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non plus. « Ne craignez rien, lui dit Louis XVI pour le rassurer, je vous soutiendrai toujours (1). » Toujours! qu'il se trompait sur lui-même, en engageant ainsi l'avenir!

C'est le 12 novembre 1774 que Louis XVI détruisit l'œuvre de Louis XV et rétablit solennellement sur leurs siéges les magistrats que son aïeul en avait chassés.

Il n'appartient à notre sujet de raconter ni la rentrée de la Cour des aides que présida le comte d'Artois, ni le lit de justice tenu par le roi au Parlement (). Disons seulement que Louis XVI, en cette circonstance, se montra médiocre et faible et que le Parlement reçut avec une froide hauteur la grâce qu'on prétendait lui faire. En dépit de quelques restrictions apportées à ses priviléges (3), il conservait le droit de remontrances; il reparut aussi fort, aussi populaire, aussi bien armé qu'auparavant pour cette guerre de chicanes qu'il faisait depuis tant d'années à la royauté (*).

La plupart des magistrats ne virent dans leur rappel qu'un hommage rendu à leur importance et à celle de leur caste; ils en concurent une satisfaction mesquine et égoïste. D'autres se réjouirent sincèrement du droit qui leur était rendu « de plaider auprès du roi législateur la cause de la nation », suivant l'expression de Malesherbes dans son discours de la Cour des aides. Mais Malesherbes était une sorte d'exception dans la magistrature, sinon par sa probité, du moins par ses lumières, son esprit libéral, son amour pour les réformes.

Dans le peuple, le retour du Parlement causa la joie la plus violente. Le Parlement avait combattu la royauté; il était son ennemi; il avait été persécuté comme tel : il était rétabli. La foule n'en demandait pas davantage, elle applaudissait. La police eut grand'peine à contenir l'enthousiasme des clercs du palais. Le roi fut touché des acclamations de son peuple, et se trouva tranquillisé par ces témoignages de l'approbation populaire.

Une partie des gens de lettres se laissa entraîner également. Voltaire crut que le Parlement serait tenu en bride désormais par les précautions prises contre lui (5). Laharpe écrivit pour le Mercure un compte-rendu élogieux de la cérémonie du 12. Collé, secrétaire du duc d'Orléans, composa des couplets de circonstance sous le titre de: les Revenants (*). Il faisait allusion à ce mot de Maupeou, parlant du retour des cours exilées, « qu'il ne fallait pas croire aux revenants. »

(1) Eur. de T. Ed. Daire. Not. hist., LXXXI. (8) Relevons cependant un détail interessant. Le nom d'Etats Genéraux fut prononcé. Le comte de Creutz, ambassadeur de Suède, qui assistait au lit de justice, écrivit à Gustave III: Quand l'avocat géneral, prenant..... la parole, a prononce le nom d'etats généraux, le roi a relevé la tête et lancé sur lui un regard foudroyant. (Geff., Gustare III et la Cour de France, I, 304.)

......

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(3) L'art. 32 du lit de justice instituait un tribunal chargé de juger, si le cas échéait, les magistrats du Parlement. C'était une cour dite plénière. L'art. 13 attribuait éventuellement au Grand Conseil les droits et les fonctions du Parlement. Les art. 10 21 apportaient diverses entraves aux convocations des assemblées. (4) V. H. Martin, XVI, 336,et Lacretelle, IV,362. (5) Bach., Mém. secr., VII. 289.

(6) Corr. Métr., I, 148.

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Citons enfin une lettre de Beaumarchais à Sartines, datée du 14: << Laissant à part toute espèce de protocole et de préambule, je vais vous dire tout l'effet qu'a produit le grand événement d'avant-hier. Jamais sensation n'a été plus vive, plus forte, plus universelle. Le peuple français était devenu fou d'enthousiasme, et je n'en suis point surpris. Il est inouï qu'un roi de vingt ans, auquel on peut supposer un grand amour pour son autorité naissante, ait assez aimé son peuple pour se porter à lui donner satisfaction sur un objet aussi essentiel. On ne sait pas encore les conditions de l'édit, mais on sait que le fond des choses est bon, que le principe fondamental est rétabli; et cela suffit quant à présent aux bons esprits pour être pénétrés de reconnaissance et de joie. On croit que vous aurez de fortes représentations relativement à la cour plénière et autres objets... Toute la faction des évêques, prêtres et clergé, est furieuse de sentir que le roi leur échappe; mais il vaut mieux qu'ils murmurent d'un acte de justice et de bonté, qui montre un prince libre et maître de ses actions, que s'ils avaient changé sa mâle jeunesse en un esclavage saintement funeste au royaume. ...Tout ce qui tient au clergé jette feu et flamme. Les laisser dire est un petit mal. Les laisser faire serait un des plus grands maux qui pussent affliger ce royaume. Le clergé est un corps en quelque sorte étranger dans l'État, et qui a toujours eu l'ambition de le dominer en s'emparant de la personne du prince (1). »

