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ce digne ministre a de la confiance et qui la mérite. Il travaille beaucoup avec lui... (1). » Qu'elle voie aussi Dupont! Il réclame le 5. Il réclame le 8. Il ne devait cesser de réclamer qu'après avoir obtenu satisfaction (2).

«

C'est le 22 novembre seulement que Turgot déclara qu'il faisait enfin droit aux réclamations de Voltaire (3). Il fixait à 30,000 livres l'indemnité annuelle que devrait payer la province exonérée. Voltaire était difficile à contenter. « Je regrette, écrivit-il à Mme de SaintJulien, que M. le contrôleur général ait résolu de nous faire acheter notre liberté 30,000 mille livres par an pour l'indemnité de la Ferme générale. Je sais bien que cette liberté n'a point de prix; mais je représente humblement que, si on pouvait nous la faire payer un peu moins cher, on nous la rendrait encore plus précieuse... (*). On remarquera qu'en cette circonstance Turgot n'était plus pour lui ni « Sully » ni « Colbert », mais simplement « M. le contrôleur général ». Il le remerciait pourtant, et en termes chaleureux : « Je sais, Monseigneur, qu'il ne faut pas fatiguer les ministres de ses lettres; mais vous ne m'empêcherez pas de vous dire combien je suis pénétré de reconnaissance de ce que vous daignez faire pour mon pauvre petit pays de Gex. Je ne doute pas que nos États n'aient les mêmes sentiments que moi. Je me flatte que vous êtes quitte de votre accès de goutte. Je vois avec la même joie que vous êtes délivré de je ne sais quels petits frondeurs qui osaient s'élever contre le bien que vous faites. Ces chenilles, qui rongeaient les feuilles, sont obligées de respecter les fruits. - Je ne jouirai pas longtemps du beau et grand spectacle que vous donnez à la France; il sera cher à la postérité, et je mourrai avec la consolation d'en avoir vu les commencements. Agréez le tendre respect, l'attachement et la

reconnaissance du vieux malade de Ferney (3). »

Ces sentiments très sincères de gratitude ne faisaient nullement perdre de vue à Voltaire les intérêts de sa colonie. Il adressa un mémoire « hérissé de chiffres » à Morellet, qui devait le placer sous les yeux du ministre. Il espérait fléchir celui-ci et, en marchandant un peu, obtenir une réduction de prix. Il vit bientôt que c'était peine perdue, mais il ne se résigna qu'à demi. Le 8 décembre il annonçait à Trudaine que les États de Gex allaient se réunir le 11, qu'il leur ferait accepter l'édit et payer les 30,000 livres. « Mais c'est bien cher,» ajoutait-il avec un soupir. Et il joignait à sa lettre, avec les réclamations de Fabry, l'un des syndics du pays, qui déclarait

(1) Volt. à Mme de Saint-Julien, 3 oct. 1775. (2) Nous aurions pu citer encore notamment une lettre à d'Argental du 24 oct. 1775.

(3) Il aurait eu encore d'autres projets sur Voltaire, si fon en eroit la Correspondance Metra. & M. Turgot, y est-il dit, a proposé au roi de charger M. de Voltaire de diriger un

essai de la levée de l'impôt unique dans le
pays de Gex. Le ministre sollicitait aussi le
titre de marquis pour cet homme célèbre:
mais le roi à craint le reproche d'honorer
Tirreligion. (Corr. Métr., II. 259; 3 déc. 1775.)
(4) Voit, à Mme de Saint-Jul., 15 nov. 1775.
(5) Volt. a Turgot, 3 dec.

trop élevée l'estimation des Fermes, un mémoire pour Turgot contenant les doléances des États. Le 11, ces mêmes États s'assemblèrent pour délibérer sur « la bulle de M. Turgot » comme Voltaire nommait l'édit, et, bien qu'à regret, ils votèrent les 30,000 livres. Alors il y eut une nouvelle fête à Ferney. Voltaire fut acclamé; on mit des cocardes aux chevaux de sa voiture; on lui jeta des lauriers; on tira « des canons de poche », c'est-à-dire des pétards; on but à la santé de Trudaine et de Turgot.

