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CONCLUSION

Résumé des actes, des opinions et des projets de Turgot.

Jugement.

Avant de conclure, il est bon de résumer l'œuvre ministérielle de Turgot, d'étudier une dernière fois, sous forme de tableau sommaire, l'ensemble de ses idées et de ses plans.

« Je n'admire pas Colomb, a-t-il écrit quelque part, pour avoir dit : << La terre est ronde; donc, en avançant vers l'Occident, je rencontrerai » la terre, quoique les choses les plus simples soient souvent les plus difficiles à trouver. Mais ce qui caractérise une âme forte est la confiance avec laquelle il s'abandonne à une mer inconnue sur la foi d'un raisonnement. Que devaient être le génie et l'enthousiasme de la vérité chez un homme à qui une vérité donnait tant de courage! Dans beaucoup d'autres carrières, le tour du monde est à faire encore. La vérité est de même sur la route; la gloire et le bonheur d'être utile sont au bout (1). » Sur la foi de ses idées, Turgot, lui aussi, avait entrepris, comme Christophe Colomb, de faire le tour du monde, pour assurer à sa patrie et à l'humanité la possession d'une terre promise nouvelle; et, moins heureux que lui, il n'était pas allé jusqu'au bout du voyage; mais il crut jusqu'à son dernier souffle que sa route était la bonne et la seule vraie, et qu'en allant toujours vers la justice et la liberté, on finirait par trouver le bonheur.

I. — DES DROITS DE L'HOMME, D'APRÈS TURGOT.

Il pensait, avec une grande partie de ses contemporains, que l'individu n'est pas fait pour l'État, mais bien l'État pour l'individu. << Tout individu est né libre, disait-il, et il n'est jamais permis de gêner cette liberté, à moins qu'elle ne dégénère en licence, c'est-à-dire qu'elle ne cesse d'être liberté en devenant usurpation. Les libertés comme les propriétés – sont limitées les unes par les autres. La liberté de nuire n'a jamais existé devant la conscience. La loi doit l'interdire, parce que la conscience ne le permet pas. La liberté d'agir

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(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 675 : Pensées.

sans nuire ne peut, au contraire, être restreinte que par des lois tyranniques. On s'est beaucoup trop accoutumé dans les gouvernements à immoler toujours le bonheur des particuliers à de prétendus droits de société. On oublie que la société est faite pour les particuliers; qu'elle n'est instituée que pour protéger les droits de tous, assurant l'accomplissement de tous les devoirs mutuels (1). »

Sler. Liberté individuelle.

en

Est-il besoin de dire que Turgot, animé d'un vif sentiment de la dignité humaine, repoussait l'esclavage de toutes ses forces? «O Amérique, s'écrie-t-il dans son premier discours en Sorbonne. vastes contrées! n'avez-vous été dévoilées à nos regards que pour être les victimes de notre ambition et de notre avarice?... (1). >> Ailleurs, parlant de l'origine et des progrès de l'esclavage, « les esclaves, dit-il, devinrent un luxe et une marchandise... ils n'eurent ni biens, ni honneur en propre, ils furent dépouillés des premiers droits de l'humanité (). »

S'il haïssait l'esclavage, comment n'aurait-il pas condamné la traite? « Elle a été, dit-il, le principal objet des guerres que les anciens peuples se faisaient, et ce brigandage et ce commerce règnent encore dans toute leur horreur sur les côtes de Guinée, où les Européens le fomentent en allant acheter des noirs pour la culture. des colonies d'Amérique (*). »

Il prévoyait distinctement de quel danger l'esclavage menaçait la jeune Amérique, et il semblait prédire, près d'un siècle à l'avance, la guerre de Sécession, lorsqu'il signalait au docteur Price le grand nombre d'esclaves noirs réunis dans les provinces méridionales comme « incompatible avec une bonne constitution politique » et tendant à former « deux nations dans le même État » (5).

Ajoutons que Turgot refusa de donner son nom à un vaisseau destiné à la traite des nègres, et ne craignit pas de se brouiller avec les négociants qu'enrichissait ce triste commerce (6).

Le servage ne lui paraissait qu'une simple atténuation de l'esclavage. Aussi voulait-il abolir la servitude personnelle dans les domaines du roi et amener les seigneurs à en faire autant. Voltaire, qui connaissait ses intentions, s'adressait à lui pour obtenir l'affranchissement des serfs du mont Jura.

Il encourageait Malesherbes à visiter les prisons, à réformer les lettres de cachet. Il témoignait lui-même, dans ses ordonnances, du plus grand respect pour la liberté individuelle, défendant par exemple

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 686-687: Lett. s. la tolér.

