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Parmi les chansons satiriques dirigées contre le ministre, voici l'une de celles qui eurent alors le plus de vogue :

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Turgot n'était au contrôle général que depuis trois mois et quelques jours, et déjà il avait touché à toutes les branches de l'administration. Il avait rétabli l'honnêteté dans les finances, et il avait su en donner l'exemple. Il avait cassé des baux usuraires, arrêté le gaspillage des domaines de la Couronne. Par détails, et sans éclat, il avait rassuré l'agriculture, enhardi l'industrie et le commerce, allégé en partie le fardeau qui pesait sur le peuple, contribué aux progrès de la science, de la justice et de la raison.

Son principal arrêt avait été celui du 13 septembre: il avait rendu la liberté au blé, ce « captif », comme on l'a appelé (*), qui n'attendait qu'un mot pour prendre l'essor.

Qu'on laissât faire Turgot, et la Révolution s'accomplissait pacifiquement! C'est la pensée qui naturellement s'empare d'abord de tous ceux qui lisent Turgot ou son histoire. Qu'on le laissât faire!

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(1) Le parlement Maupeou.

(2) Vers faux; il fallait sans doute prononcer: • ma rent'. »

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(3) Bach., Mém. secr., VIII, 295 297.

() Michelet, à propos de la liberté du commerce des grains.

Sans doute. Toute la question est là. Mais qui pouvait consentir à le laisser faire? Est-ce le clergé? Est-ce la noblesse? Est-ce le Parlement? Est-ce la finance (1)?

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Il est vrai qu'il avait pour lui le peuple: mais le peuple était ignorant, facile à abuser, et il ne comptait pas dans l'État. Il avait pour lui la plupart des gens de lettres; mais les gens de lettres ne gouvernaient point; à peine s'ils dirigeaient une partie de l'opinion. Enfin, il avait pour lui le roi mais le roi pouvait lui échapper. Le roi d'ailleurs était déjà alors l'esclave de la reine. Il eût donc fallu s'assurer l'appui de la reine, et le conserver: mais comment fixer l'esprit mobile de Marie-Antoinette? Nous prions le lecteur impartial qui serait tenté de répondre à cette question, de revoir d'abord la Correspondance secrète du comte Mercy d'Argenteau.

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(1) J'apprends qu'il y a une forte cabale de quelques financiers contre M. Turgot, écrivait Voltaire le 19 décembre 1774.

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La nouvelle année trouva Turgot au travail. Il méditait la réforme de l'impôt. « Nous espérons pouvoir bientôt nous expliquer sur la répartition des impositions, écrivait-il dans le préambule de lettres-patentes du 1er janvier (1) »; et dans un mémoire qu'il rédigeait pour le roi « La réforme des impositions est un des plus grands biens que Votre Majesté pourra faire à ses peuples (*). » Aucune question, même aujourd'hui, n'est ni plus grave ni plus controversée. Turgot, n'osant proposer encore tous les changements qu'il jugeait nécessaires, se contentait, en attendant mieux, d'introduire des améliorations partielles dans l'économie des vieilles lois fiscales.

Personne n'ignore que la taille, en épargnant le clergé, la noblesse, les fonctionnaires et la bourgeoisie privilégiée, n'en frappait que plus rudement le peuple des campagnes; qu'en atteignant non seulement les terres, mais encore les enclos portant revenus, tels que moulins, forges, usines, etc., elle nuisait aussi bien à l'industrie qu'à l'agriculture. On sait moins en général à quel point cet impôt injuste en principe devenait inique par la répartition arbitraire qui en était faite entre les taillables.

Chaque année, le roi fixait en son Conseil le montant de la taille qu'il lui plaisait de lever sur son peuple. La quote-part de chaque généralité et, dans les généralités, de chaque élection, était

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 368.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 372.

également déterminée par arrêt du Conseil. Notification en était adressée aussitôt aux intendants des généralités et aux trésoriers généraux de France qui composaient auprès de l'intendant une sorte de tribunal administratif nommé bureau des finances. L'intendant se transportait alors au chef-lieu de chacune des élections de sa généralité, assisté de deux trésoriers de France commissionnés exprès. Ils entreprenaient en commun la répartition de l'impôt entre les paroisses. Cette opération se nommait le département. Ils étaient aidés dans ce travail par les officiers de l'élection qui avaient préalablement fait une tournée d'information dans les paroisses de leur ressort. Le département fini, les cotisations afférentes aux paroisses ou communautés étaient notifiées à celles-ci par le greffier de l'élection, d'après une minute signée de l'intendant, des trésoriers de France et des élus.