Ce n'était pas tout pourtant; l'arrêt décisif était promis; il n'était pas rendu, et il tardait à paraître. Voltaire, inquiet de ces nouveaux retards, parut craindre que ses chicanes au sujet des 30,000 livres n'eussent fait mauvais effet. Si le ministre mécontent se ravisait, et ne signait pas! Ce soupçon était injuste, mais de la part de Voltaire. il ne doit nous surprendre qu'à moitié; la vanité irritable du poète se reflétait volontiers dans le cœur d'autrui. Il prit donc la plume: << Monseigneur, écrivit-il à Turgot, vous avez d'autres affaires que celles du pays de Gex; ainsi je serai court. - Quand je vous ai proposé de sauver les âmes de soixantę fermiers généraux pour une aumône d'environ cinq mille livres, c'était bon marché; et c'était même contre mon intention que je vous adressais ma prière, parce que je crois fermement avec vous qu'il faut les damner pour leurs trente mille livres. Quand je suis allé aux États, malgré mon âge de quatre-vingt-deux ans et ma faiblesse, ce n'a été que pour faire accepter purement et simplement vos bontés, sans aucune représentation. Si on en a fait depuis, pendant que je suis dans mon lit, j'en suis très innocent, et de plus très fâché. Je ne me mêle pas de ma petite colonie. Je fais bâtir plusieurs nouvelles maisons de pierre de taille que des étrangers, nouveaux sujets du roi, habiteront ce printemps. — Je défriche et j'améliore le plus mauvais terrain du royaume. Je bénis, en m'éveillant et en m'endormant, M. le duc de Sulli-Turgot. Si je devais mourir le 2 de janvier 1776, je voudrais avoir fait venir pour mes héritiers, le ler de janvier, dans ma colonie, du sucre, du café, des épices, de l'huile, des citrons, des oranges, du vin de Saint-Laurent, sans acheter tout cela à Genève (1). » Voltaire cherchait à faire entendre par ces derniers mots que la décision ministérielle ne pouvait être raisonnablement retardée au delà du 1er janvier 1776.

A Morellet, il tint, pour le besoin de sa cause, un langage différent (2). S'il avait réclamé, c'était à son corps défendant : « Bien des gens, dit-il, ont prétendu qu'il fallait me jeter dans le lac de

(1) Volt. à Turgot, 22 déc. 1775.

(2) On remarquera les contractions échappées à Voltaire. Il dit à Turgot que, si on lui a adressé des réclamations, ce n'est point sa

faute, et qu'il en est très innocent. Il avoue dans le même temps à Morellet qu'il a réclamé, qu'il a ecrit lettre sur lettre; mais ou l'y a forcé il en est très innocent aussi.

:

Genève pour avoir obtenu de M. Turgot la permission de payer 30,000 fr. d'impôt à MM. les fermiers généraux. Il a fallu que j'écrivisse lettre sur lettre pour supplier le ministre de diminuer cette somme... de sorte que, dans cette affaire, il a fallu me conduire comme dans les assemblées du clergé, c'est-à-dire agir contre ma conscience. » Voilà un bien gros mot. Il continue en se vantant d'avoir fait accepter l'affaire par les États; mais désormais il ne veut plus se mêler de rien : il rentrera dans sa coquille. Puis, viennent de nouveaux éloges à l'adresse du contrôleur général. Il est « le premier médecin du royaume, et ce grand corps épuisé lui devra bientôt une santé brillante. » Au moment de clore sa lettre, il glisse une dernière supplication, un argument qu'il juge invincible: il faut que M. Turgot donne la liberté entière du commerce au pays de Gex pour le 1er janvier Voltaire a promis cette liberté en son nom (1).

Au moment même où Voltaire s'ingéniait à fléchir un contrôleur général parfaitement disposé en sa faveur et à triompher de difficultés imaginaires, le 22 décembre, le roi signait des lettres-patentes qui fixaient justement au 1er janvier 1776 la libération du pays de Gex. La situation de cette contrée, « enclavée entre les terres de Genève, de la Suisse et de la Savoie, et séparée des autres provinces du royaume par le mont Jura, » avait paru à Turgot un motif suffisant de la considérer comme un pays étranger. En conséquence, les droits de traites sur les marchandises y étaient supprimés et le monopole de la vente du sel et du tabac y était aboli. Les bureaux des Fermes, qui formaient auparavant un cordon douanier sur ses frontières voisines de l'étranger, étaient reportés en arrière, sur les limites de la Bourgogne. Le pays de Gex devait payer à l'adjudicataire des Fermes une indemnité annuelle qui resta fixée à 30,000 livres, malgré les réclamations de Voltaire, et qui dut être levée sur les biens-fonds proportionnellement à la valeur réelle de ces biens. A ces conditions les habitants du pays de Gex pouvaient librement commercer avec l'étranger. Ils conservaient, en outre, la jouissance de tous les avantages de la liberté du commerce des grains. Enfin, la corvée pour la construction des chemins était abolie dans leur territoire, et remplacée par une imposition annuelle établie comme l'autre sur les biens-fonds (').