(2) Id., II, 591: 1er Disc. en Sorb.

(3) Id., II, 640: Plan d'un Discours sur l'histoire universelle.

(4) Eur. de T. Ed. Daire, I, 18 : Réft. s. la form. et la dist. des rich.. ch. xxII.

(5) Id., II, 809: Lett. au Dr Price s. les const. amér.

(6) Dup. Nem., Mém., II, 216.

d'inquiéter les particuliers dans la recherche des salpêtres (1). Il résistait à ses amis lorsqu'ils voulaient emprisonner Necker, bien que personnellement il le crût coupable. Il refusait enfin, en toute circonstance, de se servir des procédés d'administration expéditifs et tyranniques dont chacun était prodigue autour de lui (2).

$2.-Liberté de penser et d'écrire.

Non seulement il accorda cette liberté à ses amis qui purent, comme Baudeau et Morellet, faire revoir le jour à des publications interdites par le régime précédent; non seulement il provoqua lui-même, dès le début de son ministère, le libre débat des matières d'administration. Mais on sait aussi qu'il ne s'offensa jamais de la critique (il la méprisait); qu'il laissa à ses adversaires, même les plus violents, une impunité complète; qu'il ne s'associa point aux mesures répressives que le Conseil adopta parfois à la requête des économistes. Il rendit libre l'introduction des livres étrangers en France. Il fit casser l'arrêté du conseil colonial qui avait osé se servir en justice de lettres interceptées à la poste.

$3. Liberté religieuse; tolérance.

L'opinion de Turgot à cet égard ne saurait être un instant douteuse. Auteur, dès sa jeunesse, des Lettres sur la tolérance et du Conciliateur, il adressa au roi comme ministre le Mémoire sur la tolérance dont nous avons donné l'analyse à propos du sacre. On nous dispensera d'y revenir.

$4. Liberté du travail; propriété.

<< Liberté et propriété, disait Voltaire, c'est la devise des Anglais; elle vaut bien Montjoie et Saint-Denis. » C'était aussi la devise de Turgot. Le droit de travailler est une propriété sacrée... (3), » écrivait-il dans son grand édit sur la suppression des jurandes; et non moins justement, il fondait le droit de propriété sur le travail, la légitimité de la propriété foncière sur la culture (4).

La liberté des cultures n'existait pas sous l'ancien régime. Un édit de 1747 avait renouvelé la défense de planter des vignes sans autorisation, et il était loisible aux intendants d'exécuter, suivant leur bon plaisir, beaucoup d'anciens arrêts du même genre. Turgot abolit l'un d'eux, qui limitait les plantations de châtaigniers dans l'île de Corse. Il les aurait assurément fait disparaître tous, s'il en avait eu le temps (5).

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 419. VII.

(2) Nous avons signalé cependant une circonstance dans laquelle Turgot semble un instant s'être laissé entraîner à une sévérité excessive, sinon extra-légale. Voir l'affaire

des Propos séditieux », liv. II. ch. xv, p. 319. (3) Eur. de T. Ed. Daire, II, 306.

(4) Id., I, 12.

(5) La loi de 1791 sur les biens et usages ruraux accomplit cette réforme.

La liberté de l'industrie n'eut jamais de partisan plus convaincu, de protecteur plus éclairé que Turgot. En supprimant les maîtrises, jurandes et corporations, il brisa les chaînes du prolétariat et rendit au travailleur la libre disposition de sa volonté, de son intelligence, de ses bras. Cet affranchissement mémorable que le faible Louis XVI ne tarda pas à révoquer, fut solennellement consacré par la Constituante en mars 1791.

La liberté du commerce se confond presque avec la liberté du travail agricole et industriel. Les physiocrates disaient: << Laissez faire...; ils disaient aussi : « Laissez passer. » Turgot affranchit le commerce de l'huile d'œillette, de la garance, de la verrerie de Normandie, de la viande et du poisson à Paris, des vins dans le Midi, des étoffes de passementerie, des draps, des suifs, etc., etc. Faut-il énumérer aussi toutes les mesures prises par le ministre pour assurer la liberté du commerce des grains? Nous nous exposerions à des redites inutiles. Rappelons plutôt qu'il réclamait aussi la liberté pour le commerce des métaux précieux et des valeurs, et qu'il obtint du Conseil l'abandon des vieux règlements en matière d'usure. S'il eût vécu de nos jours, il eût été libre-échangiste. Impuissant à vaincre sur ce point les préjugés de son époque, il y travailla du moins, et dans son dernier mémoire au roi, il exposait les vrais principes du libre commerce international.

