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les résultats qu'on en attendait: elle fut restreinte, puis abrogée. En 1770 et 1771, l'abbé Terray revint à l'ancien système prohibitif, et, tout en maintenant en parole la libre circulation, il la surchargea de formalités si nombreuses et si compliquées qu'il la rendit impossible en réalité.

« L'examen de ces faits, qui sont de notoriété publique, dit Turgot en concluant, nous a convaincu que le commerce affranchi de toute gêne et de toute crainte peut seul suffire à tous les besoins, prévenir les inégalités des prix, les variations subites et effrayantes qu'on a vues trop souvent arriver sans cause réelle; qu'il pourrait seul, en cas de malheur, suppléer au vide des disettes effectives auxquelles toutes les dépenses du gouvernement ne pourraient remédier. »

Après ce préambule historique, qui établit et motive très fortement la nécessité de la liberté par l'exemple des tristes résultats qu'amène l'excès de réglementation, Turgot expose les diverses dispositions de la nouvelle loi. Le commerce des grains sera entièrement libre à Paris, comme il l'est déjà dans le reste de la France. On y achètera et on y vendra, comme on voudra, autant qu'on voudra, à qui on voudra, où on voudra, au prix qu'on voudra. On pourra faire vendre par un tiers. On pourra exporter, importer, réexporter en toute liberté. Tous les droits sur les grains seront supprimés, y compris les droits de halle et de gare. Les droits établis sur l'avoine, l'orge, les graines et grenailles seront seuls maintenus provisoirement, afin d'assurer des indemnités aux mesureurs et porteurs de grains dont les offices sont supprimés.

Le troisième édit (1) complétait le précédent. Il portait la suppression des offices sur les ports, quais, halles et marchés de Paris. Ces offices ne devaient leur origine qu'à des besoins extraordinaires de l'État. Créés antérieurement à l'année 1689, ils avaient été une première fois supprimés en 1715 et 1719, « sans que l'ordre et la police en souffrissent aucune altération. » Rétablis en 1727 et 1730, ils furent supprimés de nouveau en 1759. Cette fois leur suppression dura à peine un an. Ils furent rétablis provisoirement en 1760. Ce provisoire durait encore en 1776.

Turgot remit en vigueur l'édit de 1759 qui les supprimait et les articles de cette loi qui fixaient les indemnités dues aux titulaires. L'état des finances ne permettait pas l'abolition immédiate et définitive des droits, dont le revenu était d'ailleurs nécessaire au remboursement des offices; la perception en fut attribuée à la Ferme. Mais Turgot se réservait de supprimer ultérieurement, de simplifier ou de modérer ceux de ces droits qui paraîtraient trop onéreux au peuple,« soit par leur nature, soit par les formalités qu'exigeait leur perception. »

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 299.

Le quatrième édit (1) est un des principaux monuments du ministère. C'est l'édit qui supprimait les jurandes. Il faudrait citer en entier cette œuvre magistrale, dont la concision sévère, la sobre éloquence, l'émotion contenue rappellent les discours de Tacite et les meilleures pages de Montesquieu.

Turgot commence par signaler le mal, les atteintes portées au droit naturel par l'existence des jurandes. « Dans presque toutes les villes..., dit-il, l'exercice des différents arts et métiers est concentré dans les mains d'un petit nombre de maîtres réunis en communauté, qui peuvent seuls, à l'exclusion de tous les autres citoyens, fabriquer ou vendre les objets du commerce particulier dont ils ont le privilége exclusif; en sorte que ceux de nos sujets qui, par goût ou par nécessité, se destinent à l'exercice des arts et métiers, ne peuvent y parvenir qu'en acquérant la maîtrise, à laquelle ils ne sont reçus qu'après des épreuves aussi longues et aussi pénibles que superflues et après avoir satisfait à des droits ou à des exactions multipliées... - Ceux dont la fortune ne peut satisfaire à ces dépenses sont réduits à n'avoir qu'une subsistance précaire sous l'empire des maîtres, à languir dans l'indigence, ou à porter hors de leur patrie une industrie qu'ils auraient pu rendre utile à l'État. Les citoyens de toutes les classes sont privés du droit de choisir les ouvriers qu'ils voudraient employer, et des avantages que leur donnerait la concurrence pour le bas prix et la perfection du travail. On ne peut souvent exécuter l'ouvrage le plus simple, sans recourir à plusieurs ouvriers de communautés différentes, sans essuyer les lenteurs, les infidélités, les exactions que nécessitent ou favorisent les prétentions de ces différentes communautés et les caprices de leur régime arbitraire et intéressé. »

