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librement traverser cette ville, en transit; elle ne fut pas plus autorisée qu'auparavant à les employer dans son alimentation Pour mettre un terme à cette anomalie, il eût fallu, ou dépouiller Marseille de son privilége de port franc, ou l'étendre à tous les ports du royaume. C'est à ce dernier parti que songeait Turgot, qu'il n'osait encore adopter, mais qu'il laissait entrevoir dans le préambule de l'édit, lorsqu'il disait : « Sa Majesté a cru devoir, par des motifs de prudence, différer de statuer sur la liberté de la vente hors du royaume, jusqu'à ce que les circonstances soient devenues plus favorables (1). »

La chambre des comptes mettait un tel retard à vérifier les comptes, qu'en 1774 ceux des trésoriers les moins arriérés l'étaient de cinq ans, quelques-uns de six, d'autres de sept, de huit. Ceux du trésorier des bâtiments l'étaient de douze ans; ceux du trésorier de la caisse d'amortissement l'étaient de treize. Cette vérification était un travail de pure curiosité, dit Dupont de Nemours, et parfaitement inutile. Elle faisait perdre un temps considérable au roi, qui était forcé de signer toutes les pièces. Turgot, par décisions des 12 et 22 janvier 1775, et plus tard du 11 mai 1776, simplifia la vérification des comptes. Il autorisa les conseillers d'État à donner leur signature. Il prépara avec Fourqueux (procureur général de la chambre des comptes) un arrangement qui permît à la chambre de se mettre au courant (2).

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Le 15, il rendit un arrêt pour le paiement des lettres de change tirées des îles de France et de Bourbon. Ces lettres de change étaient arriérées depuis cinq ans, à tel point on négligeait les affaires de nos colonies! Turgot, dans son court passage à la marine, avait pu s'en apercevoir. Il affecta un premier fonds extraordinaire de 1,500,000 fr. au paiement de cette dette criarde. 1,200,000 fr. devaient être employés pendant les six premiers mois de l'année 1775 à retirer celles de ces lettres qui avaient été données d'une part aux Hollandais et aux Danois, pour fournitures nécessaires à ces colonies, et d'autre part au régiment du Royal Comtois, en échange des fonds qui s'étaient trouvés dans sa caisse, à son départ des îles. Dans les six derniers mois, 100,000 écus devaient être employés à rembourser les lettres de change de 500 fr. et au-dessous souscrites à des Français. Cependant, même après ces premiers paiements, il devait rester encore 8,500,000 fr. de ces lettres à solder. Turgot assigna une somme de 1,000,000 par an à l'extinction de cette dette. Le sieur Mory, caissier de la Compagnie des Indes, fut chargé de dresser un état des lettres qui lui seraient représentées. On convint d'opérer les remboursements par ordre de date; on laissa aux créanciers qui ne

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 178.

(2) Dup. Nem., Mém., II, 199.

voudraient pas attendre l'époque des remboursements, la liberté d'échanger leurs lettres contre des titres de rente à 4 0/0. Plusieurs acceptèrent ce parti avantageux à l'État (1).

De telles mesures n'étaient pas seulement dictées par un vif sentiment d'humanité et de justice. Elles étaient habiles et utiles en même temps. Elles relevaient le crédit et l'honneur des finances françaises aussi bien en France qu'à l'étranger.

Turgot ne veillait pas moins assidûment aux intérêts de l'industrie. Un maître fabricant de drap d'Elbeuf était venu s'établir à Louviers. La communauté de Louviers s'y opposait. L'intendant avait dû rendre une ordonnance pour la forcer d'admettre le nouveau venu. Turgot approuva l'intendant (*).

La manufacture de porcelaine de Limoges était dans une triste situation, par la mort de son directeur Pierre Grelet, qui laissait une veuve et cinq enfants. Antoine Grelet, son frère, demandait à emprunter 60,000 fr. à l'État. Turgot, préféra lui accorder un secours annuel de 3,000 fr. pendant dix ans (").

Les couteliers de Reims lui avaient adressé un placet, pour se plaindre que des ouvriers incapables eussent obtenu chez eux des brevets de maîtrise : ils prétendaient que ces nouveaux fabricants, livrant au public de la mauvaise marchandise, portaient préjudice à la communauté. Turgot leur fit dire tout net « que leur plainte était dénuée de fondement... et que c'est au public seul à juger si un maître est capable ». Vend-il des produits de qualité défectueuse? on se garde d'aller se pourvoir chez lui: c'est la seule peine qu'il mérite (*).

