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la vigilance des états, au zèle du gouverneur le comte de Périgord, et de l'intendant M. de Saint-Priest. Mais ailleurs « les paysans, trompés par les fausses espérances que leur ont données les charlatans, s'obstinent à garder les animaux malades jusqu'à ce qu'ils meurent. Rien n'a pu vaincre notamment l'obstination des paysans du Condomois. » Si on laisse subsister de pareils foyers du mal, « la contagion deviendra éternelle. » Cette situation périlleuse exige des remèdes énergiques et immédiats. On a déjà établi un cordon de troupes pour circonscrire les provinces atteintes; ce cordon sanitaire sera maintenu; mais il ne suffit pas. On établira d'autres cordons intérieurs chargés d'envelopper successivement chacun des cantons envahis, en s'avançant pas à pas vers le foyer de la contagion. Ces cantons seront visités un à un par des vétérinaires accompagnés de détachements de soldats. Dans chaque paroisse, dans chaque ferme, dans chaque étable, de rigoureuses perquisitions auront lieu, et toutes les mesures prescrites par l'édit recevront leur exécution. Les bêtes malades seront abattues, après indemnité d'un tiers de la valeur payée aux propriétaires; les cuirs seront tailladés et enterrés; les locaux infectés seront purifiés. A mesure que l'un des cantons aura été ainsi purgé de tout mal, le cordon intérieur s'avancera vers le centre de la province, et le cordon extérieur se resserrant pourra s'en rapprocher à son tour.

«

<< Il n'y a d'armes contre cette contagion que de tuer et de séparer. Il est indispensable de tuer tout ce qui est infecté, pour sauver l'État entier... Se relâcher sur cette précaution serait une condescendance funeste; ce ne serait pas céder à une juste pitié; ce serait se rendre complice de l'aveuglement d'une populace aussi ennemie d'elle-même que du bien public... Le cordon extérieur peut être composé de cavalerie: ce genre de troupes est même très avantageux pour courir après les conducteurs de bestiaux ou les marchands de cuirs qui auraient trompé la vigilance des gardes... L'infanterie est plus convenable pour les cordons intérieurs et pour les détachements chargés de désinfecter les paroisses. »

Le roi a donné les ordres pour faire marcher en Guienne toutes les troupes nécessaires. Il compte sur l'activité et le zèle des gouverneurs des provinces ou de leurs lieutenants, du comte de Périgord en Languedoc, du comte de Fumel en Guienne, du comte d'Amou en Béarn. Il les prie de concerter entre eux leur marche et leurs opérations. Il accorde un supplément de paie de deux sous aux sous-officiers et aux soldats. Il se réserve de récompenser les officiers. Il compte que dans deux mois la contagion aura complètement disparu (1).

Ce belliqueux ordre du jour d'un ministre des finances put faire

(1) Eur. de T. Ed. Dairo, II, 481.

sourire les gentilshommes chargés de réunir des régiments pour courir sus à des bêtes à cornes malades. Il n'en est pas moins vrai que la force armée pouvait seule assurer l'exécution efficace de l'édit, que les mesures ordonnées pouvaient seules détruire le mal, et que le mal était terrible et menaçant.

Pendant le mois de février, l'activité épistolaire de Turgot redoubla. Le 3, il remercie Raulin, médecin ordinaire du roi, des observations qu'il lui a envoyées sur l'épizootie. Il croit comme lui qu'il n'y a qu'un remède: tout tuer (1).

Le 7, il écrit à M. d'Agay de Mutigney, intendant d'Amiens: il a appris par l'intendant de Rouen, M. de Crosne, qu'une maladie épizootique sévit aux environs de la ville d'Eu; il appelle l'attention de M. d'Agay sur cet événement, et lui ordonne de prendre aussitôt des mesures sévères, pour empêcher la contagion de pénétrer en Picardie (*).

Le 13, il envoie et il recommande aux intendants d'Auch, Bordeaux, Montauban, Perpignan, Poitiers, La Rochelle et du Languedoc (tous les pays infectés ou menacés), la brochure de l'académicien Montigny sur l'épizootie (3).