On pourra jusqu'ici ne rien trouver d'injustifiable dans ce système de répartition (1). Aussi n'est-ce point précisément ce mécanisme savant imaginé par l'administration royale qui était vicieux. Le mal n'était pas là. C'est au seuil de la paroisse qu'il commençait. Le pouvoir central, en effet, n'avait pas voulu assumer la responsabilité d'une répartition entre les habitants des paroisses; il avait craint de se rendre odieux. La somme due par chaque paroisse ou chaque communauté une fois fixée, il abandonnait à la communauté elle-même le soin de répartir l'impôt entre les contribuables. Qu'on nous permette cette expression vulgaire, il se lavait les mains de toutes les injustices qui pouvaient être commises dans ce travail. Il se contentait, à peu près comme fait l'ennemi en pays envahi, de taxer en bloc chaque ville ou village, rendant les habitants. responsables du paiement intégral de la contribution.

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Ceux-ci s'étaient trouvés ainsi contraints de confier à quelques-uns d'entre eux, nommés collecteurs, le soin délicat de dresser les rôles de la taille. On avait en même temps déclaré ces collecteurs responsables de l'acquittement total de l'impôt. Il est facile de comprendre que de telles fonctions fussent peu enviées : il avait bientôt fallu décider que tous les contribuables seraient collecteurs à tour de rôle, que tous successivement passeraient, comme on disait, par la collecte. Qu'on se représente les conséquences d'un tel système. De malheureux paysans, tous ou presque tous illettrés, ignorants et brutaux, se trouvaient de force investis d'une autorité dont ils ne savaient que faire. Ils devaient se livrer « en âme et conscience », suivant l'expression de la loi, aux calculs très compliqués pour eux de la

(1) Au point de vue de nos idées modernes, il avait cependant deux vices capitaux:

10 Denuis la suppression des Etats Généraux, l'impôt n'était point voté, ni librement

consenti par les représentants de la nation. 20 Il était toujours plus ou moins arbitrairement réparti, puisqu'il n'y avait alors ni cadastre, ni rôles exactement établis,

répartition d'une somme fixe entre des contribuables très inégaux en revenus. Mais, par le fait, qu'arrivait-il? Les collecteurs avaient le soin de s'épargner, eux, leurs parents, leurs amis; ils épargnaient aussi ceux qui devaient être collecteurs les années suivantes, afin d'obtenir d'eux le même service. Comme ils redoutaient surtout d'avoir à compléter de leurs deniers le montant de la taille, ils avaient soin de frapper à outrance tous ceux qui avaient la réputation d'être solvables. Aussi chacun tremblait-il de paraître riche, comme le paysan dont parle Jean-Jacques Rousseau. On cachait son argent; on menait à dessein une vie misérable; on prenait garde d'entreprendre aucune industrie, de faire aucune acquisition trop forte, de tenter aucune amélioration trop visible dans son champ ou dans sa maison, de peur d'attirer l'attention des collecteurs. De là des accusations mutuelles, des défiances, des haines, qui n'ont point encore entièrement disparu de nos campagnes (1), malgré la suppression du mal qui les causait. De là des discussions et des procès interminables, par conséquent des frais de procédure onéreux pour tous. De là enfin des difficultés inextricables pour l'administration, et, pour le meilleur des juges, l'impossibilité de discerner la vérité et la justice étouffées et obscurcies dans ce chaos.

La royauté finit par reconnaître quelles étaient les conséquences déplorables du système de non-intervention qu'elle avait adopté d'abord. Des intendants de cœur et de mérite entreprirent de réformer la répartition de la taille. Dans certaines provinces la taille était réelle, c'est-à-dire qu'elle frappait les terres roturières, et non la personne du roturier (2). Il suffisait dès lors de connaître la valeur de chaque terre roturière pour répartir équitablement la taille, qui ressemblait beaucoup, en ce cas, à notre impôt foncier. Mais cette coutume n'était guère suivie que dans la Provence, le Languedoc et le Dauphiné. Presque partout ailleurs la taille était personnelle, c'est-à-dire qu'elle était attachée à la personne du roturier, qu'il fût propriétaire, marchand, fabricant, simple ouvrier ou colon. Un privilégié, possesseur d'un riche domaine ou d'une usine, était exempt de la taille; ses fermiers, ses employés ou ses locataires la payaient. Elle était établie d'après l'estimation approximative de la fortune de chaque roturier. On conçoit combien cette estimation prêtait à l'erreur ou à la mauvaise foi.

Aussi, est-ce dans les pays de taille personnelle que furent tentées des améliorations. Dès 1738, le contrôleur général Orry imagina un essai de taille dite tarifée. Ce système consistait à charger des

(1) De là peut-être aussi la sournoiserie et l'affectation de bêtise traditionnelles chez les paysans de certaines régions.

(2) Il pouvait se faire qu'un roturier possédât

une terre noble: il ne payait pas la taille, dans les pays de taille reelle. Reciproquement, le noble acquéreur de terre roturiere devait la taille.

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