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tueuse vanité qui la poussa, pour son malheur, à se mêler du gouvernement.

Choiseul était toujours à Paris. Le 6 octobre, Walpole écrivait: « Le duc de Choiseul est ici, et comme il a ajourné son départ pour la seconde fois, cela fait beaucoup de bruit. Je ne serais nullement surpris s'il reprenait les rênes; il a déjà pour lui la reine; pardonnezmoi ce jeu de mot! MM. Turgot et de Malesherbes sont certainement ébranlés; mais je ne vous en dirai pas davantage avant de vous voir, quoique cette lettre vous soit portée par une main particulière (1)... » La veille, un grand dîner avait réuni chez Mme du Deffand les principaux personnages du parti Choiseul : d'abord Choiseul lui-même. et son inséparable sœur la duchesse de Gramont, puis le prince et la princesse de Beauvau, la princesse de Poix, la maréchale de Luxembourg, la duchesse de Lauzun, les ducs de Gontaut et de Chabot, et même Carraccioli, l'ambassadeur de Naples, qui cependant avait été des amis de Turgot.

Cette fois encore, Choiseul et les siens en furent pour leurs intrigues et leurs avides espérances. Turgot et Malesherbes restèrent au pouvoir. Mais tant d'assauts répétés fatiguaient le roi et devaient peu à peu le dégoûter de ministres que toute sa cour avait en horreur. Walpole, bien que reçu et choyé par les adversaires de Turgot, voyait clairement la situation. « Ce pays-ci est bien heureux, disait-il, il est gouverné par des hommes qui veulent le bien et le font, sous un prince qui n'a pas encore commis une faute et qui sera aussi heureux que son peuple s'il emploie toujours de pareils hommes. MM. Turgot et de Malesherbes sont des philosophes dans toute l'acception du mot, c'est-à-dire des législateurs; mais, comme leurs plans ont pour but l'utilité publique, vous pouvez être sûrs qu'ils ne satisferont pas les intérêts individuels. Les Français sont légers et volages, et les ambitieux qui n'ont pas d'autre arme contre les honnêtes gens que le ridicule l'emploient déjà pour faire rire une nation frivole aux dépens de ses bienfaiteurs. S'il est de mode d'en rire, les lois de la mode seront mieux suivies que celles du bon sens (2). » On ne pouvait condamner avec plus de sévérité dans le fond et de modération dans la forme les misérables efforts des cabales qui s'acharnaient à entraver l'œuvre de Turgot et à lui arracher le pouvoir.

(1) Corr. Walp., 6 oct. 1775.

(2) Corr. Walp., 10 oct. 1775.

CHAPITRE XV

Recrudescence de l'Épizootie (1).

(De juin à décembre 1775.)

Grâce aux efforts persévérants de Turgot, l'épizootie avait beaucoup diminué dans le Midi. Cependant elle n'était pas terminée, et il la surveillait toujours avec attention.

L'inspecteur des manufactures de Saint-Gaudens Lauvergnat se plaignait que l'interdiction de transporter des laines du Béarn en suint dans son inspection eût causé tout à coup « une augmentation de 8 0/0 tant sur cette matière que sur les étoffes qui en sont fabriquées», et que ces laines fussent fort mal dégraissées. Il demandait << qu'on fit cesser cette défense, ou qu'on obligeât les marchands du Béarn à dégraisser leurs laines 24 heures après la tonte de leurs moutons. » Turgot fit part de ces plaintes à Vicq d'Azyr et lui demanda son avis. Celui-ci, dans sa réponse, qu'il adressa au ministre sous forme d'observations, distinguait deux choses très différentes: 1° le dégraissage des laines, question qui. disait-il, n'a aucun rapport avec celle de l'épizootie; 2° la liberté du transport des laines du Béarn, réclamée par l'inspecteur Lauvergnat, qu'il ne voyait pas grand inconvénient à rétablir, pourvu que les laines fussent préalablement lavées et échaudées. Avant de prendre un parti, Turgot envoya copie de ces observations à l'intendant de Bordeaux, en le priant de lui dire s'il croyait utile d'adopter les conclusions de Vicq d'Azyr (2).