Pendant ce temps, le mal pénétrait en Périgord à Grignols, comme le constate une ordonnance de l'intendant Esmangard, du 28 février (). Turgot pouvait même craindre qu'il ne prît aussi naissance et ne se développât sur plusieurs points à la fois, très éloignés du principal foyer d'infection. Aussi, le 18, s'empressa-t-il d'écrire à tous les intendants qui lui avaient signalé dans leurs généralités des symptômes d'épizootie, à ceux de Paris, Rouen, Amiens, Lille, Soissons. Il les prévient que ces symptômes, étudiés par Vicq d'Azyr, paraissent à ce médecin exactement semblables à ceux de l'épizootie de Gascogne. Il ordonne la plus grande attention, envoie des brochures et des instructions. Du reste, ces épizooties locales furent rapidement étouffées, comme le prouvent des pièces ultérieures (). Cet heureux résultat fut certainement dû en grande partie à la promptitude et à l'action énergique du contrôleur général. Le 20, il s'adressa aux fermiers généraux. Comme il n'y avait pas assez de troupes pour établir partout des cordons sanitaires suffisants, il avait songé à utiliser les brigades des employés des fermes, au moins dans la généralité de Bayonne, qui était la plus éprouvée. Ces brigades furent mises à la disposition des commandants militaires de la province. Un essai de ce genre avait déjà réussi sur les bords. de la Bidassoa (°).

Le même jour, Bouvard de Fourqueux, qui venait d'être nommé

(1) Arch. nat., F. 12, 151.

(2) Id.

(3) Id.

(4) Arch. dép. Gir., C. 64.

(5) Arch. nat., F. 12, 151.
(6) Id.

intendant des finances adjoint (par adjonction à son beau-père Trudaine), vint remercier le roi et prendre congé de lui. Il avait été désigné par Turgot pour accompagner dans sa province, sur le théâtre de l'épizootie, le comte de Noailles, lieutenant-général de la basse Guienne ('). Nous n'avons malheureusement aucun des rapports que Fourqueux put adresser au ministre.

Le 22, Turgot écrivit au ministre Vergennes. Les républiques de Berne et de Genève, redoutant l'introduction du fléau dans leurs territoires, avaient interdit l'importation des cuirs verts français. Cette prohibition portait une grave atteinte à notre commerce. Turgot pria Vergennes d'adresser à ce sujet des représentations aux deux républiques. Toutes les précautions étant prises pour l'ensevelissement et la destruction des cuirs infectés, il ne pensait pas que le commerce des cuirs verts pût offrir le moindre danger (*). Cette déclaration était sincère assurément; il faut avouer toutefois que la prudence helvétique avait bien sa raison d'être.

Le premier président d'Aligre avait informé Turgot qu'un médecin hollandais établi à Saintes venait de découvrir un remède contre l'épizootie. Turgot, après examen, déclara que le fait ne lui paraissait pas suffisamment constaté, et il répéta au magistrat ce qu'il ne cessait de dire et d'écrire à tout le monde depuis le mois de janvier : le seul moyen d'en finir est de sacrifier tous les animaux malades (3).

L'intendant de La Rochelle, Montyon, lui annonça de son côté qu'un médecin, Barjolin, croyait avoir trouvé un remède efficace. << Je le connais particulièrement, » répondit Turgot, en parlant du médecin, et il autorisa l'intendant à expérimenter le remède; mais il conclut en recommandant l'exécution ponctuelle des ordonnances et le massacre de toutes les bêtes infectées (*).

L'emploi de ce système énergique ne tarda pas à produire de bons résultats. La maladie disparaissait rapidement. Le 14 mars, Turgot écrivit à Vergennes de nouveau, lui proposant cette fois de prendre des précautions pour empêcher que l'épizootie, presque éteinte en France, ne revînt par l'étranger. Il craignait surtout qu'elle ne rentrât chez nous par l'Espagne, par la province de Guipuzcoa (5).

Cependant, en avril, tout n'était pas encore fini. Le 4, Turgot écrivit à l'intendant d'Auch, Journet (), pour se plaindre que les indemnités accordées aux paysans ne leur fussent pas exactement payées. Dans le bas Armagnac notamment, ils n'avaient pas reçu << un sol ». Cette négligence, disait-il, était d'un effet déplorable dans

Merc. de Fr., mars 1775.

(2) Arch. nat., F. 12, 151; 22 tév. 1775.

(3) Id.; 6 mars 1775.

(4) Id.; 1) mars 1775.

(5) Id.;14 mars 1775.

(6) L'édit qui partagea l'intendance de

Bayonne entre celle d'Auch et celle de Bordeaux est du mois de janvier 1775. La plus grande partie du département de Bayonne fut reunie à celui d'Auch, dont Journet était intendant. (Anc. 1. fr., XXIII, 138. Dup. Nem., Mém., VII, 168.)

les campagnes; elle compromettait le succès des opérations entreprises par le gouvernement: il ordonnait donc de payer aussitôt (1).

L'introduction des bestiaux provenant des pays infectés dans les pays restés sains, était très difficile à empêcher; il fallut plusieurs fois emprisonner les récalcitrants. Comme le Conseil s'était réservé la connaissance de tous les faits concernant l'épizootie, et que les cours de justice n'avaient pas le droit de s'en occuper, les emprisonnements avaient lieu par une simple décision de l'intendant, confirmée ensuite par un ordre royal. Nous n'avons trouvé aucun ordre de ce genre expédié par Turgot: ils étaient sans doute du ressort du ministre Bertin (2).

