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de son père; une famille ruinée, flétrie, dispersée, eût passé dans ce monde sans laisser aucune trace dans la mémoire des hommes, si la publicité, que les mauvais juges et les mauvais gouvernements redoutent avant toute chose, n'était pas venue éclairer cet horrible mystère.

Un négociant de Marseille, Dominique Audibert, allant de Toulouse à Genève, vers les derniers jours de mars, rendit visite à Voltaire. Sous l'impression du drame qui venait de se passer à Toulouse, il raconta le malheur des Calas, la consternation des protestants, le désappointement qu'avaient éprouvé les magistrats devant la fermeté de leur victime, et la contradiction qui existait entre les deux arrêts rendus par le parlement. Voltaire frémit en entendant ce récit, son cœur, qui était bon et compatissant pour les douleurs humaines, se soulève à la pensée qu'un père avait été capable d'attenter à la vie de son fils, ou que des magistrats avaient pu faire périr un malheureux pour satisfaire leurs antipathies religieuses. Il est tellement impressionné que, dès le 25 mars, il écrit au cardinal de Bernis: « Oserais-je supplier votre Éminence de vouloir bien me dire ce que je dois penser de l'aventure affreuse de ce Calas, roué à Toulouse pour avoir pendu son fils? C'est qu'on prétend ici qu'il est très-innocent, et qu'il en a pris Dieu à témoin en expirant. On prétend que trois juges ont protesté contre l'arrêt; cette aventure me tient au cœur; elle m'attriste dans mes plaisirs, elle les corrompt. Il faut regarder le parlement de Toulouse ou les protestants avec des yeux d'horreur. « Quatre jours après il écrit à d'Alem

Le négociant
Audibert
raconte à
Voltaire
le drame de
Toulouse.

Entrevue de
Voltaire
et de

Donat Calas.

Contradiction

des

ments venus du

bert: » Pour l'amour de Dieu, rendez aussi exécrable que vous le pourrez le fanatisme qui a fait pendre un fils par son père, ou qui a fait rouer un innocent par huit conseillers du roi. >>

Il venait d'envoyer ces lettres quand il apprit qu'un Calas était à Genève, c'était le jeune Donat que la famille nimoise, chez laquelle il se trouvait en apprentissage, s'était hâtée d'y envoyer au moment de la catastrophe de ses parents. Aussitôt Voltaire quitte Ferney, se rend dans sa maison des Délices et se fait amener cet enfant de quinze ans. « Je m'attendais, expliqua-t-il plus tard, à voir un énergumène tel que son pays en a produit quelquefois. Je vis un enfant simple, ingénu, de la physionomie la plus douce et la plus intéressante et qui en me parlant faisait des efforts pour retenir ses larmes.... Je lui demandai si son père et sa mère étaient d'un caractère violent il me dit qu'ils n'avaient jamais battu un seul de leurs enfants, et qu'il n'y avait point de parents plus indulgents et plus tendres. » Ne se contentant pas d'entretiens successifs, qui devaient lui faire pénétrer les plus secrètes pensées de l'enfant et l'amener à lui offrir sa bourse et ses services, Voltaire demanda des renseignements à deux honorables négociants de Genève qui avaient reçu l'hospitalité chez les Calas et écrivit plusieurs lettres dans le Languedoc.

Les nouvelles venues de cette province étaient des renseigne plus contradictoires; des protestants se montraient convaincus, comme des catholiques, de la culpabilité des Calas, et un des correspondants de Voltaire, à Mme Calas. M. de Chazelles lui mandait : « Il n'est pas une seule

Languedoc,

Voltaire

s'adresse

personne sensée dans cette province qui ose porter un jugement assuré. Les magistrats, qui devraient mettre la vérité dans tout son jour, se taisent avec obstination. Ce silence fait déraisonner et les partisans et les ennemis des Calas. » Les fonctionnaires publics auxquels Voltaire s'adressa, lui conseillaient de ne pas se mêler d'une aussi mauvaise affaire, quand il eut la pensée de se mettre en rapport avec Mme Calas et de lui faire demander un récit des malheurs de sa famille. « Je ne m'informai point, dit-il, si elle était attachée ou non à la religion protestante, mais seulement si elle croyait en un Dieu rémunérateur et vengeur des crimes. Je lui fis demander si elle signerait au nom de ce Dieu que son mari était innocent. » La veuve infortunée, à qui pour comble de malheur et d'outrage, on avait enlevé ses filles pour les placer dans des couvents, répondit à cet appel. Sa narration simple de la fatale soirée du 13 octobre finissait par cette phrase: « Voilà l'affaire tout comme elle s'est passée mot à mot; et je prie Dieu, qui connaît notre innocence, de me punir éternellement, si j'ai augmenté ni diminué d'un iota, et si je n'ai dit la pure vérité en toutes ces circonstances; je suis prête à sceller de mon sang cette vérité. »