Turgot recherche ensuite l'origine des corporations de métiers. Il les montre naissant avec les communes, s'organisant en communautés particulières dans la communauté générale, puis en confréries religieuses, réigeant des statuts, s'efforçant de restreindre le plus possible le nombre des maîtres par la multiplicité des frais et des formalités de réception, réclamant enfin des règlements qui, sous prétexte de prescrire l'emploi des meilleurs procédés de fabrication, assuraient simplement sur les ouvriers et les maîtres l'empire des chefs de chaque métier, et achevaient d'organiser à leur profit le plus étroit et le plus dur monopole. Le gouvernement prit l'habitude d'autoriser ces règlements, les considérant comme de droit commun. Bientôt même il s'accoutuma à se faire une ressource de finance des taxes imposées sur les corporations, et de la multiplication de leurs priviléges. Il imagina enfin d'établir dans les communautés des offices de diverses

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 302.

sortes, puis de forcer celles-ci à les racheter au moyen d'emprunts qu'il les autorisait à contracter; il leur aliénait en même temps pour en payer les intérêts, le produit des gages ou des droits de cest mêmes offices.

Après ce rapide historique, Turgot se hâte de revenir aux principes. L'existence des communautés porte préjudice à l'industrie; elle porte atteinte au droit naturel. On ne peut prétendre que le droit de travailler est un droit royal, que le prince peut vendre, que les sujets doivent acheter. Rien n'autorise une pareille maxime. « Dieu en donnant à l'homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes. >>

Bien que très connue, cette admirable déclaration méritait d'être rappelée. Il faut citer aussi les motifs que Turgot invoque contre les corporations. Ce sont des institutions arbitraires; elles ne permettent pas à l'indigent de vivre de son travail; elles « repoussent un sexe à qui sa faiblesse a donné plus de besoins et moins de ressources, et semblent, en le condamnant à une misère inévitable, seconder la séduction et la débauche. » Elles éteignent l'émulation, étouffent le talent naissant, privent l'État et les arts des lumières qu'apporteraient les étrangers, rendent les découvertes et les inventions presque impossibles. Par l'immensité de frais, de saisies, d'amendes, de procès interminables qu'elles occasionnent, elles surchargent l'industrie d'un impôt énorme; elles facilitent la ligue des riches contre les pauvres, et favorisent des manoeuvres dont l'effet est de hausser le prix des denrées de première nécessité.

Ce réquisitoire se termine par l'arrêt de mort des corporations. Elles seront donc supprimées. Liberté sera rendue à l'industrie. Et ici il est beau de voir quelle confiance en la liberté professe Turgot à une époque d'absolutisme industriel et commercial autant que politique, alors que personne n'avait encore été témoin des heureux effets de la liberté du travail et du prodigieux développement de la richesse dont elle a été la première cause. Turgot n'hésite pas un instant. Liberté! liberté entière! On objecte en vain que, sans règlements, les ouvriers ne sauront plus travailler; que le public sera mal servi; que la concurrence d'ouvriers nouveaux ruinera les anciens. Turgot n'a pas de peine à réfuter ces craintes chimériques.

Cependant, en supprimant les jurandes en vue de l'intérêt général, il ne voulait point qu'on pût l'accuser de faire en même temps bon marché de l'intérêt des particuliers. Il réglait avec un soin minutieux le paiement des dettes contractées par les jurandes. Les droits levés jusque-là par elles devaient être perçus à l'avenir au profit du Trésor afin de pourvoir au remboursement d'offices désormais inutiles. Les

créanciers particuliers des jurandes devaient être facilement payés lors de la liquidation de celles-ci, sur les fonds mêmes qu'elles avaient en caisse. Par précaution, l'application de l'édit n'était faite immédiatement qu'aux corporations parisiennes, dont la solvabilité avait été vérifiée; il serait statué plus tard sur la suppression des communautés de province. Un scrupule du même genre, qui prouve une fois de plus les ménagements que Turgot savait apporter dans l'application de ses réformes, exceptait également de la liberté rendue à l'industrie les communautés de barbiers-perruquiers-étuvistes, parce que les maîtres de ces professions avaient reçu le privilége de conserver à leur gré la propriété de leurs offices par le paiement du centième denier. Les professions qui paraissaient exiger une surveillance particulière de la part de l'État, la pharmacie, l'orfévrerie, l'imprimerie et la librairie, n'étaient pas non plus atteintes par l'effet de l'édit et restaient soumises à leurs règlements spéciaux. Le ministre, il est vrai, se réservait de les réviser, désirant sans doute affranchir l'imprimerie et la librairie au moins de l'excès de réglementation qu'elles subissaient. Pour rassurer enfin l'opinion publique, toujours défiante en matière de liberté, il s'engageait à prendre « les mesures que la conservation de l'ordre public exigeait, pour que ceux qui pratiquaient les différents négoces, arts et métiers, fussent connus et constitués en même temps sous la protection et la discipline de la police. » Les précautions prises à l'égard des marchands et artisans n'avaient du reste rien de vexatoire. Elles obligeaient simplement les patrons à se faire inscrire chez le lieutenant-général de police, et les ouvriers chez leurs patrons.

