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avait loués à sa terre de La Motte aux compagnies chargées d'achat et d'emmagasinement des blés pour le compte de Sa Majesté, avait fait paver une route magnifique depuis le grand chemin jusque chez lui, avec des ponts et des quais, et cette dépense était évaluée de 4 à 500,000 fr. Il fut agité au conseil de lui faire payer cette somme comme employée uniquement à son profit; et Sa Majesté décida que cela serait ainsi (1). »

Le traitement du contrôleur général était de 142,000 fr. par an, sans compter le pot-de-vin dont il vient d'être question. Turgot régla lui-même sa place, comme on disait alors, à 80,000 fr. En matière d'économies, c'était assurément prêcher d'exemple (*).

Il y avait un banquier de la Cour ou du Roi, charge inutile et onéreuse pour l'État et qui semblait solliciter l'emprunt, en même temps qu'elle en diminuait la liberté. Elle fut supprimée (3).

Les fonds de la régie des domaines réels (dont il sera question au chapitre suivant), ceux de la régie des hypothèques, ceux qui restaient du dernier emprunt en rentes viagères fait par Terray, furent employés par Turgot à éteindre les anticipations, à relever le crédit, à diminuer les frais de banque, de commissions, de remises et de services des trésoriers. Dupont de Nemours, comparant l'année 1775 avec l'année moyenne des onze années antérieures, estime que Turgot avait économisé 5,750,000 fr. sur ces sortes de frais (1).

Turgot eut à se prononcer, vers la même époque, sur une question qui, par son côté financier, relevait de son administration : la reconstruction de la Comédie Française. Le théâtre que les comédiens occupaient rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés (5) menaçant ruine, ils avaient été forcés de l'abandonner en 1770. Ils étaient allés s'installer au théâtre des Tuileries, pendant qu'on délibérait sur la construction d'une autre salle. A ne consulter que leur goût, on aurait simplement rebâti leur ancien théâtre. Mais en 1773, Louis XV acheta au prince de Condé son hôtel, voisin du Luxembourg, et le lui paya 3 millions. Pour en utiliser l'emplacement, on songea à y construire la Comédie Française. Moreau, architecte du roi et maître général des bâtiments de la ville, dressa un projet dont le devis allait à plus de 7 millions. Louis XV lui-même hésita d'abord devant l'énormité de la dépense. Un autre projet, celui de Liégeon, qui voulait transformer en théâtre la salle du Jeu de Paume du carrefour de Bussi, ne devait coûter que 2,100,000 fr.

Quand Turgot devint ministre, on avait fini par adopter le plan de Moreau, et celui-ci, pour empêcher le gouvernement de se dédire, pressait activement les travaux commencés à l'hôtel de Condé.

(1) Mém. sur Terr., 239-240.

(2) Corr. Métr., I, 108.

(3) Dup. Nem., Mém., II, 25.

(Dup. Nem., Mém.,, II, 24.

(5) Actuellement nommée rue de l'AncienneComedie, no 14.

Il disait qu'il y avait déjà 100,000 écus (300,000 fr.) de dépenses faites (1).

<< Par une circonstance heureuse pour le sieur Liégeon, dit le continuateur de Bachaumont, le changement de contrôleur général ranime son espoir, et fait de nouveau concourir son projet avec celui de l'architecte de la ville. Un sieur de La Croix (2), secrétaire de M. Turgot, avait eu connaissance du projet du sieur Liégeon, l'avait goûté, lui avait même écrit à cette occasion. Il a profité du moment favorable pour mettre sous les yeux de M. Turgot les projets de dépenses des deux salles, et pour faire voir à ce ministre combien celle du sieur Moreau passerait celle du sieur Liégeon, au point que les avances déjà faites ne pouvaient empêcher de suspendre l'exécution des travaux commencés, puisque le bénéfice serait encore très considérable. M. Turgot a senti, du premier coup d'œil, la vérité de ce parallèle, et provisoirement, afin de donner le temps d'examiner la chose plus mûrement, il vient de faire arrêter les travaux de l'hôtel de Condé (3). »

Turgot abandonna donc le plan de Moreau par esprit d'économie. Il est vrai qu'il n'exécuta pas non plus celui de Liégeon. Il n'en eut probablement pas le temps. En 1779, on revint aux idées de Moreau, mais on adopta un emplacement plus rapproché du Luxembourg; les travaux furent terminés en 1782. C'est ainsi que fut construit le théâtre actuel de l'Odéon.