Si Turgot savait donner à de petits bourgeois des leçons d'économie politique pratique, il ne craignait pas au besoin de rappeler les grands seigneurs aux convenances et à l'observation de la loi. Il était dit dans les ordonnances que les nobles, aussi bien que les vilains, devaient acquitter les droits d'octroi. Mais la plupart du temps les nobles trouvaient moyen de se soustraire à cet impôt, bien qu'ils fussent déjà exempts de beaucoup d'autres. En arrivant en ville, ils refusaient de s'arrêter aux barrières, et leurs cochers passaient outre « en poussant leurs chevaux avec tant de rapidité qu'ils menaçaient d'écraser les commis ». Turgot ne pouvait tolérer ce scandale. Par arrêt du 15 février, il rappela que les postillons, cochers ou conducteurs de voitures, même des équipages du roi, de la reine et des princes du sang, devaient s'arrêter aux portes et barrières de Paris, à la première réquisition des commis; que les coffres, malles, valises, etc., devaient être visités dans les bureaux

Dup. Nem.,

Cette (3) Arch. nat., F. 12, 151; 20 fév. 1773. — requête était appuyee par l'intendant. (4) Pièc. just no 19.

(1) Anc. 1. fr., XXIII, 133. Mém., II, 95-96. (2) Archi. nat., F. 12, 151; 3 fév. 1775.

mêmes des entrées. Enfin il ordonna que les contrevenants seraient punis de la confiscation des marchandises, de 500 fr. d'amende et de la prison (1).

De telles mesures n'étaient guère propres à concilier à Turgot l'affection des privilégiés. Ceux-ci auraient pu s'apercevoir pourtant que l'esprit de la société nouvelle était hostile à toute inégalité devant la loi. On commençait à rire tout haut des prétentions vieillies de la noblesse. Le 23 février, Beaumarchais débutait au théâtre par le Barbier de Séville. A la première représentation, la pièce fut sifflée; mais trois jours après elle fut applaudie avec fureur. Son apparition seule était un signe des temps.

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 439. On lit à ce propos dans la Corr. Métr. (1, 268-269): « Le roi a donné une déclaration concernant les visites aux barrières de Paris, par laquelle il soumet ses propres voitures l'oeil avide des commis. Défenses à ceux-ci d'accompagner les voitures, fourgons et tous autres équipages des princes et seigneurs dans leurs hotels ou

auberges pour y faire leur visite, qui doit se faire et se fera désormais aux barrières, ce qui n'est rien moins qu'agréable. Mais le roi donnera l'exemple, il n'y a rien à dire; il sera seulement très édifiant de voir Sa Majesté arrêtée par deux ou trois gredins, pour lui demander si elle n'a rien contre ses propres ordres.

CHAPITRE II

Épizootie du Midi : deuxième partie (1).

(De janvier à mai 1775)

L'épizootie continuait ses ravages: pendant les mois de janvier et de février surtout, Turgot déploya une activité inouïe pour la combattre. Il était malade, mais, suivant l'expression de Dupont de Nemours, il mettait à profit, pour le service de l'État, « jusqu'à l'insomnie qui le dévorait » (2).

Il était au lit lorsqu'il apprit que l'épizootie prenait un caractère de plus en plus alarmant. On le vit recueillir ses forces et, de son lit, dicter des instructions sur la manière d'arrêter la contagion. Chaque feuille prête était aussitôt envoyée à l'imprimerie établie à Versailles et les épreuves étaient immédiatement corrigées. Il dicta encore les lettres qui devaient accompagner ces instructions et la teneur d'un arrêt accordant des gratifications à ceux qui amèneraient des chevaux ou des mulets propres à la charrue et les vendraient sur les marchés des provinces infectées (3).

De toutes ces pièces officielles dictées par Turgot le 8 janvier et mentionnées par Dupont de Nemours, il ne nous reste que le texte de l'arrêt relatif à l'importation des bêtes de somme. Les gratifications étaient de 24 et de 30 livres par tête de mulet ou de cheval; elles devaient être progressivement diminuées, au fur et à mesure de la diminution de la maladie (*). Dans les instructions qui nous manquent, il est vraisemblable que Turgot, se rendant enfin à l'avis réitéré de Vicq d'Azyr, ordonnait de tuer sans restriction tous les animaux atteints par le fléau.

