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écrivait-elle le 19 septembre, j'ai bien de la peine à croire que M. Turgot puisse en rien suivre ou exécuter les projets de M. l'abbé Terray. Si cependant, par impossible, il venait à vouloir agir d'après ce plan, M. de Vaines (1) serait à portée de vous rendre service. Il ferait l'impossible pour vous obliger. » Et le 22 : « J'ai vu M. Turgot, je lui ai parlé de ce que vous craigniez sur les domaines. Il m'a dit qu'il n'y avait point encore de parti pris sur cet article; que M. de Beaumont (*), intendant des finances, s'en occupait, et qu'en attendant, les compagnies que l'abbé Terray avait créées pour cette besogne avaient défense d'agir. M. Turgot m'a ajouté que, dès qu'il serait instruit par M. de Beaumont, il me dirait s'il y avait quelque chose de projeté ou d'arrêté sur les domaines; mais qu'en général il y aurait un grand respect pour la propriété. Je ne m'en tins pas là : je dis votre affaire à M. de Vaines, et il me répondit nettement : « Qu'il soit bien tranquille; le projet de l'abbé Terray ne sera jamais exécuté par M. Turgot, j'en réponds (3). »

Turgot ne pouvait, en effet, approuver une transaction qui mettait à la merci de financiers avides toute une classe de propriétaires, et portait un préjudice réel au Trésor, en aliénant pour un bénéfice immédiat, même fort élevé, les ressources de l'avenir. Ce genre d'expédient, à la portée de tous les mauvais régimes, était trop en harmonie avec le reste de la politique financière de Terray pour plaire à Turgot.

Mais que faire pour remplacer les 1,564,000 livres payables en octobre, et dont l'emploi était déjà arrêté ? Rendre la régie des domaines réels aux fermiers généraux? Ils s'étaient montrés absolument inhabiles à cette administration. Les confier aux receveurs généraux des domaines et des bois? Mais, consultés, ils n'avaient pu promettre les fonds, et ils n'étaient pas tous intelligents. Il n'y avait qu'un parti à prendre c'était de former une autre régie spéciale pour lés domaines. Ce fut la décision édictée par l'arrêt du Conseil du 25 septembre.

Cette régie fut établie pour neuf ans. Les régisseurs devaient fournir 6 millions d'avances remboursables (à 1 million par an) seulement pendant les six dernières années du bail. L'intérêt fut fixé à 6 0/0 avec retenue du dixième, ce qui le réduisait à 50/0. L'État leur abandonna, outre les domaines réels (les terres), la perception des droits féodaux et seigneuriaux casuels (éventuels, tels que les droits de mutation, lods et ventes, etc.) sur les terres de la mouvance du roi, et le soin d'une ferme particulière qui avait été formée pour quelques domaines réunis par le décès des engagistes.

(1) Il avait dans ses attributions les comptes du Tresor (V. ch. IV précédent).

(2) Il avait dans ses attributions le conten

tieux des domaines (V. ch. IV précédent!). (3) Lettre de Mlle de Lespinasse à Guib., 19 ét 22 sept. 1774.

qui n'en avaient joui qu'à titre viager. La recette annuelle de cette régie était estimée de 4,100,000 fr. à 4,340,000 fr. Les droits de présence des régisseurs furent réglés, comme l'intérêt de leurs fonds, à 50/0 du capital de leurs fonds d'avances, et soumis aux mêmes gradations en raison des remboursements successifs. Enfin, en calculant les remises qui leur étaient accordées en raison du produit, et les frais de bureau de toute espèce, cette opération revenait seulement à 16 deniers pour livre de coût au Trésor.

Cinq jours après l'arrêt, Mlle de Lespinasse écrivait à son ami: << Tout ce que l'abbé Terray avait fait, ou projeté de faire sur les domaines, est comme non avenu : tout a été détruit, cassé, annulé; en un mot, vous devez être aussi tranquille sur la propriété de monsieur votre père, que vous l'étiez il y a dix ans. C'est M. Turgot qui me l'a assuré hier (1). »