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La reine fut enchantée. « J'ai bien de la joie, écrivit-elle à sa mère, de ce qu'il n'y a plus personne dans l'exil et le malheur (2). » Mais Marie-Thérèse ne pensait point comme sa fille, trop prompte à se réjouir du succès d'un parti qu'elle avait pris à la légère sous sa royale protection. L'impératrice avait la clairvoyance d'une mère et celle d'un grand politique. Elle redoutait pour la monarchie dont les destinées étaient liées à celles de Marie-Antoinette les suites du rappel du Parlement. « Il est incompréhensible, disait-elle à Mercy, que le roi et ses ministres détruisent l'ouvrage de Maupeou (3). »

C'était une faute en effet, comme l'avait très bien compris Turgot, et une grande faute, au point de vue de l'avenir de la monarchie. Tous nos historiens sont d'accord à cet égard, et nous ne songeons point à les contredire. La plupart des Mémoires du temps expriment le même avis. Le duc de Lévis, dans ses Souvenirs et Portraits, est plus affirmatif que personne. Les Parlements étaient détruits, dit-il : cependant la justice fonctionnait régulièrement; à quoi bon les rétablir? Les nobles de robe boudaient, il est vrai; mais si Louis XVI se fût déclaré décidé à laisser les choses en l'état, les nobles de robe

(1) Beaumarchais. Eur., VI Corresp. Lettre à Sart., 14. nov. 1774.

(2) D'Arn. et Geff., Mar.-Ant., II, 253.
(3) Id., 252.

se seraient bientôt lassés de ce rôle ennuyeux. Il n'y avait qu'à attendre et à ne rien faire. Et il ajoute : « Cette faute eut les suites les plus funestes. » Un auteur déjà ancien, et d'ailleurs médiocre, l'abbé Des Odoards va plus loin. Il pense que Louis XVI aurait dû dès cette époque convoquer les États Généraux. Peut-être. Mais n'eût-ce. pas été avancer simplement de quinze années la Révolution française? Pour l'œuvre de réforme entreprise par Turgot, pour Turgot luimême, le rappel des Parlements était une véritable défaite, et les conséquences ne tardèrent pas à s'en faire sentir: nous n'y arriverons que trop tôt.

Déjà de sourdes menées étaient dirigées contre Turgot. Le clergé, irrité du rappel des Parlements, en rendait responsable le ministère tout entier. Il attaquait la personne du roi, qui obéissait à de tels hommes. Il s'efforçait d'exciter la colère du Parlement en lui persuadant qu'il avait été joué et qu'après l'avoir rétabli pour la forme, on saurait se passer de ses avis, gouverner sans lui et contre lui. Cette dernière opinion était celle de gens d'esprit très fin qui prêtaient au roi comme à ses conseillers une perfidie gratuite, et s'efforçaient de trouver dans ses desseins une profondeur de calcul qui n'y était guère. « Ce qu'il y a de certain, écrivait Beaumarchais à Sartines, c'est que quelque grand personnage souffle le feu; car je n'ai guère vu d'acharnement pareil. N'y aurait-il pas ici un peu du d'Aiguillon? Cela ressemble assez à sa manière de procéder... Je vous ai promis de vous mander ce que pensent les princes... Je n'ai encore vu que M. le prince de Conti... Je vois à sa circonspection même qu'il a deviné le secret du ministère. Voulez-vous que je vous le dise tout bas ce secret? Mais c'est mon opinion que je vous donne, et non celle du prince : les églisiers vont partout rageant et répétant qu'il n'y a plus en France qu'un Parlement et qu'un Roi. Et moi je crois fermement qu'il n'y a plus en France qu'un Roi et point de Parlement... Il paraît qu'on cherche à bien aigrir ce corps chancelant contre le jeune roi, pour semer de nouveaux troubles et en profiter; mais quoiqu'on soit très affligé au palais, je vois que tous les esprits se tournent à la modération. Les prêtres disent seulement que le roi est un impie que Dieu punira, et vous autres des monstres qu'on le forcera bientôt de chasser (1). »

Le Parlement inquiet et mécontent, le clergé absolument hostile, c'est plus qu'il n'en fallait pour créer de sérieux embarras au ministère. Comme Turgot l'avait deviné dès le premier jour, il n'avait d'autre appui que la confiance et la fermeté du roi. Que cet appui était fragile!

(1) Beaumarch., Eur., VI, Corresp.

CHAPITRE X

L'Épizootie du Midi : première partie (').