Telles sont les principales dispositions du célèbre édit qui supprimait les jurandes. Cette analyse ne serait pas complète si nous ne montrions comment Turgot comptait remplacer ce qu'il supprimait..

Il avait vu avec horreur les tristes effets d'associations régies par des maîtres tyranniques. Il crut nécessaire d'interdire à l'avenir toute association entre patrons ou artisans. L'article XIV est formel sur ce point: « Défendons... à tous maîtres, compagnons, ouvriers et apprentis... de former aucune association ni assemblée entre eux sous quelque prétexte que ce puisse être. » De telles paroles sont regrettables sans doute, et surtout dans la bouche d'un Turgot. Mais on peut opposer deux excuses à ceux qui prétendraient juger uniquement sa pensée d'après le texte de l'article XIV. S'il avait autorisé les patrons ou les ouvriers à s'associer et à se réunir, il était à craindre que beaucoup d'entre eux ne vissent tout d'abord dans cette liberté qu'un moyen indirect de rétablir sous d'autres noms les corporations détruites. Nous ajouterons que si l'on examine de près le dispositif de l'édit, l'article XIV semble n'avoir établi qu'une disposition

transitoire. En affranchissant l'industrie, en effet, Turgot ne voulait pas la désorganiser, et ce n'est pas simplement par des mesures de police qu'il prétendait assurer la sécurité et le respect des droits de l'artisan. L'article X apporte un heureux correctif à l'article XIV. « Il sera formé dans les différents quartiers des villes de notre royaume, et notamment dans ceux de notre bonne ville de Paris, des arrondissements dans chacun desquels seront nommés, pour la première année seulement, et dès l'enregistrement ou lors de l'exécution de notre présent édit, un syndic et deux adjoints, par le lieutenant-général de police; et ensuite, lesdits syndics et adjoints seront annuellement élus par les marchands et artisans dudit arrondissement, et par la voie du scrutin, dans une assemblée tenue à cet effet en la maison et présence d'un commissaire nommé par ledit lieutenant de police; lequel commissaire en dressera procès-verbal, le tout sans frais; pour, après néanmoins que lesdits syndics et adjoints auront prêté serment devant ledit lieutenant-général de police, veiller sur les commerçants et artisans de leur arrondissement, sans distinction d'état ou de profession, en rendre compte au lieutenant-général de police, recevoir et transmettre ses ordres... »

L'importance de cet article n'échappera à personne. Il autorisait les artisans à se réunir annuellement et à élire des chefs qui fussent leurs représentants naturels auprès du pouvoir. C'étaient là en germe tout à la fois des chambres d'industrie et de commerce dont les syndics et adjoints eussent été les membres, et de véritables associations. Pour que ces embryons d'institutions atteignissent leur développement normal, il suffisait que les assemblées annuelles devinssent plus fréquentes et que des liens étroits s'établissent peu à peu entre les artisans du même arrondissement. Mais une différence très nette n'en aurait pas moins toujours subsisté entre les anciennes corporations et les associations nouvelles les unes représentaient séparément chaque corps de métier; celles-ci auraient représenté collectivement les gens de tous métiers compris dans un même arrondissement. Turgot espérait sans doute que la mise en commun d'intérêts divers et le mélange d'hommes jusque-là étrangers les uns aux autres inspirerait à ces réunions des idées moins égoïstes, plus justes et plus libérales que celles des anciennes jurandes. On objectera qu'une assemblée annuelle n'était rien. Peut-être. Les précédents sont tout en administration. Le principe d'assemblées périodiques une fois admis, il était difficile que les circonstances n'en fissent pas autoriser plusieurs dans une même année; et de là à une représentation sérieuse et permanente de l'industrie, il n'y avait pas

loin.

Les articles XI et XII ne sont pas moins dignes d'attention. Ils établissaient une sorte de justice de paix ou d'arbitrage à l'usage des

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