Le roi rappelait aux prélats que « le maintien de l'ordre public est une loi de l'Évangile comme une loi de l'État », et leur demandait de prêcher dans leurs diocèses la concorde et le respect de la loi (3). A cette lettre était jointe une instruction destinée à faire exactement connaître aux curés « les principes et les effets » des émeutes qui venaient d'avoir lieu.

Après quelques paroles sévères et tristes exprimant la nécessité de punir les coupables et la douleur d'y être contraint, Turgot rappelait que plusieurs curés avaient réussi à ramener dans le devoir des habitants de leurs paroisses égarés (). Il espérait que les préceptes de la religion, la terreur des peines imposées par les lois, la persuasion empêcheraient à l'avenir toute sédition. Puis il racontait les événements qui venaient d'avoir lieu, décrivait sommairement les scènes qu'on a lues plus haut, réfutait les bruits perfides semés par les émeutiers. Fidèle enfin à ses habitudes d'économiste, il exposait

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 190.
(2) Mirab., Mém., Luc. Mont., III, x, 158.
(3) Euv. de T. Ed. Daire, II, 191.

(4) Il aurait pu citer, entre autres, le curé de Mery-sur-Oise. Ses paroissiens ayant pillé un bateau de blé, il les avait exhortés à restituer le grain ainsi dérobé, et avait obtenu

cette restitution. Turgot, en récompense de ce service, lui avait accordé une pension de 120 livres (Merc. de Fr., juin 1775). Cet exemple, et quelques autres, trop rares d'ailleurs, étaient parfaitement connus: il se contentait d'y faire une allusion rapide dans sa circulaire.

les lois naturelles qui fixent le prix des denrées et montrait que le gouvernement n'a aucun pouvoir d'y rien changer (1).

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Pidansat de Mairobert, rendant compte de la lettre aux évêques et de l'instruction pour les curés, en approuve l'intention..... << Malheureusement, ajoute-t-il, on trouve dans cet écrit des assertions absolument fausses, savoir que les marchés ont toujours été garnis; que la denrée n'a jamais été à un taux trop cher; que personne ne doit être dans le cas de manquer de pain, par les précautions que le gouvernement a prises pour occuper les pauvres dans les paroisses, en les faisant travailler, etc. (2). » << Absolument fausses» est bientôt dit. Il faudrait d'ailleurs rapporter exactement les paroles de Turgot. Il disait : « [La sédition] n'a point été occasionnée par la rareté réelle des blés; ils ont toujours été en quantité suffisante dans les marchés (). » Sur ce point nous pouvons invoquer un témoignage précieux. Le 9 mai, les directeurs du commerce de la province de Guienne écrivaient à Turgot, à propos des primes qu'il venait d'accorder aux navires important du blé étranger: que la récolte avait très belle apparence, et que pour cette raison il ne fallait pas compter sur des importations; trois navires seulement étaient attendus à Bordeaux (*). Ainsi les étrangers jugeaient la France suffisamment approvisionnée, et la récolte s'annonçant bien, ils n'osaient importer.

Turgot disait encore : « [La sédition] n'est pas non plus produite par l'excès de la misère : on a vu la denrée portée à des prix plus élevés, sans que le moindre murmure se soit fait entendre (5). Cette affirmation est confirmée d'une manière très précise par la Correspondance Métra : « [Le peuple] paie sans doute peu volontiers le pain de quatre livres 13 sols, mais il l'a payé jusqu'à 16 sols du temps de l'abbé Terray, et ne s'est point révolté, quoiqu'il n'eût pas autant confiance qu'aujourd'hui dans la bonté paternelle du roi (6). »

Quant aux ateliers de charité, Turgot avait raison de les rappeler, ne fût-ce que pour montrer le bon vouloir du gouvernement et sa sollicitude pour les malheureux. Peut-être se faisait-il toutefois quelque illusion sur leur efficacité. C'est la seule des critiques de Mairobert qui ne soit pas absolument gratuite. Mais la misère a été de tout temps: c'est un triste héritage qu'une époque a toujours légué à une autre; on ne saurait blâmer Turgot de ne l'avoir point abolie d'un trait de plume. Il ne prétendait rien de tel du reste. Il se contentait de dire : « Les secours que Sa Majesté a fait répandre, les ateliers qu'elle a fait ouvrir dans les provinces, ceux qui sont

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 192.

(2) Bach., Mém. sec., VIII, 38. On se rappelle qu'ils sont peu favorables a Torgot.

(3) Eur. de T. Eu. Daire, II, 193.

(4) Arch. dép. Gir., Lett. miss., Ch. de comm.,

6 registre.

(3) Euv. de T. Ed. Daire, II, 193.

(6) Corr. Métr., I, 345-346; 3 mai 1775.

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