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du roi, M. de Mirlavaud, rue Saint-Martin... » C'était avouer clairement, disait-on, que le roi bénéficiait sur le commerce des. blés, puisqu'il avait un trésorier à cet effet (1). On juge de l'indignation des Parisiens, lorsqu'ils ouvrirent l'Almanach royal. Mirlavaud, d'ailleurs, associé autrefois au traitant Bouret, était un nom odieux. Mais Terray avait trouvé moyen de tout arranger. Il avait adressé une réprimande sévère à l'imprimeur; il avait fermé sa boutique, et l'avait interdit pour trois mois. Le public n'avait pu se venger que par cette épigramme:

Ce qu'on disait tout bas est aujourd'hui public :
Des présents de Cérès le maître fait trafic,
Et le bon Roi, bien qu'il s'en cache,
Pour que tout le monde le sache,

Par son grand almanach sans façon nous apprend
Et l'adresse et le nom de son heureux agent (2).

Les manœuvres frauduleuses de Brochet de Saint-Prest et des siens n'avaient même pas cessé à la mort de Louis XV. Quelques jours avant la nomination de Turgot, Louis XVI avait donné l'ordre de les réprimer. « Le monopole de l'approvisionnement des grains, écrivait Mercy le 15 août, avait porté cette denrée à une cherté excessive et occasionné du tumulte; cependant, ce monopole allait être accordé de nouveau à la compagnie qui en avait joui, et qui payait une rétribution considérable au trésor royal. Le roi ayant consulté la reine sur cet objet, Sa Majesté, en donnant de très bonnes raisons, a fait évanouir ce renouvellement du monopole..... (3). »

L'intention avérée du roi de mettre fin au commerce occulte des grains aurait donné lieu, d'après la Correspondance Métra, à un curieux incident. On y lit, à la date du 29 septembre 1774: « M. Sorin de Bonne, un des intéressés dans le monopole des blés qu'on a tant exercé vers la fin du dernier règue, informé que notre ministère ferait rechercher les participants à cet inique tripot, craignant les suites de ces recherches en sa qualité de dépositaire des marchés,

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eu sous Louis XV une administration royale des blés. Il serait bien surprenant qu'elle fût restéo pure de tout abus, alors que partout se glissait la corruption. La dénonciation de Le Prevost se refute d'elle-même », dit M. Jobez. Soit. Mais les témoignages de l'abbé Terray que M. Jobez oppose à ses accusateurs, faut-il les croire sur parole? En tout cas, M. Jobez n'avait pas à s'occuper de Turgot, et l'histoire de ce ministre nous semble apporter quelques preuves, sinon nouvelles, au moins rarement citées. de l'existence du pacte de famine.

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contrats et traités passés à cet effet, a donné ordre à son secrétaire de transporter hors de chez lui toutes les pièces relatives à cet objet, et celui-ci l'a fait; mais s'étant aperçu que quelques personnes le remarquaient, chargé d'un sac de cuir, la frayeur le prit et ne lui suggéra d'autre expédient que d'aller jeter son sac à la rivière. Ce sac surnagea, et fut bientôt trouvé par les curieux, qui le portèrent au lieutenant de police, lequel, en ayant fait l'ouverture, s'est rendu d'abord en cour pour prendre les ordres du roi à ce sujet. Aussitôt cinq commissaires ont été chargés d'aller mettre les scellés à La Motte, chez l'abbé Terray, à Corbeil, à Villeneuve, chez les Chartreux, au collége de Louis-le-Grand et aux Célestins. Cette découverte ne tardera pas de démasquer tous les auteurs de ces odieuses menées qui ont été pratiquées relativement aux blés (1). »

Que cette histoire soit vraie ou fausse; que l'instruction, s'il y en eut, n'ait pas abouti faute de preuves, ou qu'elle ait été étouffée par le lieutenant de police Lenoir, créature de Sartines, Turgot n'avait pas attendu les révélations du mystérieux sac de cuir pour renvoyer Brochet de Saint-Prest. Le 27 août, Mlle de Lespinasse pouvait écrire : « Je suis bien contente de ce que M. Turgot a déjà renvoyé un fripon, l'homme de l'affaire des blés (). » Baudeau disait de son côté : « Le Brochet de Saint-Prest (3) est chassé de sa place d'intendant du commerce, qu'il avait usurpée par friponnerie, en payant par force les héritiers Potier avec des billets qui perdaient 75 0/0, qu'il leur a fait prendre pour la valeur totale [de la charge]..... ('). Avant de partir, le Saint-Prest a occasionné une révolte abominable à Rouen pour les blés (3). »