Toutes les mesures que nous venons de rappeler sont autant d'hommages indirects rendus par Turgot au droit de propriété. Proclamer en effet l'agriculture libre, l'industrie libre, le commerce libre, c'est reconnaître que le producteur, quel qu'il soit, est le maître légitime des fruits de son travail. En toutes circonstances, il se fit scrupule de léser en quoi que ce fût la propriété privée. Il respecta la liste des croupiers, bien qu'elle lui parût un criant abus; il cassa le bail des domaines qui troublait dans leurs possessions les engagistes de la couronne; il maintint jusqu'à plus ample informé divers priviléges pécuniaires du clergé; il ne supprima aucune charge sans en rembourser le prix; il accorda des indemnités aux propriétaires dont il faisait abattre les bestiaux pendant l'épizootie. Il s'efforça enfin d'abolir graduellement le droit d'aubaine, atteinte flagrante à la propriété privée.

$ 5.- Liberté d'association.

Turgot ne paraît pas avoir entièrement compris l'importance et l'avenir du principe d'association. Toutes les associations de son époque étaient fondées sur le privilége. Le clergé, la noblesse, la finance, la robe, les corps de métiers étaient en quelque sorte des castes hostiles à toute innovation, à tout progrès, à toute application générale de la justice et du droit. Les philosophes eux-mêmes formaient une sorte de secte. Turgot, qui n'aimait ni le privilége ni

l'esprit de secte, fut amené par là, sans doute, à se défier de toute association. Il regardait comme un mal celle des ouvriers entre eux (1). Il admettait, pourtant, l'union des capitaux en vue d'une œuvre commune. L'organisation qu'il donna à sa caisse d'escompte en est une preuve les actionnaires y formaient une association véritable gouvernée démocratiquement (*).

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L'égalité n'est qu'une liberté égale pour tous, une liberté réglée par la justice. C'est ainsi, du moins, que la comprenait Turgot. S'il eût été constituant, il eût certainement voté le 4 août l'abolition des priviléges, l'égalité civile et politique de tous les Français. << La vraie morale, disait-il, ... regarde tous les hommes du même œil; elle reconnaît dans tous un droit égal au bonheur, et cette égalité de droit, elle la fonde sur la destination de leur nature et sur la bonté de Celui qui les a formés, bonté qui se répand sur tous ses ouvrages... Celui qui opprime, s'oppose à l'ordre de la Divinité... (3).» Il eût voulu supprimer les droits féodaux, mais graduellement, et avec certains ménagements. Les uns, pensait-il, représentent la propriété ou une partie du prix pour laquelle elle a été aliénée, comme la dîme; ils sont sacrés, mais remboursables. Les autres sont de vrais impôts dont le souverain a légitimé l'usurpation; les possesseurs de ces droits ne méritent qu'un dédommagement. Il y en a enfin qui, comme le droit de justice, sont une véritable usurpation de la souveraineté : ceux-là n'ont droit à rien. Il a indiqué lui-même l'esprit égalitaire de son administration, et en général du pouvoir monarchique, lorsqu'il a écrit ces mots : « Il faut suivre la marche que tous les ministres ont suivie depuis quatre-vingts ans et davantage;... il n'y en a pas un qui n'ait constamment cherché à restreindre en général tous les priviléges, sans en excepter ceux de la noblesse et du clergé (*). »

On peut lire cette réflexion dans les œuvres de Champfort (3) : « M... me disait : « Je ne regarde le roi de France que comme le roi d'environ cent mille hommes, auxquels il partage et sacrifie la sueur, le sang et les dépouilles de 24 millions 900 mille hommes dans des proportions déterminées par les idées féodales, militaires, antinormales et antipolitiques qui avilissent l'Europe depuis vingt siècles. » Turgot n'aurait pas exprimé la même idée sous la même forme. Cependant il n'était pas éloigné de penser de même. Il dit quelque part qu'il faut habituer les citoyens à se regarder « comme des frères » (°); et il va ailleurs jusqu'à parler de contributions extraordinaires qu'il serait

(1) V. l'édit sur les jurandes, liv. III, ch. m. (2) V. la caisse d'escompte, liv. III, ch. xI. (3) Euv. de T. Ed. Daire, II, 680: Lett. s. la tolérance.

Euv.de T. Ed. Daire, II, 272: Rép. à Mirom. (5) Caract. et anecd.

(6) Euv. de T. Ed. Daire, II, 525 : Mém. s. les municip.

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