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demi favorable à Turgot; parlementaire dans l'âme, elle souhaitait peut-être au fond le départ d'un ministre qui avait osé braver les gens de robe; mais c'était son protégé après tout, et elle n'admettait pas qu'on le chassât honteusement; elle y voulait des formes. Pour lever ses scrupules « et la consoler du renvoi de Turgot » (1), son mari lui promit une compensation des plus douces pour elle, le rappel de son neveu le duc d'Aiguillon, exilé depuis le commencement du règne. Quant à la reine, elle cherchait à se venger sur Turgot de l'affront fait à son protégé le comte de Guines. Maurepas, lui sacrifiant Turgot, espérait qu'elle ne mettrait pas d'obstacle au retour du duc d'Aiguillon; il pensait même la gagner entièrement en lui promettant le titre de duc pour son comte de Guines. La reine et Mme de Maurepas ainsi accordées, et le roi voulant toujours ce que voulait la reine (il était, d'ailleurs, alors très suffisamment prévenu contre Turgot), Maurepas n'avait plus que l'opinion publique à satisfaire. Il avait calculé qu'il lui serait aisé de rester en paix avec elle, en rejetant sur Marie-Antoinette tout l'odieux du renvoi de Turgot (2).

Le rusé vieillard se prit dans ses propres filets. Le métier de courtisan avait à ce point desséché son âme, éteint son tempérament, qu'il ne comprenait plus que l'arithmétique des intérêts et qu'il ignorait absolument les ardeurs de la passion (). Marie-Antoinette orgueilleuse, vindicative, n'était pas femme à subir des conditions. Elle se moqua de Maurepas, lorsqu'il vint lui proposer son marché. Elle avait juré au duc d'Aiguillon une haine implacable qui venait d'être indiscrètement réveillée. Elle déclara qu'elle n'avait besoin de personne pour réhabiliter le comte de Guines, et elle ajouta avec une habileté toute féminine que si Turgot était renvoyé, elle n'était pour rien dans son renvoi (). C'est alors que le vendredi 10 mai Louis XVI écrivit au comte de Guines, sous la dictée de sa femme, la lettre dont nous avons parlé plus haut. Maurepas était joué. Turgot dut sans doute à cette circonstance d'être maintenu deux jours de plus au pouvoir.

Cependant Maurepas était trop fin, trop expérimenté pour s'obstiner dans la poursuite d'un plan qui n'avait point réussi. Il sacrifia d'Aiguillon et resta simplement l'allié de la reine dans la guerre secrète qu'elle avait déclarée au contrôleur général.

Malesherbes, depuis longtemps découragé, songeait à se démettre de ses fonctions, et il avait eu l'imprudence de confier son dessein à Maurepas. Ce projet de retraite de l'ami le plus sûr et du plus ferme

(1) Lett. de Cond. à Volt., 12 juin 1776. (2) Id.

(3) Condorcet l'appelle un eunuque.

(4) Condorcet et avec lui Voltaire crurent en effet que la reine n'était pour rien dans le renvoi de Turgot. Celle-ci git avec tant de

secret en toute cette affaire qu'elle espéra peut-être qu'on ignorerait sa participation à l'événement. De là viendrait l'assurance avec laquelle elle écrit à sa mère qu'elle ne s'est mêlée de rien. Quant à Turgot, sut-il la vérité? On l'ignore; mais c'est probable.

défenseur de Turgot dans le ministère avait contribué à enhardir le vieux conseiller de Louis XVI. Sachant que, pour rétablir l'ordre dans les finances, une réforme de la maison du roi était nécessaire, que Turgot s'en irait plutôt que d'abandonner cette réforme, partie essentielle de son plan de réorganisation financière, et que cependant cette réforme était impossible si le ministre de la maison du roi refusait de s'y prêter, il imagina une nouvelle perfidie. Il proposa au roi, comme successeur de Malesherbes, l'intendant] des finances Amelot, son parent, un homme à lui, à son entière dévotion, à qui on ne reprochait d'ailleurs, dit Condorcet, « qu'une bêtise au-dessus de l'ordre commun » (1). La nomination d'Amelot, c'était l'ajournement de toute réforme de la maison du roi. Turgot le comprit dès qu'il en fut averti. Aussitôt il écrivit au roi, il réclama avec force, montra que la réforme de la maison était indispensable, qu'Amelot ne la ferait pas. Malesherbes, unissant ses efforts aux siens, s'opposa à la nomination d'Amelot, proposa à sa place l'abbé de Véry. Mais la reine se déclara pour Amelot (2), et Louis XVI ne répondit sans doute rien de satisfaisant à Turgot, car le samedi 11 mai celui-ci était décidé à se retirer en même temps que Malesherbes. Il voulut cependant voir le roi une dernière fois. Il alla chez lui: le roi était à la chasse. Il y retourna : le roi était au débotté. Il fallut attendre.