On voit si le peuple se trompait lorsqu'il affirmait d'instinct l'existence du pacte de famine, et combien il serait malaisé de la nier aujourd'hui. Sans nommer Brochet de Saint-Prest, Dupont de Nemours confirme d'une manière générale les témoignages précédents : « Les prédécesseurs de Turgot, dit-il, par zèle, sans doute,» avaient employé les moyens les plus funestes à encourager le commerce des blés. Ils avaient totalement découragé les commerçants. Ceux-ci, en effet, « ne pouvaient ignorer que sous les ordres de ces ministres, on faisait un commerce considérable de blés pour

(1) Le 28 octobre 1774 la Correspondance Métra (1, 102) ajoutait: Les inquisitions sur l'affaire des bies se continuent, et on a mis dernièrement les scelles chez le trésorier de cette partie, après que le roi eut fait prévenir les créanciers sur cette caisse que les engagements legitimes seraient acquittés. On croit que l'abbé Terray sera fort impliqué dans cet affreux monopole, etc. » L'opinou prenait ici ses désirs de vengeance pour des espérances fondées. Terray ne fut pas inquiété.

(2) Lettre de Mile de Lespinasse à Guibert, 27 août 1774.

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le compte du roi, avec lequel aucun négociant ne veut entrer en concurrence. » Turgot, ajoute-t-il, donna les assurances les plus formelles que « le roi ni l'administration ne se mêleraient plus du commerce des blés »; il fit vendre successivement et au cours du marché, pour ne pas donner de secousses aux prix naturels, environ 170,000 setiers de blé « qui s'étaient trouvés dans les magasins de la Compagnie qui avait eu les commissions du roi »; il fit louer les magasins et les moulins de cette compagnie, et il parvint à assurer ainsi une rentrée de 4 millions au Trésor (1).

Dès lors, la commission pour les blés ne figura plus à l'Almanach royal. Albert avait remplacé Brochet de Saint-Prest comme intendant du commerce. On n'inscrivit plus dans les attributions de son département cette expression vague « les grains ». On la remplaça par ces mots significatifs: « La correspondance relative aux subsistances. » Le gouvernement ne se déclarait pas indifférent à l'abondance ou à la disette; il s'enquérait de l'état des subsistances, assurait la liberté, la sécurité, la facilité du commerce des grains; mais il ne commerçait plus, il n'accaparait plus, sous prétexte de prévoyance. Il s'informait, il surveillait, rien de plus.

C'est ainsi que Turgot ramena à des limites honnêtes et raisonnables la scandaleuse administration des approvisionnements. Un des premiers effets de cette réforme fut de faire baisser le prix du blé (2).

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Il nous reste à parler d'autres services publics, avouables et déjà utilement organisés, dont Turgot était le chef naturel.

Comme contrôleur général, il portait le titre de « Directeur général des ponts et chaussées de France, du barrage et entretenement du pavé de Paris, des turcies et levées, pépinières royales et ports de commerce. » En cette qualité, il dirigeait le service des ponts et chaussées. Trudaine en avait le « détail ». Le premier ingénieur des ponts et chaussées était le célèbre Perronet (3), directeur de l'école des ponts et chaussées, auteur du pont de Neuilly, du pont de Louis XVI (aujourd'hui pont de la Concorde) et de beaucoup d'autres travaux. Il y avait, en outre, quatre inspecteurs généraux, un premier commis et des bureaux sous les ordres directs de Trudaine, deux trésoriers généraux, quatre contrôleurs généraux, un contrôleur

Dup. Nem., Mém., II, 41.

(2) La joie du peuplé en fut très vive. Voir Chr. sec. de Baud. 31 août 1774, 408.