Voltaire convaincu n'hésita plus, et lançant son

Voltaire convaincu de

Calas, fait appel

cri de guerre à tout son parti, il écrivit, le 4 avril l'innocence des 1762, cette sorte de circulaire à Damilaville : « Mes chers frères, il est avéré que les juges toulousains à son parti. ont roué le plus innocent des hommes. Presque tout le Languedoc en gémit avec horreur. Les nations étrangères, qui nous haïssent et qui nous battent, sont saisies d'indignation. Jamais, depuis le

Activité

de Voltaire,

lettres

se

succèdent.

jour de la Saint-Barthélemy, rien n'a tant déshonoré la nature humaine, criez et qu'on crie! »

A partir de ce jour, Voltaire lutta, non comme un de ces conjurés vulgaires qui profitent de toutes les occasions et de tous les prétextes pour atteindre le but qu'ils poursuivent, mais comme un apôtre profondément impressionné des souffrances de ses semblables. Son émotion se trahit jusque dans son ironie: « J'aimerais mieux qu'ils (les chrétiens) eussent mangé autrefois un ou deux petits garçons que de faire brûler tant d'innocents et de se rendre coupables des massacres des Albigeois, de Mérindol, de Cabrières, de la Saint-Barthélemy et de tant d'autres horreurs. Cette abomination nous est particulière. Il faut que notre religion soit bien vraie, puisqu'on n'a jamais craint de lui nuire en la prêchant ainsi. »

par

Dès le mois de juillet, Les pièces originales concerses écrits et ses nant la mort des sieurs Calas et le jugement rendu à Toulouse, sont imprimées à Genève. Composées de la lettre que lui a adressée Mme Calas et d'une lettre de Donat Calas à sa mère, elles sont aussitôt envoyées Voltaire à d'Argental. « Comment peut-on, lui mande-t-il, tenir contre les faits avérés qu'elles contiennent et que demandons-nous? Rien autre chose sinon que la justice ne soit pas muette comme elle est aveugle, qu'elle parle, qu'elle dise pourquoi elle a condamné Calas. Quelle horreur qu'un jugement secret, une condamnation sans motifs? Y a-t-il une plus exécrable tyrannie que celle de verser le sang à son gré sans en rendre la moindre raison?... Je persiste à ne vouloir autre chose que la production publique de cette procédure... On imagine qu'il faut

préalablement que cette pauvre femme fasse venir des pièces de Toulouse. Où les trouvera-t-elle, qui lui ouvrira l'antre du greffe?... Ce n'est pas elle seulement qui m'intéresse, c'est le public, c'est l'humanité. I importe à tout le monde qu'on motive de tels arrêts. Le Parlement de Toulouse doit sentir qu'on le regardera comme coupable tant qu'il ne daignera pas montrer que les Calas le sont; il peut s'assurer qu'il sera l'exécration d'une grande partie de l'Europe... Cette tragédie me fait oublier toutes les autres jusqu'aux miennes... »

Fanatisme des magistrats

et du ministre Saint-Florentin.

Deux jours après, le 7 juillet, il écrit de nouveau à d'Argental. « Nous craignons que le parti de Toulouse fanatique qui accable cette famille infortunée de Toulouse, et qui a eu le crédit de faire enfermer les deux filles dans un couvent, n'ait encore celui de faire enfermer la mère pour lui fermer toutes les avenues au conseil du roi. » Les appréhensions de Voltaire n'étaient que trop justes, le président du Puget, qui avait profité d'une occasion pour prier M. de Saint-Florentin « d'obtenir du roi des lettres de cachet pour faire enfermer dans un couvent Anne et Anne-Rose Calas, » en lui demandant de vouloir « bien avoir égard à la représentation que la religion » lui inspirait, avait vu ses conseils accueillis. Son collègue, le procureur général, M. de Bonrepos, avait reçu de Paris des lettres de cachet où le nom du couvent était en blanc, et le ministre, en le remerciant de son zèle, lui avait écrit: « Ce que vous me marquez de la veuve Calas me semble mériter attention; s'il est vrai qu'elle fasse la prédicante aux environs de Montauban, je me fe

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