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prodiguer. » Mais le plus heureux effet de ce système sera de faire cesser « l'injustice inséparable de l'usage des corvées ».

Le poids des corvées ne tombe que sur la classe la plus pauvre. Cependant, << c'est aux propriétaires, dit Turgot, que les chemins publics sont utiles, par la valeur que des communications multipliées donnent aux productions de leurs terres... C'est donc la classe des propriétaires qui doit seule faire l'avance de la confection des chemins, puisqu'elle en retire les intérêts. »><

<< Comment pourrait-il être juste d'y faire contribuer ceux qui n'ont rien à eux! de les forcer de donner leur temps et leur travail sans salaire! de leur enlever la seule ressource qu'ils aient contre la misère et la faim, pour les faire travailler au profit de citoyens plus riches qu'eux!»

Cette opinion de Turgot que les propriétaires doivent seuls payer pour les routes, ne lui était pas inspirée seulement par sa pitié pour les malheureux corvéables; elle résultait de l'ensemble de ses doctrines économiques. Égaré par le physiocrate Quesnay et sa théorie sur le revenu, il pensait: que le salaire de l'ouvrier ne dépasse jamais le strict nécessaire à son entretien; que la classe journalière pourrait peut-être gagner un jour à la confection des routes « une augmentation de salaires proportionnée à la plus grande valeur des denrées»; mais qu'une augmentation de ce genre n'en est pas une, puisque la proportion reste la même entre le salaire et le prix des denrées; qu'il serait donc injuste de faire payer l'impôt à la classe ouvrière; que les seuls propriétaires profitent de la création des routes, et que seuls aussi ils doivent en faire la dépense. On voit ce que cette opinion avait d'incomplet et, par conséquent, de faux. Les routes profitant à tous les citoyens, tous doivent contribuer à leur construction ou à leur entretien, chacun proportionnellement à ses ressources. Voilà la vérité sur ce point, et cette vérité est heureusement devenue banale.

Turgot est plus heureux lorsqu'il établit un rapprochement entre la corvée imposée aux pauvres au profit des riches et « les lois prohibitives» qui fixaient le prix des denrées au-dessous de leur véritable valeur, dans l'intérêt mal entendu des pauvres. « D'un côté, dit-il, on commettait une injustice contre les propriétaires pour procurer aux simples manouvriers du pain à bas prix, et de l'autre, on enlevait à ces malheureux, en faveur des propriétaires, le fruit légitime de leurs sueurs et de leur travail. » Il pense avec raison que c'était là « blesser également les propriétés et la liberté de tous »; que c'était « les appauvrir les uns et les autres, pour les favoriser injustement tour à tour ». Et il ajoute cette belle parole: « C'est ainsi qu'on s'égare quand on oublie que la justice seule peut maintenir l'équilibre entre tous les droits et tous les intérêts, »

III. — Dans la troisième partie du préambule, Turgot examine les motifs qui ont pu engager les gouvernements précédents à introduire et à laisser subsister la corvée; et il réfute un à un ces divers motifs, qui fournissaient autant d'objections spécieuses à ses adversaires.

On a pu penser que les corvées permettraient d'entreprendre les routes dans tout le royaume à la fois et de les achever rapidement. Tout au contraire : l'expérience a démontré que les provinces les moins peuplées exigent justement, à cause des montagnes qui les couvrent, les plus pénibles et par conséquent les plus longs travaux, forcément retardés encore par des ouvrages d'art tels que ponts, tranchées, murs de soutènement, qu'on ne peut exécuter qu'à prix d'argent. L'état des chemins dans la plus grande partie du royaume. prouve combien la corvée est impuissante à en accélérer la confection. On a craint d'imposer une nouvelle charge au peuple en le forçant à contribuer en argent à la dépense nécessaire pour les routes. << Ceux qui faisaient ce raisonnement oubliaient qu'il ne faut pas demander à ceux qui n'ont que des bras, ni l'argent qu'ils n'ont pas ni les bras qui sont leur unique moyen pour nourrir eux et leur famille. » La corvée est en outre une imposition bien plus lourde que son équivalent en argent, comme l'ont prouvé les essais autorisés dans plusieurs provinces.