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(3) Et non Peyronnet. Condorcet écrivait a Turgot en 1774: « Vous ne devez avoir aucune confiance aux gens des ponts et chaussées. Peyronnet voulait l'autre jour faire l'aqueduc

d'Yvetto en forme d'escalier. Condorcet avait-il parfaitement compris le projet de Perronet? On pourrait en douter. Il est constant d'autre part que le proje! de Perronet fut repousse. L'aqueduc d'Yvette a été remplacé par le canal de l'Ourcq. Il serait mal aisé de se prononcer.

et un inspecteur général du pavé de Paris, trois ingénieurs des turcies et levées, enfin trente-deux ingénieurs dans les provinces.

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Le « commerce et les manufactures » avaient aussi leur administration à part, mais sous la direction du contrôleur général. Le << détail » en était attribué à Trudaine également. Il avait sous ses ordres quatre inspecteurs généraux et quarante-neuf inspecteurs des provinces. Les inspecteurs généraux étaient : Holker père, déjà en relation avec Turgot, en Limousin, en 1764 (1); Holker fils, qui avait été adjoint à son père; Abeille, dont il est question plus bas, et Cliquot Blervache, dont nous avons déjà parlé (2).

Les « députés des villes et des colonies pour le commerce » formaient une sorte de corps délibérant et de comité consultatif. Ils s'assemblaient le mardi et le vendredi chez Abeille, secrétaire du bureau du commerce. Abeille était un homme capable et « propre à la chose », suivant l'expression de Morellet (3). Les villes, provinces et colonies représentées, étaient: Lille, Paris, Lyon, Rouen, Amiens, Saint-Domingue et les Iles sous le vent, le Languedoc, Bordeaux, la Guadeloupe, la Martinique, Bayonne, La Rochelle, Saint-Malo, Nantes et Marseille.

Les payeurs des rentes de l'hôtel de ville », l'« hôtel des monnaies », le « trésor royal » confié à la garde de « trésoriers des deniers royaux », les receveurs des tailles, vingtièmes, etc., l'immense administration de la ferme, formaient autant de services isolés, mais en relations constantes et forcées avec le ministre des finances.

Enfin, il entretenait aussi des rapports, parfois peu amicaux d'ailleurs, avec les cours de justice administrative, les cours des aides, les cours des monnaies, les chambres des comptes, les bureaux des finances, les chambres du domaine et les tribunaux d'élections (). Les chambres des comptes avaient, en apparence, une très haute importance, puisqu'elles devaient surveiller l'emploi des deniers publics, et contrôler, par conséquent, le contrôleur général lui-même. En réalité, elles vérifiaient seulement les comptes que le gouvernement voulait bien leur soumettre, et il va de soi qu'il ne les livrait pas tous. Cependant, un usage traditionnel voulait que chaque contrôleur général, à son entrée en fonctions, rendît visite à la cour des comptes de Paris, afin d'être installé par elle. Turgot se conforma à l'usage. Baudeau résume ainsi sa visite, qui eut lieu le 31 août : << Les gens de finance se jettent à la tête du contrôleur général, qui » a été reçu ce matin à la chambre des comptes; il a promis de >> l'économie dans les dépenses et de l'ordre dans les recettes, à » l'effet: 1o de soulager le peuple de ce qu'il y a d'onéreux dans

(1) D'Hugues, Turg. Int. de Lim. 183. (2) V. Introduction: Amis de Turgot.

Morell., Mém., I, 181.

(4) Des rapports indir. avec les parlements.

.

l'impôt; 2o de remplir avec une fidélité inviolable les engagements » du roi; 3° d'éteindre peu à peu la dette nationale. Le discours a » plu. Dieu veuille que les trois points soient bien remplis. Amen (1). » La chambre des comptes de Paris avait alors pour premier président Nicolaï, magistrat intègre, mais hostile aux idées de Turgot (*). A la chambre des aides, en revanche, était Malesherbes, qui ne tarda pas à prêter un concours actif à son ami, d'abord en publiant des Remontrances restées fameuses, un peu plus tard en entrant lui-même au ministère.

Nous venons de passer rapidement en revue l'organisation du contrôle général en 1774, les divers services qui s'y rattachaient, les hommes qui entouraient le ministre, l'épuration qu'il fit subir au personnel placé directement sous ses ordres (3).

Pour nous rendre maintenant un compte exact de l'état des finances à cette époque, et comprendre les premières mesures financières de Turgot, il est bon de revenir en quelques mots sur les derniers mois de l'administration de l'abbé Terray.

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