Le 28 du même mois, Turgot écrivit une lettre-circulaire aux intendants sur les octrois municipaux (2). Il s'était aperçu qu'il n'y avait rien de plus irrégulier en général que la perception des droits d'octroi dans les villes et les simples communes. Les fermiers de l'octroi étaient souvent avides, ou les officiers municipaux négligents. De là, mille procès coûteux. Les tarifs frappant de droits légers une foule de marchandises diverses rendaient la perception très minutieuse, très aisée à éluder ou très vexatoire. Presque partout les bourgeois des villes avaient trouvé moyen « de s'affranchir de la contribution aux dépenses communes, pour la faire supporter aux moindres habitants, aux petits marchands et aux propriétaires ou pauvres des campagnes. » Presque partout les droits frappaient de préférence les denrées consommées par les pauvres; le vin des cabarets était taxé; celui des propriétaires ne payait rien. Souvent aussi les officiers municipaux négligeaient de tenir un compte exact de l'administration des deniers publics, ou ils entreprenaient, sans nécessité, des dépenses considérables. Les charges de l'octroi s'accroissaient ainsi sans cesse; les villes et les communautés s'endettaient; elles étaient forcées d'implorer le secours de l'État.

Bien que déjà ancien, cet état de choses ne nous est pas absolument inconnu, au moins en partie. Turgot s'en inquiétait vivement. Il engagea donc les intendants à faire corriger les tarifs, « à supprimer les priviléges odieux que les principaux bourgeois s'étaient arrogés au préjudice des pauvres et des habitants des campagnes. » Il leur demanda un état exact des tarifs et des droits d'octroi. Il leur recommanda de surveiller l'emploi des fonds municipaux, de rendre personnellement responsables des dépenses faites les administrateurs

(1) Lettre à Guib., 3) sept. 1774.

(2) Euvres de T. Ed. Daire, II, 434.

qui dépasseraient les sommes allouées par le budget annuel de chaque ville ou communauté, d'exiger enfin une scrupuleuse exactitude dans leur comptabilité.

A part la tutelle des municipalités que s'était attribuée l'État, c'étaient là d'excellentes instructions. Furent-elles suivies d'effet? On peut craindre que non. Et Turgot, d'ailleurs, eut-il le temps de se faire obéir? A vrai dire, il n'y eut de réellement efficaces, pendant son ministère, que ceux de ses actes qui purent être immédiatement exécutés. De ce nombre est la décision qui rendit provisoirement la vie aux Éphémérides du citoyen, de l'abbé Baudeau. Elles avaient été supprimées sous Terray, en 1772. Elles reparurent sous le titre de Nouvelles Éphémérides.

Morellet ne fut pas moins heureux que Baudeau. Il avait composé dix ans auparavant un ouvrage intitulé: De la liberté d'écrire et d'imprimer sur les matières d'administration. Laverdy, alors contrôleur général, avait fait rendre un arrêt du Conseil qui défendait à Morellet de publier son manuscrit, sous peine d'être poursuivi extraordinairement. Il avait écrit à mi-marge: « que pour parler d'administration il faut tenir la queue de la poële, être dans la bouteille à encre, et que ce n'est pas à un écrivain obscur, qui souvent n'a pas cent écus vaillant, à endoctriner les gens en place (1). » Grâce à Turgot, le livre de Morellet put enfin voir le jour. Il parut avec cette épigraphe empruntée à Tacite : « Rara temporum felicitate, ubi sentire quæ velis, et quæ sentias dicere licet (2). »

(1) Morell., Mém.

(2) Tac., Hist., I, 1.

CHAPITRE VIII

Détails d'administration.

(Octobre et Novembre 1774.)

La popularité du contrôleur général allait croissant. Elle effaçait peu à peu celle de Choiseul. On désertait Chanteloup, qui avait été si longtemps le pèlerinage à la mode pour les opposants et les libéraux (1). A Chanteloup même, ne fût-ce que pour faire comme tout le monde, on était contraint d'admirer et d'applaudir Turgot. De la part de Mme de Choiseul, femme aimable et bonne autant que sensée, cette admiration pouvait être sincère. Aussi la vieille ennemie des nouveautés et des réformes, Mme du Deffand, écrivait elle sur un ton aigre-doux à l'abbé Barthélemy, le spirituel et savant ami, l'hôte assidu et le secrétaire de Mme de Choiseul: « On m'a dit qu'on était charmé chez vous de votre nouveau contrôleur général. Vous allez tous devenir encyclopédistes: il faut souhaiter que les gens des marchés et des halles le deviennent aussi (2). »