«

On n'a pas voulu que les fonds destinés aux chemins pussent être détournés de leur emploi, et qu'une fois détournés ils continuassent à l'être, aggravant d'autant le fardeau du peuple. «Les administrateurs se sont contraints eux-mêmes; ils ont voulu se mettre dans l'impossibilité de commettre une infidélité dont trop d'exemples leur faisaient sentir le danger. » C'est le grand argument de Trudaine, on se le rappelle. - Turgot en apprécie toute la gravité. Cependant « la force de cette considération ne change pas, dit-il, la nature des choses; elle ne fait pas qu'il soit juste de demander un impôt aux pauvres pour en faire profiter les riches. » Il faut donc se borner à prendre des précautions contre le détournement des fonds. Ces mesures avaient été indiquées par Trudaine, et Turgot les adopte en même temps qu'il s'efforce de rassurer indirectement son ami. Pendant la guerre, toutes les dépenses qui ne sont pas indispensables doivent être supprimées; celle des chemins seront réduites au simple entretien. A la paix, l'imposition suspendue sera rétablie. Cette contribution ne sera pas fixe; elle sera réglée tous les ans par le Conseil pour chaque généralité, etc.

Turgot terminait par la décision la plus grave, et bien que la plus juste, la plus propre à irriter les privilégiés. « Cette contribution, disait-il au nom du roi, ayant pour objet une dépense utile à tous les propriétaires, nous voulons que tous les propriétaires, privilégiés et non privilégiés, y concourent ainsi qu'il est d'usage pour toutes les

charges locales; et par cette raison, nous n'entendons pas même que les terres de notre domaine en soient exemptes, ni en nos mains, ni quand elles en seraient sorties, à quelque titre que ce soit. »

La déclaration était impérative et formelle, ne permettait aucun doute, ne laissait place à aucune échappatoire. Clergé, noblesse, finance, haute bourgeoisie, tous les privilégiés devaient payer l'impôt établi à la place des corvées. Les privilégiés étaient sommés, ils étaient contraints de prendre leur part du fardeau qui avait jusque-là pesé si lourdement sur le peuple.

Tel est le préambule de l'édit. Quant au dispositif, il reproduit simplement sous forme d'articles de loi les mesures diverses justifiées dans le préambule (').

Bien qu'agréé par le Conseil, l'édit subit probablement quelques remaniements avant d'être remis à Miroménil et porté au Parlement, car six jours après (le 12 janvier) Trudaine proposait à Turgot des changements et des additions dont celui-ci paraît avoir tenu compte dans sa rédaction définitive. Ainsi, il avertissait le ministre qu'une des objections du Parlement serait « que le roi pourrait détourner une partie des fonds, en confondant les sommes consacrées au remplacement des corvées avec les sommes destinées à la construction des œuvres d'art », et il conseillait de prévenir l'argument en déclarant d'avance que ces deux genres de dépenses resteraient parfaitement distincts; que les sommes consacrées au remplacement des corvées seraient employées uniquement à la confection et à l'entretien des routes, et que les sommes destinées à la confection des ouvrages d'art resteraient, comme par le passé, exclusivement affectées à la construction de ces ouvrages. Turgot inséra dans l'édit la déclaration que lui demandait Trudaine.

Dans la même lettre, Trudaine pressait de nouveau Turgot de se hâter. I insistait sur l'hostilité du Parlement. Il pensait que le roi devait la faire tomber d'avance, en laissant clairement entendre qu'il était disposé, s'il le fallait, à n'en tenir aucun compte et à passer outre. En même temps, il demandait à Turgot des nouvelles de sa santé. Turgot était toujours malade (2).

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 287.

(2) Vignon, III, 118.

CHAPITRE III'

Les édits de Janvier (suitė). Droits et offices relatifs aux Grains, Jurandes, Caisse de Poissy, Droits sur les suifs.

(Janvier 1776.)

Le second des édits de janvier, rédigé sous forme de déclaration (1), supprimait tous les droits établis à Paris sur les grains. On peut s'étonner que Turgot eût attendu si longtemps pour détruire dans la capitale des entraves au commerce des blés qui, grâce à lui, n'existaient plus dans le royaume depuis plus d'un an (2). Il nous donne lui-même la raison de ce retard. Le commerce des grains était à Paris l'objet d'une police spéciale, compliquée, bizarre; la multiplicité et les contradictions des règlements étaient telles, qu'il fallait une longue étude avant de bien connaître ce qu'on voulait supprimer. Le préambule de la déclaration renferme un curieux historique de cette législation étrange, dont une partie, il est vrai, était tombée en désuétude.