(De septembre à décembre 1774)

Depuis son avénement au contrôle général, Turgot suivait avec inquiétude les progrès de l'épizootie qui ravageait les provinces méridionales. La maladie s'était probablement introduite par le pays basque et par la frontière d'Espagne. Elle n'était pas absolument nouvelle. Dès le 31 janvier 1771, il en est question dans un arrêt du Conseil (2). Le gouvernement ordonnait des précautions contre la propagation du mal, et afin d'être exactement renseigné, accordait aux propriétaires le prix de la première tête de bétail déclarée. Le 20 juin 1774, l'intendant de Bordeaux Esmangard se plaignait, dans une ordonnance, qu'on écorchât sans précaution les bêtes malades et qu'on jetât les cadavres à la voirie. Il prescrivait de « parfumer >> et de blanchir les écuries, d'empêcher toute communication entre les animaux sains et les animaux malades, d'enterrer les bêtes mortes dans des fosses garnies d'épines, le tout sous peine d'amende (3).

Il semble qu'à cette époque l'épidémie n'eût guère dépassé les limites des généralités de Pau et de Bayonne. Une dépêche de l'intendant d'Auch Journet annonça le 23 août à son collègue de Guienne que la maladie venait de pénétrer dans son département. Elle avait été introduite par des bœufs achetés à Saint-Justin (actuellement dans le département des Landes, alors dans la généralité de Bayonne). Journet annonçait qu'il avait pris une ordonnance pour rendre exécutoire l'arrêt du 31 janvier 1771, et qu'il avait demandé à Bertin (ministre chargé de l'agriculture) un élève de l'école vétérinaire (*).

Le 4 septembre, le sieur Verdalle demandait au ministre Bertin un privilége exclusif pour le transport des marchandises de Bordeaux à Bayonne, en invoquant cette raison que l'épidémie apportait une grande gêne aux relations entre ces deux villes, et qu'il avait droit à un encouragement de l'État. Esmangard consulté refusa d'accorder

(1) V. la suite liv. II, chap. II.

(2) Arch. départ. Gir., C. 64. Depuis cette époque, elle avait à peu près disparu une première fois, puis s'était manifestée de nou

veau en mai 1774. (Recherches historiques sur les
maladies épizootiques, de Paulel, 2 v. in-8o, 1783.)
(3) Arch. dep. Gir., C. 64.
(4) Id., C. 65.

ce privilége. L'épidémie entrave les transactions commerciales, il est vrai, mais << c'est une raison de plus, dit-il, pour ne point restreindre l'émulation de ceux qui voudront entreprendre des charrois par des mulets ou des chevaux, cette espèce étant affranchie de la maladie dont il s'agit. » La liberté du roulage existe d'ailleurs pour les ballots ne dépassant pas 50 livres. Le sieur Verdalle peut user de cette liberté. Quant aux ballots plus lourds, le transport en est réservé aux fermiers des messageries (1).

Sur ces entrefaites, Turgot était devenu contrôleur général. Le premier de ses actes relatifs à l'épidémie est une lettre du 8 septembre adressée à l'intendant Journet. Les généralités d'Auch et de Bayonne étaient encore séparées, et M. d'Aine était intendant de Bayonne. Le ministre déclare qu'il approuve les mesures prises par les deux intendants contre l'invasion de l'épizootie ().

Le 17, l'intendant de Bordeaux Esmangard adresse un rapport au ministre Bertin. Il s'est efforcé d'empêcher l'introduction de la maladie dans sa généralité. Cependant, le mal a pénétré dans le Condomois par deux endroits à la fois. La mortalité est également considérable aux environs de Saint-Émilion. Il a envoyé à ses subdélégués deux élèves de l'école vétérinaire. Il a fait rendre un arrêt par le Parlement de Bordeaux et en a distribué partout des exemplaires. Ila chargé la maréchaussée d'en surveiller l'exécution (3). On put craindre à plusieurs reprises, pendant le cours de l'épizootie qui désola le Midi, que le mal ne se déclarât en même temps sur plusieurs autres points du territoire français. C'est ainsi que le 30 septembre Turgot écrivait à M. de Cypierre, intendant d'Orléans, pour approuver les mesures qu'il avait adoptées contre la propagation d'une épidémie semblable à celle de Guienne, dans l'élection de Romorantin ('). Nous aurons l'occasion de citer d'autres exemples analogues. Cette épidémie de Romorantin n'eut pas d'ailleurs de suites, comme le prouve une lettre de Turgot du 22 novembre suivant.

Cependant Esmangard avait adressé à Turgot les mêmes renseignements qu'à Bertin. Turgot lui répondit le 6 octobre. Un passage de cette lettre mérite d'être cité textuellement : « Vous n'auriez pas dû engager le Parlement à rendre un arrêt. Les ordres à donner en pareilles circonstances étant de pure administration, doivent émaner de l'autorité du roi, et ne peuvent regarder les cours uniquement destinées à rendre la justice (3). » Cette déclaration, faite au moment même où il était question de rappeler l'ancien Parlement, est caractéristique.

Esmangard envoya bientôt (le 13 octobre) des renseignements qui

(1) Arch. dép. Gir., C. 71. geries, voir liv. II. chap. xII. (2) Arch. nat., F. 12, 151.

Pour les messa

(3) Arch. dép. Gir., C. 71.
(4) Arch. nat., F. 12, 151.
(5) V. Pièc. just. no 8.

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