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confiance qu'en ses propres lumières, ne craint pas de faire la leçon au roi. «Le Ciel, Sire, vous a donné toutes les vertus qui doivent faire un grand roi; mais il est des choses que l'expérience seule apprend aux souverains... » Cette expérience faisant défaut à Louis XVI, le Parlement s'efforce d'y suppléer par ses conseils. Il invoque la mémoire, le témoignage de Maurepas. Il rappelle qu'en 1725 on fit un premier essai d'un impôt universel, le cinquantième; que cet impôt fut enregistré en lit de justice, et que cependant il ne put subsister, « tant il est vrai que les innovations de ce genre trouvent une résistance invincible non dans des sujets toujours soumis, mais dans la nature des choses. » Le Parlement évite de s'expliquer sur cet impôt du cinquantième; il ne dit pas que le cinquantième imaginé par les frères Pâris, sous le ministère du duc de Bourbon, ne ressemblait en rien à l'impôt territorial tel que le concevaient Machault, Silhouette, Turgot; qu'il devait être levé en nature sur tous les fruits de la terre, et en argent sur les autres revenus de toute espèce; qu'il nécessitait une multitude d'agents pour la levée, la conservation et l'emploi des denrées; qu'il entraînait ainsi de nombreux inconvénients, et que ce furent là les véritables motifs qui en décidèrent bientôt l'abandon.

Le Parlement ne nous paraît pas plus heureux dans l'expression de ses sympathies pour les corvées, bien qu'il remonte jusqu'à l'époque de l'invasion des barbares pour en justifier l'emploi. « Le droit de la corvée, déclare-t-il, appartenait aux Franks sur leurs hommes... Lorsque les serfs obtinrent leur affranchissement, en devenant citoyens libres mais roturiers, ils demeurèrent corvéables. » Malheureusement « le cri d'une liberté inconsidérée s'est fait entendre. On a vu éclore un système nouveau annoncé par des écrits et des dissertations aussi peu exactes sur les faits que sur les principes. » On a touché le cœur du roi. On a suspendu la corvée « sans s'inquiéter de la dégradation des chemins ». Dès lors tout va fort mal, au dire du Parlement.

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Il faut convenir que la dégradation des chemins était réelle. L'intendant d'Auch, celui de Bordeaux, déploraient à cette époque le délabrement des voies de communication, même les plus importantes, de leurs généralités (1), et tout porte à croire que les autres généralités n'étaient guère mieux partagées (). Mais le Parlement omet un fait essentiel: cet état de choses n'était nullement nouveau. L'argument qu'il invoque en faveur de la corvée se retourne ainsi contre la corvée. Si la corvée n'était pas même bonne à assurer

(1) Arch. dép. Gir., C. 64.

(2) Remarquons toutefois que ces provinces

n'étaient pas dans une condition normale, à cause des ravages de l'épizootie.

l'entretien des routes, à quoi servait-elle? Pourquoi aurait-on conservé plus longtemps cet inutile abus (1)?

Le Parlement avait réponse à tout. Il se surpasse lui-même lorsqu'il entreprend de démontrer qu'en réclamant le maintien de la corvée, il sert les intérêts du peuple et travaille à l'amélioration de son sort. C'est assurément le plus curieux passage de ses remontrances. Voici en substance quelle est son argumentation:

Il y a deux espèces de corvées : la corvée des voitures et la corvée des bras. La corvée des voitures est acquittée par ceux qui ont des voitures, c'est-à-dire par les fermiers aisés, mais elle l'est en réalité par leurs maîtres, les propriétaires. Puisqu'il est certainement tenu compte de cette charge dans la fixation du taux des fermages, et que le revenu du propriétaire diminue d'autant, transformer cette corvée en imposition, c'est innover pour innover, car c'est toujours en résumé le propriétaire qui paie l'impôt. - Quant à la corvée des bras, elle frappe les petits propriétaires et les manouvriers, mais elle consiste à peine en six ou huit jours de travail, que l'on exige seulement dans la saison morte. Une imposition sera pour ces pauvres gens bien plus onéreuse que le travail en nature. D'ailleurs jusqu'à ce jour la corvée n'a pesé que sur les populations situées sur le parcours des routes: à l'avenir l'impôt ne sera plus borné aux pays traversés par les grands chemins; il s'étendra à tous. En réclamant le maintien de la corvée, le Parlement est donc le véritable défenseur du peuple et des malheureux.