Une ordonnance de 1415 renouvelée par arrêt de 1661 défendait de mettre en magasin ou d'ôter des sacs les blés et farines arrivant par terre; de débarquer ou même d'abriter sous une banne (toile) les blés et farines arrivant par eau. L'arrêt de 1661 défendait également << de faire aucun amas de grains et d'en laisser séjourner dans les lieux de l'achat, ou sur les ports du chargement, ou sur les routes voisines de Paris. » La conservation des grains se trouvait ainsi par le fait interdite à Paris et aux environs.

L'ordonnance de 1415 imposait aux marchands l'obligation de vendre avant le troisième marché, à peine d'être forcés de vendre à un prix inférieur à celui des marchés précédents. D'autre part l'arrêt de 1661 et une ordonnance de police de 1635 défendaient aux marchands de blé de faire aucun achat dans Paris, et défendaient même « à tout boulanger d'acheter plus de deux muids de blé par marché ». Ainsi la même police, par des dispositions contradictoires, forçait de vendre et défendait d'acheter; et comme l'intervalle entre trois marchés était de onze jours, l'approvisionnement de Paris ne pouvait jamais, en tout cas, être assuré que pour onze jours.

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 289.

(2) Arrêt du 13 sept. 1774.

Un arrêt du Parlement, de 1565, aggravé par des ordonnances de police de 1628 et 1632, défendait aux marchands, sous peine de punition corporelle, de faire sortir de Paris et de dix lieues autour de Paris, les grains qu'ils auraient fait entrer dans les limites de cette zone. Ces dispositions tendaient à bannir le commerce des grains de Paris et de sa banlieue.

L'ordonnance de police de 1635, confirmée par un édit de 1672, défendait aux marchands qui avaient commencé la vente d'un bateau de blé d'en augmenter le prix. Les mêmes règlements enjoignaient à tout négociant qui faisait transporter des grains à Paris de les y vendre en personne ou de les y faire vendre par des gens de sa famille, et non par des facteurs. L'arrêt de 1661 défendait aux voituriers de vendre des grains dans les chemins, ou même de délier les sacs, à peine de confiscation. Le même arrêt imposait à ceux qui faisaient le commerce des grains pour Paris, de passer leurs factures par devant notaires, de les représenter aux officiers des grains, de les faire enregistrer sur des registres publics.

Ces dispositions tracassières et vexatoires avaient produit les effets qu'on en devait attendre. Le commerce fuyait Paris; une sorte de désert commercial de vingt lieues de diamètre séparait entre elles et isolait de la capitale les provinces les plus riches. On souffrait de la disette au sein de l'abondance. De 1660 à 1663, de 1692 à 1694, en 1698 et 1699, en 1709, en 1740, en 1741, le prix des grains, modéré dans plusieurs provinces, fut excessif à Paris, et cette cherté y causa presque autant de mal qu'une véritable famine.

On finit par comprendre la nécessité d'abandonner ces règlements nuisibles, on cessa d'en exiger formellement l'exécution. Cependant ils existaient toujours, et leur existence seule ôtait toute confiance au commerce. C'est alors que le gouvernement se trouva amené à s'occuper lui-même de l'approvisionnement de la capitale. Mais un commerce fait par l'État ne pouvait avoir ni l'étendue, ni la célérité, ni l'économie du commerce ordinaire. « Les agents portaient dans tous les marchés où ils paraissaient l'alarme et le renchérissement... Ils pouvaient même, par la nature de leurs fonctions, commettre plusieurs abus... Les opérations de ce genre, consommant le découragement et la fuite absolue du commerce ordinaire, surchargeaient de dépenses énormes les finances...; enfin elles ne remplissaient pas leur objet. » Ces inconvénients multipliés se firent surtout sentir à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le gouvernement commença alors à changer de méthode. Une déclaration de 1763 ordonna que la circulation des grains fût libre dans tout le royaume; << mais une multitude d'obstacles particuliers et locaux trompaient le vœu général de la loi, et embarrassaient toutes les communications; ils n'étaient encore ni reconnus ni levés. » La loi ne produisit pas

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