Un médecin de Montpellier, Paulet, avait composé un ouvrage sur les maladies épizootiques (5) dont Montigny, de l'Académie des Sciences, avait rendu compte à Turgot. Le ministre alloua 1,800 fr. à Paulet pour subvenir aux frais d'impression de son mémoire. Il voulut également payer le prix que la Société d'Agriculture de Paris avait promis à l'auteur du meilleur mémoire sur cette question: il

(1) Voir précédemment liv. I, chap. X.
(2) Dup. Nem., Mém., II, 102.

(3) Dup. Nem., Mém., II, 38-39.
(4) Euv. de T. Ed. Dairo, II, 478.

(5) Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques, par M. Paulet, docteur inédecin, publiées par ordre du roi (Fréron, Ann. litt., XI, 252; 20 avril 1775).

accorda à ce titre 1,200 fr. de plus à Paulet, en se réservant seulement le droit de distribuer gratuitement son ouvrage dans les provinces (1). L'intendant de Roussillon Clugny lui ayant appris que la maladie avait pénétré dans son département, il lui exprima tout le chagrin que lui causait cette nouvelle; et comme le conseil supérieur (2) de Perpignan avait pris sur lui d'interdire la sortie des moutons de la province, il l'en blâma énergiquement : « Les cours n'ont pas le droit de faire de pareilles défenses, qui ne peuvent être faites que par le législateur. » Cette défense était d'ailleurs absurde, car il était prouvé que l'épizootie n'attaquait que le gros bétail, et que les moutons en étaient exempts (3).

Ainsi toute la région des Pyrénées était maintenant envahie. Turgot ordonna cette fois positivement d'abattre tous les animaux. reconnus malades; il prescrivit de taillader les cuirs de ces animaux de façon qu'il fût impossible d'en faire usage; il en défendit expressément le commerce, et étendit cette prohibition à tous les objets ayant servi aux bêtes malades et qui pourraient propager la contagion. Il fixa à 500 fr. l'amende dont seraient passibles les contrevenants ('). Cet arrêt fut bientôt complété par la mise à exécution d'un plan d'ensemble que Turgot méditait depuis un mois pour la destruction complète de l'épizootie. Il se trouve détaillé dans un mémoire qui parut le 4 février et fut adressé à tous les gouverneurs, intendants et autres administrateurs de la région envahie. On croirait lire un plan de campagne et l'exposé d'opérations militaires projetées contre une armée ennemie. Le ton est impératif. On devine que celui qui parle ainsi, saurait au besoin tenir une épée et compte des capitaines parmi ses ancêtres.

L'introduction est une sorte d'exposé des motifs et en même temps de manifeste. La maladie est incurable. Il n'y a qu'un moyen de la détruire et de prévenir l'infection du royaume tout entier, c'est de sacrifier impitoyablement tout ce qui est malade. M. Vicq d'Azyr l'a déclaré. Partout où cette mesure a été exécutée, le fléau a disparu. C'est ainsi que le Languedoc a été en grande partie préservé, grâce à

(1) Arch. nat., F. 12, 151; 10 janv. 1775. (2) Nom donné au Parlement de la province. (3) Id.; 28 janv. 1775. Voici un passage du memoire de Paulet Regardez comme un trompeur tout homme qui vous dira que la maladie vient de l'air Regardez comme un autre trompeur et comme votre plus cruel ennemi quiconque vous dira que la maladie n'est point contigieuse. N'oubliez pas qu'on peut infecter une étable, la litière, etc., avec des souliers, après avoir foulé le sang ou les autres humeurs sorties du corps d'une bête malade: qu'un boeuf, avec sa bave, infecte un pâturage; qu'un prétendu guérisseur qui vient de fouil er un boeuf malade, s'il ne prend de précautions, porte la contagion ailleurs; que tous ces faits ont été observés mille et mille fois, et prou

vés..... Regardez encore comme le plus grand des imposteurs celui qui vous dira que c'est un sort jeté sur vos animaux. Soyez persuadé qu'on ne peut pas avoir une idée, ni plus grossière, ni plus fausse, ni plus absurde, ni plus capable de faire périr votre bétail. Voulezvous purifier à coup sûr vos étables, et par un moyen bien simple et peu coûteux? Ne cessez d'y répandre de l'eau en abondance: imitez la nature, qui lave ainsi les pâturages infectés par une pluie abondante, et puritie tout. Faites pleuvoir de même dans vos étables; lavez vos animaux; lavez tout, et ayez plus de confiance en ce moyen qu'à tous les parfums, qu'à toutes les drogues qui ne servent qu'à empoisonner vos étables.

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(4) Euv. de T. Ed. Daire, II, 489; 30 janv. 1775.

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