Turgot eut sans doute alors un moment d'hésitation. L'exemple de Malesherbes était séduisant. A la réflexion, il se ravisa; le sentiment du devoir l'emporta chez lui sur toute considération d'amour-propre. Il voulut au moins, avant de se retirer, achever de soumettre au roi son plan de réorganisation financière (3): il resta.

Le lendemain 12 mai, Malesherbes, persistant dans sa résolution, eut une entrevue avec Louis XVI, et lui offrit sa démission ('). Toutes les instances furent inutiles. «Que vous êtes heureux! s'écria le monarque, accablé du poids de son autorité. Que ne puis-je aussi quitter ma place ()! » C'est alors que « Maurepas, certain d'être soutenu par la reine » porta le coup de grâce à leur commun ennemi (). Tout était compromis si Turgot parvenait à voir le roi, à se justifier, à faire agréer ses plans. Le ministre Bertin vint remettre à Turgot, de la part du roi, l'ordre de résigner ses fonctions. << M. Maurepas, ajoute Mairobert, par une perfidie de courtisan,

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herbes, c'est Amelot qui fut nommé. (D'Arn. et Geff., Mar.-Ant.; Mercy à Marie-Thér., II, 442; 16 mai 1776.) Le récit de Besenval (Mém., 174-175) s'accorde très bien avec ceux de Mercy et Cond. (3) D'Arn. et Geff., Mar.-Ant., II, 442.

(4) C'est bien le 12 mai que fut donnée el acceptée la démission de Malesherbes. V. d'Arn. et Geff., Mar.-Ant., II, 441; Merc. Fr., juin 1776.

(5) Bach., Mém. secr., IX, 149.
(6) D'Arn. et Geff., Mar.-Ant., II, 442.

quoique auteur en partie de la disgrâce de M. Turgot, au moment de son départ de la cour, lui écrivit pour lui faire son compliment de condoléance; celui-ci, sentant à merveille ce que signifiait ce persiflage, en fut piqué et fit sur-le-champ une réponse ferme, noble et mordante par la censure indirecte de la conduite du mentor. On a recueilli l'une et l'autre lettres, bonnes à conserver comme anecdotes.» Voici d'abord le court billet du comte :

« Si j'avais été libre, Monsieur, de suivre mon premier mouvement, j'aurais été chez vous. Des ordres supérieurs m'en ont empêché. Je vous supplie d'être persuadé de toute la part que je prends à votre situation. Mme de Maurepas me charge de vous assurer qu'elle partage mes sentiments. On ne peut rien ajouter à ceux avec lesquels j'ai l'honneur d'être, etc. (1). »

Voici la réponse de Turgot:

« Paris, 13 mai 1776.

» Je reçois, Monsieur, la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire. Je ne doute pas de la part que vous avez prise à l'événement du jour, et j'en ai la reconnaissance que je dois.

>> Les obstacles que je rencontrais dans les choses les plus pressantes et les plus indispensables, m'avaient depuis quelque temps convaincu de l'impossibilité où j'étais de servir utilement le roi, et j'étais résolu à lui demander ma liberté. Mais mon attachement pour sa personne eût rendu cette démarche pénible. J'aurais craint de me reprocher un jour de l'avoir quittée. Le roi m'a ôté cette peine, et la seule que j'ai éprouvée a été qu'il n'ait pas eu la bonté de me dire lui-même ses intentions.

» Quant à ma situation dont vous voulez bien vous occuper, elle ne peut m'affecter que par la perte des espérances que j'avais eues de seconder le roi dans ses vues pour le bonheur de ses peuples. Je souhaite qu'un autre les réalise. Mais, quand on n'a ni honte ni remords, quand on n'a connu d'autre intérêt que celui de l'État, quand on n'a ni déguisé ni tu aucune vérité à son maître, on ne peut être malheureux.

» Je vous prie de vous charger de tous mes remercîments pour Mme la comtesse de Maurepas, et d'être persuadé qu'on ne peut rien ajouter aux sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, etc. (2). »

En même temps, Turgot, désireux d'avoir des explications avec le roi, lui fit demander la permission de lui écrire. Louis XVI la lui ayant accordée, il lui adressa le 18 mai 1776, par l'intermédiaire du comte d'Angivilliers, une lettre qui mérite de servir de pendant à celle du 24 août 1774. Même désintéressement, même noblesse de cœur, même résignation mélancolique.