Lorsque tout semblait fini, le mal se réveilla dans le Condomois. L'intendant Esmangard s'y transporta aussitôt et y rendit de nouvelles ordonnances pour remettre en vigueur les arrêts précédents. Ces ordonnances, concernant la déclaration des animaux malades, la visite des experts, etc., furent affichées à Condom et à Nérac vers le milieu d'avril (3). Il fallut aussi interdire les foires et marchés à bestiaux dans les subdélégations de Bayonne, Dax, Saint-Sever et Mont-de-Marsan (), et prescrire aux acheteurs de se munir de certificats (5).

En Languedoc, l'épizootie avait disparu. Dans le nord de la France, il n'en était plus question. Elle ne subsistait que dans quelques cantons de la Gascogne, et il est probable que sans l'incurie de certains employés et le mauvais vouloir des populations, tout eût été fini depuis fort longtemps. Le 12 mai, Turgot se plaignait à l'intendant Journet que les habitants du Bigorre n'eussent pas encore touché le montant de leurs indemnités (°).

Mais comment obtenir des fonctionnaires une prompte obéissance et un zèle assidu, lorsque tous les ordres partaient de Paris et qu'ils mettaient au moins huit ou dix jours pour arriver jusqu'aux provinces atteintes? Comment tout savoir, tout prévoir, tout diriger? Un Turgot même n'avait-il pas hésité quatre longs mois avant de prendre un parti décisif? Comment, en outre, persuader aux paysans que ces ordonnances qui exterminaient leur bétail étaient faites pour eux et non contre eux, qu'elles étaient inspirées par le désir le plus sincère de protéger leurs intérêts et non par un vain esprit de tracasserie? L'éducation du peuple était-elle faite? La prévention et les préjugés ne rendaient-ils pas impuissantes les lois les plus sages? Les meilleurs présents du pouvoir n'étaient-ils pas suspects? Aussi n'en avons-nous pas fini avec l'épizootie (7).

(1) Arch. nat., F. 12, 151; 4 avril 1776.

(2) V. Pièc. just. n° 20 une lettre de Bertin à

ce sujet.

(3) Arch. dép. Gir., C. 4 et C. 64.

(4) Arch. dép. Gir., C. 4 et C. 64.
(5) Id.

(6) Arch. nat., F. 12, 151; 12 mai 1775.
(7) V. liv. II, chap. xv, et liv. III, chap. XII.

CHAPITRE III

Les amis et les ennemis de Turgot pendant les premiers mois de l'année 1775.

(De janvier à mai 1775.)

Avant d'aborder le récit des émeutes dont la cherté des grains fut l'occasion en avril et mai 1775, qu'on nous permette de jeter un coup d'œil sur les mouvements de l'opinion publique, sur la polémique engagée entre les défenseurs et les adversaires de Turgot, sur les intrigues ourdies autour de lui pendant les premiers mois de l'année.

:

Le principal protecteur de Turgot dans le monde des lettres était Voltaire. Cette amitié des deux philosophes leur fait mutuellement honneur. La question de la liberté du commerce des grains passionnait toujours le public. Voltaire jeta dans la mêlée un léger pamphlet, intitulé Petit écrit sur l'arrêt du Conseil du 13 septembre 1774. Il traçait le tableau des vexations qu'entraînaient les règlements antérieurs à l'arrêt le seigneur et son vassal contraints de faire quatre lieues pour aller au marché, sous l'œil des officiers royaux, traiter une affaire qu'ils auraient pu fort aisément négocier chez eux; le commerce entravé, les commerçants suspects; les valets du bourreau ambulants, en quête de contraventions. Il constatait qu'à la nouvelle de l'arrêt « la province avait versé des larmes de joie ». Il se plaignait de voir « des citoyens pleins de talent condamner dans l'heureux loisir de Paris le bien que le roi venait de faire dans les campagnes » (1). Il n'avait pas de peine enfin à réfuter les contradicteurs de Turgot. Son bon sens avait nettement compris de quel côté était la vérité, et, comme toujours, il s'empressait de mettre son esprit au service de son bon sens. Il n'appelait plus Turgot que M. de Rosni-Colbert. Il disait à Condorcet, à propos du Petit écrit: « Raton (c'est lui-même qu'il désignait ainsi) avait adressé quelques exemplaires d'un écrit à MM. Bertrand (d'Alembert et Condorcet); il avait envoyé ce chiffon sous l'enveloppe de M. Rosni-Colbert. Il ignore si M. Rosni-Colbert l'a fait passer à MM. Bertrand. On soupçonne que sa modestie l'en aura empêché; on

(1) Ce pamphlet parut dans le Mercure de France de janvier 1775.

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