N'en déplaise à la marquise qui méprisait presque autant les encyclopédistes que les gens des halles et des marchés, bien des hommes de qualité briguaient l'honneur de servir le nouveau régime. Parmi eux était Guibert, l'ami de Mlle de Lespinasse. Celle-ci se donnait beaucoup de mal pour le faire appeler officiellement à Paris. Elle parlait de lui à Turgot, à M. de Vaines. Elle priait Guibert d'écrire à Turgot. Elle priait Turgot de lui répondre. Et le jeune colonel remerciait le ministre (3). C'est ainsi que Guibert, dont l'esprit curieux visait à l'universel, épris tour à tour de poésie, d'histoire, de philosophie et d'art militaire, fut amené sans doute à s'occuper aussi de réformes administratives et de questions financières. Il fut mandé par Turgot à Paris en novembre.

Le monde élégant se pressait chez Turgot, quand il voulait bien ouvrir sa porte. Le belle comtesse de Boufflers s'asseyait à sa table près de l'archevêque d'Aix (Boisgelin) et de Mlle de Lespinasse.

Du fond de sa retraite, Voltaire ne cessait de songer à Turgot. Il avait établi à Ferney, à grands frais, disait-il, une colonie d'artisans,

(1) Mlle de Lespinasse à Guib., 9 oct. 1774. (2) Corr. de Mine du Deff. Ed. Lévy, III, 154.

(3) Mlle de Lespinasse à Guibert, 9 et 14 octobre 1774.

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et l'une de ses grandes occupations était de le répéter, de l'écrire à ses amis, de s'en vanter à tout propos. Toujours prêt à se plaindre et à récriminer, il réclamait énergiquement contre les abus des commis de la nouvelle Ferme du marc d'or. Il les accusait, non sans raison vraisemblablement, d'effaroucher sa colonie, si bien que cent pères de famille étaient sur le point de l'abandonner; et il chargeait d'Argental d'intercéder auprès du ministre en faveur de ses protégés (1).

Cependant Turgot travaillait toujours; n'osant et ne pouvant encore entamer des réformes générales, il s'efforçait d'y préparer les esprits par des réformes de détail.

Les bourgeois de Paris et autres privilégiés jouissaient de l'exemption de droits sur les denrées provenant de leurs terres et destinées à la consommation de leurs maisons. Sous ce prétexte, ils introduisaient en ville à peu près tout ce qu'ils voulaient, et d'autres qui n'avaient point les mêmes priviléges ne se faisaient point faute de les imiter. Par arrêt du 2 octobre, le bureau d'enregistrement pour les titres de propriété de cette classe de privilégiés fut réorganisé et installé à l'hôtel de Bretonvilliers (2). Ces titres furent sévèrement vérifiés () Turgot ne pouvant supprimer l'abus, s'efforçait de le restreindre. La Révolution seule l'a aboli.

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On sait combien étaient lourds sous l'ancienne monarchie les impôts indirects, et notamment la gabelle. Les fermiers, par intérêt et par métier, s'efforçaient sans cesse de l'accroître. Sur leurs instances, le Conseil d'État avait rendu le 3 octobre 1773 un arrêt qui avait soulevé de la part de plusieurs des provinces du centre les plus vives réclamations. En vertu de cet arrêt, l'adjudicataire des Fermes avait obtenu le droit exclusif d'approvisionner de sel les dépôts de Riom et d'Aubusson, au détriment des fournisseurs et des minotiers qui exerçaient auparavant ce métier. Or, depuis longues années, la province d'Auvergne s'était rédimée des droits de gabelle par une augmentation sur la taille. L'arrêt ne tendait donc à rien moins qu'à rétablir ces droits sous un autre nom. Il avait en même temps, aux yeux de Turgot, l'inconvénient grave de porter atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Après avoir lu les requêtes des deux parties, le Conseil, sur l'avis du contrôleur général, et par décision du 14 octobre 1774, cassa l'arrêt qu'il avait précédemment rendu. L'Auvergne, le Limousin et autres pays rédimés du centre conservèrent leurs antiques priviléges (*). On peut s'étonner qu'un ministre novateur se fût déclaré en cette occasion le conservateur des vieilles coutumes, mais il considérait

(1) Corr. de Volt., 23 sept. et 10 oct. 1774. Voir plus loin un chapitre spécial: liv. II, ch. xvi, Turgot, Voltaire et le pays de Gex.

(2) Quai de Béthune, île Saint-Louis.
(3) Anc. 1. fr., XXIII, 41.

(4) Eur. de T. Ed. Daire, II, 399.

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