De tous ces arguments ingénieux, le premier seul mérite une réfutation: Le préjudice infligé au fermier par la corvée, dironsnous, n'est pas évaluable d'avance en argent; ni le propriétaire, ni le fermier lui-même ne peuvent en tenir compte exactement dans l'estimation du fermage. Il n'y a pas en outre d'analogie possible entre la faible somme de revenu dont le propriétaire est privé par une diminution du bail, et les inconvénients de toute sorte d'un travail en nature que la corvée impose au fermier. Enfin, ce n'est pas d'après des considérations de cette sorte que se règle le prix du fermage. Comme tous les prix, il obéit à la loi de l'offre et de la demande. On peut concevoir un pays où la corvée serait très lourde et le bail de la terre très cher, par conséquent les fermiers très misérables, à cause du grand nombre de cultivateurs qui viendraient offrir leurs services aux propriétaires et se trouveraient pour ainsi dire à leur merci. On pourrait imaginer au contraire un autre pays où il n'y aurait pas de corvée, et où cependant le bail de la terre serait à très bas prix, à cause de la rareté des cultivateurs et

(1) Turgot avait non seulement supprimé l'abus provisoirement, mais il avait aussi pris soin d'assurer provisoirement l'entretien des

routes, en ordonnant aux intendants d'y consacrer les fonds des travaux de charité. Voir liv. II, ch. x, p. 272.

du grand nombre de propriétaires qui rechercheraient des fermiers, et seraient forcés, pour les attirer, de leur faire de grands avantages. Il est donc inexact de prétendre qu'une charge imposée au fermier retombe toujours en dernière analyse sur le propriétaire.

Si la première partie de l'argumentation du Parlement ne supporte pas un examen approfondi, que dire de la seconde? Quoi! Le Parlement sert la cause du peuple, parce qu'il s'oppose à la répartition sur tous d'un impôt qui jusqu'ici ne pesait que sur quelques-uns! Et cette imposition serait plus lourde pour les manouvriers et les propriétaires si les gens de robe, la noblesse et le clergé étaient forcés d'y contribuer! A qui donc le Parlement espérait-il en faire accroire? A qui pensait-il en imposer par de tels artifices de langage?

Sa conclusion du moins est nette et franche. S'appropriant les paroles de l'avocat Loyseau, en son livre des Ordres de noblesse, il affirme hautement que les privilégiés sont de droit exempts de l'impôt : « Le service personnel du clergé est de remplir toutes les fonctions relatives à l'instruction, au culte religieux, et de contribuer au soulagement des malheureux par ses aumônes. Le noble consacre son sang à la défense de l'État, et assiste de ses conseils le souverain. La dernière classe de la nation, qui ne peut rendre à l'État des services aussi distingués, s'acquitte envers lui par les tributs, l'industrie et les travaux corporels. » Telle est, d'après le Parlement, l'antique constitution de l'État, à laquelle il ne faut rien changer. « Si l'on dégrade la noblesse, ajoute-t-il, si on lui enlève les droits primitifs de sa naissance, élle perdra bientôt son esprit, son courage et cette élévation d'âme qui la caractérise... Assujettir les nobles à un impôt pour le rachat de la corvée, au préjudice de la maxime que nul n'est corvéable s'il n'est taillable, c'est les décider corvéables comme les roturiers... Ainsi... des nobles de race, dont le revenu est borné au modique produit de l'héritage de leurs pères, qu'ils cultivent de leurs mains (?) et souvent sans le secours d'aucuns serviteurs que leurs enfants, des gentilshommes en un mot pourraient être exposés à l'humiliation de se voir traîner à la corvée!... » Nous n'insisterons pas sur ce dernier mot. Il s'agissait de supprimer la corvée, et le Parlement, par une inconséquence qui fait sourire, suppose qu'on pourra y traîner les nobles!

-

L'important est de signaler et de bien retenir la doctrine professée par le Parlement en matière d'impôt, et son attachement au maintien des castes et des priviléges dans l'État. Ce n'est pas à dire que les convictions du Parlement n'eussent jamais cédé devant des considérations d'un ordre moins élevé. Si Turgot avait daigné employer certains moyens qui avaient quelquefois réussi, peut-être aurait-il triomphe de l'opposition du Parlement. Citons quelques exemples.

En 1722, le cardinal Dubois étant à court d'argent rendit plusieurs

édits bursaux; il éleva les droits de contrôle et d'insinuation des actes de notaires, en remit d'autres en vigueur, rendit à tous les pourvus d'offices la surveillance de leurs emplois, enfin rétablit pour neuf années le Droit annuel, qu'il éleva en outre au 20o de la finance. Le Parlement menaçait de faire opposition à ces mesures fiscales. Mais le ministre eut l'habileté de laisser entendre en même temps qu'il songeait à diminuer le ressort de la juridiction du Parlement de Paris, qui s'étendait dans certaines directions à 150 lieues de la capitale. Cette mesure eût été en effet avantageuse aux justiciables, mais elle eût diminué les épices du Parlement. Il comprit la menace, se tut, négocia, et finit par s'entendre avec Dubois (1).

En 1723, une imposition extraordinaire de joyeux avénement fut établie par simple arrêt du Conseil. Tous ceux qui depuis quatre-vingts ans, c'est-à-dire depuis l'avènement de Louis XIV, avaient obtenu une concession, exercé un emploi ou une profession, furent soumis à la taxe dite de confirmation. Contrairement à tous les usages, l'arrêt ne fut pas enregistré. Il est vrai que le régent, par un article spécial, avait eu soin d'exempter de la taxe tous les membres du Parlement (*).