Voltaire apprit avec une vive joie le succès de ses longs efforts: mais il y vit surtout un encouragement à persévérer dans ses entreprises philanthropiques. Après avoir obtenu l'abolition des bureaux de la Ferme générale, il songea à demander la suppression de la main-morte, et le 29 décembre il signala avec indignation à Morellet le sort misérable des 30 à 40,000 serfs que possédaient les

(1) Volt. à Morell., 23 déc. 1775.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 412.

moines du Jura (1). Il sera question d'eux plus loin (2). Pour en finir ici avec Voltaire, rappelons plutôt l'épître (") qu'il adressa à Turgot à la fin de 1775, comme un hommage de son respect et une protestation nouvelle contre ses ennemis. Il racontait qu'en se promenant au fond des bois, il avait aperçu des troupes joyeuses,

des filles, des garçons,

Des vieillards, des enfants qui dansaient aux chansons.

Il leur demande quel est le sujet

de leur bruyante joie?

Il leur dépeint leurs propres misères et s'étonne qu'ils n'en soient pas accablés :

A peine eus-je parlé, mille voix éclatèrent,

Jusqu'aux bords étrangers les échos répétèrent :

Ce temps affreux n'est plus, on a brisé nos fers.

Ici une note avertit le lecteur que le dernier vers fait allusion à l'abolition de la corvée et à la décision royale qui défendait de poursuivre arbitrairement le débiteur du fisc. Voltaire poursuit : Quel Hercule, leur dis-je, a fait ce grand ouvrage? Quel Dieu vous a sauvés? On répond : C'est un sage (').

Un sage! Ah, juste ciel! A ce nom, je frémis :
Un sage! Il est perdu, c'en est fait, mes amis.
Ne les voyez-vous pas ces monstres scholastiques,
Ces partisans grossiers des erreurs tyranniques,
Ces superstitieux qu'on vit dans tous les temps
Du vrai que les irrite ennemis si constants,

Rassemblant les poisons dont leur troupe est pourvue?
Socrate est seul contre eux, et je crains la ciguë.

Dans mon profond chagrin je restais éperdu,

Je plaignais le génie, et surtout la vertu.

Ariston (c'est-à-dire Condorcet) vient à propos consoler le poète affligé.

Ne vois-tu pas, dit-il, que le siècle est changé?
Va, de vaines terreurs ne doivent pas t'abattre,
Quand un Sully renaît, espère un Henri Quatre.

Cette assurance ranime Voltaire et lui rend courage. Toutefois l'impression générale que laisse cette petite pièce est pénible. L'in

(1) Volt. à Morell., 29 déc. 1775.

(2) Voir liv. II, ch. XII.

(3) Elle est intitulée: Le Temps présent. Voici en quels termes les Mémoires secrets de Bachaumont rendent compte de cette épitre « M. de Voltaire, non content des divers éloges prodigués à M. Turgot et à son administration par voie indirecte, vient d'adresser à ce ministre une épître intitulée : Le Temps présent. C'est une peinture touchante

et agréable par le contraste de la vie malheureuse que les habitants de la campagne menaient depuis longtemps avec celle dont ils vont jouir sous un gouvernement ami de l'agriculture et de l'humanité. L'auteur les met eux-mêmes en scène et les fait parler d'une facon bien flatteuse pour M. Turgot. On y reirouve la manière, etc.» (Bach., Mém. secr., VIII, 343; 28 déc. 1775.)

(4) Turgot.

quiétude y perce à chaque vers. On sent l'effort d'un homme qui tremble pour le sort de son ami, et voudrait se persuader à lui-même qu'il a tort de n'être point rassuré. Turgot n'était pas Socrate sans donte et il n'était point menacé de boire la ciguë; mais, bien que forcée, la comparaison n'est pas absolument fausse. Turgot était presque un philosophe, et il fut, comme Socrate, un homme de bien; il fut, comme lui, méconnu de la plupart de ses contemporains, exposé à leur haine aveugle et à leurs calomnies. Peut-être même faut-il l'estimer heureux d'être venu en son temps. Un peu plus tôt, il méritait la Bastille. Un peu plus tard, il serait mort sur l'échafaud.

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