Le roi, pour adoucir l'amertume d'une disgrâce qu'il commençait peut-être déjà à juger imméritée, avait fait dire à Turgot qu'il lui accordait une pension, indépendamment des appointements attachés

(1) Bach., Mem. secr., IX, 140.

(2) Euv. de T. Ed. Daire, Not. hist. cx-cxm.

au titre de ministre. « Vous savez, Sire, répondit Turgot, ce que je pense sur tout objet pécuniaire. Vos bontés m'ont toujours été plus chères que vos bienfaits. Je recevrai les appointements de ministre parce que sans cela je me trouverais avoir environ un tiers de revenu de moins que si j'étais resté intendant de Limoges. Je n'ai pas besoin d'être plus riche, et je ne dois pas donner l'exemple d'être à charge à l'État. » Et il supplia le roi de réserver ses grâces pour ses amis, qui avaient fait, pour l'aider, le sacrifice de leur état, et allaient, par sa retraite, se trouver sans ressources.

Arrivant à la cause véritable de son renvoi, Turgot faisait au rappel du comte de Guines une allusion qui n'avait pas été comprise jusqu'ici : « La démarche que j'ai faite, disait-il, et qui paraît vous avoir déplu, vous a prouvé qu'aucun motif ne pouvait m'attacher à ma place; car je ne pouvais ignorer le risque que je courais, et je ne m'y serais pas exposé si j'avais préféré ma fortune à mon devoir. »

Après cette noble déclaration, il reprochait au roi, en termes respectueux, le détour qu'il avait employé pour lui notifier son renvoi. « J'espérais que Votre Majesté daignerait me faire connaître elle-même ses intentions... Je ne dissimulerai pas que la forme dans laquelle Elle me les a fait notifier m'a fait ressentir dans le moment une peine très vive... Votre Majesté ne se méprendra pas sur le principe de cette impression, si elle a senti la vérité et l'étendue de l'attachement que je lui ai voué. »

Tout serait à citer dans cette lettre. Et comme monument littéraire et comme témoignage vivant de la droiture et de la pureté des intentions de Turgot, elle mérite l'attention et le respect. N'eût-elle aucun autre mérite, elle serait encore précieuse à titre de document historique, par les renseignements rétrospectifs qu'elle nous fournit sur l'un des incidents qui avaient précédé le 12 mai. Ainsi, il paraît qu'au moment où Turgot se sentit sérieusement menacé par la cabale de ses ennemis, il réclama la protection du roi dans des lettres pressantes et chercha à avoir une explication décisive avec lui. Il lui exposa << avec une franchise sans réserve les difficultés de sa propre position et ce qu'il pensait de la sienne. Rappelant cette circonstance, il ajoutait ces mots : «Tout mon désir, Sire, est que vous puissiez croire que j'avais mal vu et que je vous montrais des dangers chimériques. Je souhaite que le temps ne me justifie pas, et que votre règne soit aussi heureux, aussi tranquille, et pour vous, et pour vos peuples, qu'ils se le sont promis, d'après vos principes de justice et de bienfaisance. » Ainsi Turgot, lui aussi, pressentait la Révolution.

Il terminait en réclamant une grâce, celle d'être averti de toutes les accusations dont il sera chargé auprès du roi. « Je ne crains pas la calomnie, Sire, tant que je serai à portée de la confondre. Je ne puis plus avoir de défenseur auprès de Votre Majesté qu'Elle-même. J'attends

de sa justice qu'elle ne me condamnera jamais dans son cœur sans m'avoir entendu, et qu'elle voudra bien me faire connaître toutes les imputations qui me seront faites auprès d'elle; je lui promets de n'en laisser passer aucune sans lui en prouver la fausseté, ou sans lui avouer ce qu'elle pourra contenir de vrai; car je n'ai pas l'orgueil de croire que je n'ai jamais fait de fautes. Ce dont je suis sûr, c'est qu'elles n'ont été ni graves ni volontaires (1). »

Il n'est personne, ami ou ennemi, qui ne puisse souscrire à ce jugement que Turgot portait sur lui-même.

Le 20 mai, il fut remplacé par l'intendant de Bordeaux Clugny. Un dernier trait peint le désintéressement de Turgot. « Il mit Clugny au courant des affaires et s'efforça de lui faire embrasser son système (*). » Quelques jours après, il quitta Paris et alla se reposer à La Rocheguyon, chez la duchesse d'Enville, des fatigues d'un ministère qui, pour n'avoir duré que vingt mois, n'en laissera pas moins, comme le prédisait Mlle de Lespinasse, « une trace profonde dans l'esprit des hommes. >>

(1) Eur. de T. Ed. Daire, Intr. hist. Cx

CXV.

(2) Corr. Métr., III, 75; 24 mai 1776. de Fr., juin 1776.

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- Merc.

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