En 1764, le contrôleur général Laverdy eut recours à des moyens extrêmes pour subvenir aux besoins les plus pressants de l'État, ruiné par la guerre de Sept ans. Il ordonna aux porteurs de rentes de faire renouveler leurs titres, et transforma tous les effets royaux en titres de rentes. Il établit un impôt du dixième sur tous les gages. Il prorogea les deux vingtièmes et plusieurs autres droits onéreux. Mais il avait pris la précaution de corriger d'avance la rigueur de ces édits bursaux en y insérant plusieurs mesures exceptionnelles favorables au Parlement. Il avait promis de rembourser à leur taux primitif les vieilles rentes qui avaient subi des réductions, sachant que les membres du Parlement en possédaient beaucoup. Il avait dispensé du dixième les gages des membres du Parlement. Il avait même flatté le Parlement en lui confiant la mission de présenter au roi des mémoires sur les impôts. Que fit le Parlement? Il ne présenta aucun mémoire; il enregistra docilement les édits (3).

En 1770, pour combler le déficit toujours croissant, l'abbé Terray, personne ne l'ignore, dépassa tout ce que ses prédécesseurs avaient imaginé de plus vexatoire et de plus illégal en fait d'exactions financières. « Que faisaient cependant les rédacteurs de tant de vertueuses remontrances...? a écrit P. Clément (*). Hélas! ils gardaient le silence. L'abbé Terray, qui était du Parlement et qui connaissait son monde, avait trouvé, pour endormir l'indignation de ses anciens

(1) Bailly, Hist. fin., II, 105-106.

(2) Id., 108-109.

(3) Bailly, Hist. Fin., 156-157.
(4) P. Clement, l'Abbé Terray, 390-391.

collègues, un moyen qu'il se garda bien de négliger, en ayant lui même éprouvé l'efficacité... Je veux citer l'appréciation d'un contemporain dont personne ne suspectera la bonne foi, M. de Montyon (1). << Pour éloigner la résistance du Parlement, dit-il, un traitement » avantageux lui fut fait indirectement, en ce sens que les rentes » perpétuelles dans lesquelles les membres de ce corps étaient principa» lement intéressés, n'éprouvèrent qu'une réduction d'un quinzième, >> tandis que les rentes viagères en souffrirent une d'un dixième. >> Ce devait être principalement le contraire; car la réduction du >> viager portait sur l'intérêt et le principal; et quand la malheureuse >> situation des finances force à faire subir un traitement rigoureux, il >> faut au moins qu'il y ait une proportion dans la répartition du » malheur et une sorte de justice dans l'injustice. >>

Il ressort de ces divers exemples que le Parlement n'était pas en principe l'ennemi des iniquités fiscales; il ne l'était pas au moins de celles dont il n'était pas personnellement victime. Chaque fois, en revanche, que les contrôleurs généraux avaient essayé d'assujettir les privilégiés à l'impôt, sans faire d'exception en faveur du Parlement, le Parlement avait protesté. Il avait protesté contre le vingtième établi par Machault en 1750 (2). Il avait protesté contre la subvention générale proposée par Silhouette en 1759 (3). Il protestait alors avec non moins d'énergie contre l'imposition qui devait remplacer la corvée. Il protestait, bien qu'elle fût minime, parce que derrière cette imposition, il entrevoyait le renouvellement des projets de Machault et de Silhouette et l'établissement d'un impôt territorial. << Il n'est que trop ordinaire aux partisans des nouveautés de ne dévoiler leur système que par degrés, » disait-il, en terminant les remontrances. Ces craintes étaient fondées. Turgot, héritier des traditions de l'administration monarchique (en ce qu'elles avaient de bon), tendait à faire reconnaître comme loi de l'État l'égalité de tous devant l'impôt. Le Parlement, dépositaire de tous les préjugés de caste (en ce qu'ils avaient de mesquin), était prêt à toutes les oppositions, plutôt que de se résoudre à subir ce genre d'égalité. Était-ce là un rôle digne de la magistrature française? Un écrivain qu'on n'accusera pas d'hostilité contre l'ancien régime, P. Clément, ne l'a point pensé. « L'opposition que fit le Parlement de Paris à l'enregistrement des réformes proposées par Turgot, donna, dit-il, une juste idée de l'étroitesse de ses vues, du peu de lumières et du défaut de patriotisme de ce corps ('). » Ce jugement pourra sembler sévère; en tout cas, le texte des remontrances du 4 mars 1776 n'est pas assurément de ceux qui l'affaiblissent ou le contredisent.

(1) Mont., Part. 8. qq. min. des fin., 167, note. (2) Bailly, Hist. fin., II, 133-134.

(3) Id., 144.

(4) P. Clement, l'Abbé Terray, 392.- Turgot

aurait même trouvé les états des sommes payées jadis au Parlement pour obtenir son silence (?) C'est du moins ce qui résulte d'une lettre de Frédéric II à Voltaire, du 20 avril 1776.

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