Tandis que Turgot s'efforçait d'introduire l'ordre dans les finances, le public agitait avec ardeur toutes les questions qui se rapportent à cet objet. La liberté de la parole et de la presse allait tous les jours grandissant. L'impôt surtout passionnait. Chacun avait son plan, son système, et le déclarait le meilleur; chacun prétendait même faire agréer ses idées du contrôleur général. « M. Turgot a donné audience publique, écrivait Baudeau le 1er septembre. Un faiseur de projets s'est approché pour lui offrir une affaire qu'il disait très avantageuse au roi. Le ministre lui a répondu : « Monsieur, je crois votre projet » fort bon; je le recevrai avec un grand plaisir, et je n'en rejetterai » aucun; mais il faut que vous preniez la peine de le faire imprimer, » car je n'en reçois pas d'autres.» Cette réponse a confondu le projeteur et fait grand plaisir à tous les assistants (*). »

Turgot annonçait par là l'intention de bannir tout mystère de l'administration, et de faire sans cesse appel à l'opinion publique pour la recherche et le jugement des meilleurs plans financiers. Les esprits chagrins s'effrayèrent de cette liberté. On trouve l'écho de

(1) G. de Saint-Fargeau, Les quarante-huit quartiers de Paris, 497.

(2) De La Croix n'était pas secrétairo de Turgot, mais chef de bureau au contrôle général; il avait dans ses attributions l'examen

des mémoires et projets de finances (V. liv. I, chap. m).

(3) Bach., Mém. sec., VII, 244. La rue de Condé rappelle encore l'ancien hôtel disparu. (4) Chr. secr., 406.

leurs doléances dans ce passage de la Correspondance Métra: << Il est à présumer que M. Turgot, en accordant aux faiseurs de projets qui l'obsédaient, la liberté de faire imprimer leurs productions, a retenu dans ses bureaux les mémoires qui contenaient des vues sages et justes. Une foule d'écrivains ont travesti à leur manière les rêveries ingénieuses des Vauban, des Mirabeau, et de plusieurs autres prétendus politiques, économistes, etc., et il n'en est résulté ni du bon, ni du raisonnable. Nous sommes inondés actuellement de brochures, qui ne sont que des observations ou des critiques insipides sur le plan économique de M. des Glanières, dont les gazettes n'ont que trop parlé, et qui ne méritait pas l'examen. On pourrait, tout au plus, en dire ce que M. de Voltaire a dit des projets du fameux abbé de Saint-Pierre: « Ce sont les rêves d'un honnête citoyen (1). »

Le << faiseur de projets » était en effet Richard des Glanières ou de Glanières (*). Il avait mal compris le sens des paroles de Turgot et son refus de lire le manuscrit qu'il lui présentait. Turgot dut lui écrire pour lui expliquer ses intentions. « Lorsque je vous dis, >> Monsieur, de faire imprimer votre projet, c'était pour mettre » le public à portée de le juger. Je suis donc bien éloigné de » m'opposer à la distribution des exemplaires, et vous êtes bien. >> le maître de la commencer aussitôt que votre ouvrage sera » imprimé (). »

L'ouvrage de Richard de Glanières parut en effet un peu plus tard (commencement d'octobre), sous ce titre : Plan d'imposition économique et d'administration des finances, présenté à Monseigneur Turgot, etc. Il était revêtu d'un privilége scellé contrairement à l'usage établi pour ces sortes d'opuscules, et cette circonstance fit croire qu'il était entièrement approuvé par le gouvernement. L'auteur réclamait une taille réelle, également répartie sur tous les biens, et tarifée de 3 à 500 livres d'après les déclarations des propriétaires, avec de fortes amendes pour ceux qui auraient dissimulé une partie de la valeur des immeubles; et en même temps un droit de franchise ou capitation atteignant indistinctement tous les habitants du royaume, chefs de famille, femmes, garçons, filles, enfants, voire même chevaux, boeufs, vaches, ânes, cochons, chèvres, moutons, brebis. C'était la partie comique du projet, d'ailleurs très hardi dans le fonds. Le Mercure de France critiquait fortement ce plan; il demandait qu'avant d'étudier un nouveau système d'impôt, on étudiât les sources véritables des richesses. Comme mesure d'intérêt immédiat, il proposait que les communautés souscrivissent des billets représentant leurs impôts, que ces billets fussent garantis par le

(1) Corr. Métr., I, 157.

(2) Mais non des Glandières comme l'appelle P. Clément.

(3) Bach., Mém. secr., VII, 251. Nous n'avons jamais pu retrouver cette lettre de Turgot.

district, et devinssent billets d'État; idée remarquable et féconde, qui a quelque analogie d'une part avec les obligations des receveurs généraux imaginées plus tard par Bonaparte, et d'autre part avec les grandes applications du crédit moderne (1).

De son côté, l'école économiste prit la parole, et les « Questions proposées par l'abbé Baudeau » réfutèrent, au nom des principes, une partie des idées de Richard de Glanières. « M. l'abbé Baudeau, disent les Mémoires secrets qui portent le nom de Bachaumont, économiste dans les mêmes principes que M. Richard de Glanières, mais qui a plus de tête, plus de méthode, plus de raisonnement et plus de style, vient de lui faire une réponse dont se prévalent les ennemis du projet, mais qui, au fond, n'en est que la confirmation plus sage, plus réfléchie et plus développée (2). »

Une puérilité de Richard de Glanières déchaîna contre lui la colère des financiers. On appelait par dérision les fermiers généraux les colonnes de l'État. L'auteur avait inséré dans son ouvrage deux estampes. L'une représentait « une colonne minée par les fondements, percée à jour de toutes parts, dégradée et vacillante sur sa base; l'autre..., une colonne bien droite, ferme, solide, et n'ayant que l'ouverture nécessaire. Il avait joint une explication à l'une et l'autre figure. La première, disait-il, désignait l'administration des Fermes. dont il énonçait les vices principaux; la seconde, l'administration nouvelle dont il traçait le plan et faisait voir les qualités essentielles (3). » Il fallut que le gouvernement intervînt. L'ouvrage de Richard de Glanières fut arrêté; il ne se vendit plus que clandestinement; il n'en fut d'ailleurs que plus recherché. On voulut savoir quel était l'auteur de l'écrit prohibé, et connaître sa personne. On apprit que c'était un homme peu aisé, mais qui avait exercé d'importants emplois dans l'administration.

Il va sans dire que Turgot ne fut pour rien dans les mesures prises par le gouvernement contre l'ouvrage de Richard de Glanières. L'opinion soupçonnait même que les économistes n'étaient pas entièrement étrangers à cette publication. Il est difficile de savoir que penser à cet égard; mais les financiers n'hésitèrent point, et, s'emparant de l'incident, ils accusèrent hautement Turgot de comploter avec leurs ennemis.

(1) Merc. Fr., oct. 1774. (2) Bach., Mém. secr., VII, 263.

(3) Bach., Mém. secr., VII, 257.

CHAPITRE VII

La liberté du commerce intérieur des Grains (Arrêt du 13 sept. 1774). L'affaire des Domaines.

(Du 13 septembre au 1er octobre 1774.)

Les premiers essais de Turgot (que nous venons d'enregistrer) n'avaient ému que le monde des bureaux et celui de la finance. Le public proprement dit en avait été à peine instruit. On attendait avec impatience que le nouveau contrôleur général marquât par quelque acte décisif son arrivée au pouvoir. Tous avaient les yeux fixés sur lui.

L'événement qui inaugura réellement le ministère, fut l'arrêt qui rendait la liberté au commerce des blés dans l'intérieur du royaume. Dès le 7 septembre, Baudeau écrivait dans son journal: « La déclaration du 25 mai 1763 sur la liberté du commerce intérieur va être rétablie par arrêt du conseil, qui passe l'éponge sur tous les barbouillages de l'abbé Terray (1). »

Le 12 septembre, il s'occupait de nouveau de l'arrêt projeté : « Le public attend une nouvelle loi sur la liberté du commerce des grains et des farines, et on en dit là-dessus de toutes les couleurs, les uns pour, les autres contre. Mais les plus grandes absurdités sont dites par les gens de cour, comme de raison (1). »

Le 13: « Les maltôtiers craignent fort le bon Turgot; ils se flattent que la liberté du commerce des grains le perdra; les mauvais prêtres se mettent de la partie. Ces deux maudites cabales y perdront leur latin, à ce qu'il faut espérer (3). »

Le 18, Baudeau ignorait que l'arrêt avait été signé au conseil des finances, à la séance du mardi 13 (on sait que ce conseil s'assemblait chaque mardi). « Il y a de beaux bruits contradictoires, disait-il, sur le futur arrêt du conseil concernant le commerce des grains. Les uns disent que c'est l'exportation, les autres que c'est la confirmation des anciens principes ou tout au plus le changement d'une compagnie pour une autre. Les approvisionneurs Saurin et Doumer (*) se vantent de continuer leur tripotage; d'autres assurent qu'ils seront cassés. Les prêtres et les fripons cabalent en diable contre M. Turgot et même contre M. de Maurepas (5). »

(1) Chr. secr., 407.

(2) Id., 410.

(3) Id., 411.

(4) Agents du commerce royal des blés, dont il a éte question au chapitre iv.

(5) Chr. secr., 413.

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