L'intendant Journet, de son côté, avait écrit à Turgot pour réclamer des indemnités en faveur des propriétaires qui avaient perdu des bestiaux. Turgot lui fit remarquer fort justement que l'indemnité était de droit strict pour les propriétaires dont les animaux malades avaient été saisis et abattus par ordre du roi; mais que ceux dont les bestiaux étaient simplement morts de maladie n'étaient point dans le même cas, et n'étaient pas fondés à réclamer une indemnité. Leurs pertes étaient fâcheuses sans doute, et il n'était pas défendu de leur distribuer des secours, mais alors à titre d'aumône, et seulement à

(1) V. liv. I, ch. x, et liv. II, ch. 11.

(2) Arch. dép. Gir., C. 74. V. également

une lettre de Turgot à Journet sur les brigan dages commis en Gascogne (Pièc. just. no 44} ̧

ceux dont la pauvreté était constatée; car l'État n'était point responsable du fléau qui les avait frappés (1).

L'intendant d'Amiens, M. d'Aguay, avait exposé au contrôleur général une difficulté administrative qui l'embarrassait et dont l'épizootie était la cause. On lui avait annoncé l'expédition de cuirs verts de La Rochelle à Calais; quelques-uns de ces cuirs pouvaient être infectés : que faire? Fallait-il, à leur arrivée à Calais, les retenir, ou les détruire, ou leur permettre de pénétrer dans la province? Turgot ordonna de les garder provisoirement en lieu sûr. Une expérience était commencée à Lectoure pour savoir s'il était possible de désinfecter les cuirs: on devait placer sur le dos de vaches saines des cuirs ayant appartenu à des bêtes malades et préalablement passés à la chaux. Lorsque le sort des vaches soumises à l'expérience serait connu, il se proposait d'en informer aussitôt l'intendant d'Amiens.

Les renseignements promis ne se firent pas longtemps attendre. L'expérience réussit les vaches de Lectoure ne se trouvèrent nullement atteintes par les cuirs désinfectés qu'on avait placés sur leur dos. Turgot s'empressa d'en instruire M. d'Aguay: il lui enjoignit de faire désinfecter à l'eau de chaux les cuirs de La Rochelle, lorsqu'ils arriveraient à Calais, et de leur permettre ensuite une libre circulation (*).

Il ne s'en tint pas là, et quelques jours après il adressa à tous les intendants une circulaire sur la manière de désinfecter les cuirs; les priant de la rendre exécutoire par ordonnance, chacun dans sa généralité (").

Malgré ses prescriptions, l'épizootie avait peu à peu reparu et regagné du terrain, activée probablement par les chaleurs de l'été. Cette recrudescence inattendue d'un mal qu'on pouvait croire éteint inquiéta vivement Turgot. Il ne s'agissait plus maintenant d'en finir avec un fléau à peu près vaincu et de le détruire radicalement, comme il le disait le 18 juillet au comte de Périgord (); il fallait reprendre la lutte un instant interrompue, et se remettre patiemment à l'œuvre. Dans les landes du Marensin (Landes) le mal se propageait avec une incroyable rapidité; la piqûre des mouches le transmettait d'étable en étable (5). Au commencement du mois d'août, un grand nombre de villages du Midi comptaient de nouvelles victimes. L'intendant Esmangard déclarait que la maladie pouvait se communiquer par le transport des laines en suint, et en demandant à Turgot la permission réglementer ce commerce par une

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d'Azyr. Turgot l'invita à la rendre publique.
(Merc. fr., sept. 1775.)

(4) Arch. nat., F. 12, 151; 18 juillet 1775.
(5) Id.; 3 août.

ordonnance, il le priait de l'éclairer, le consultait avant de prendre un parti (1).

Turgot cherchait de son côté à s'instruire et faisait un pressant appel aux savants. Il songeait à « rassembler en un corps complet d'ouvrage » tous les mémoires publiés par les médecins sur la maladie épizootique; il voulait même y joindre la description des « maladies populaires qui avaient attaqué les hommes pendant le même temps. C'est ainsi, disait-il, que l'on pourrait avoir ce que les médecins appellent la constitution de l'année. » L'idée d'étudier comparativement les épidémies des hommes et des animaux était une de ces vues simples mais profondes qui renouvellent la science. Turgot n'était pourtant qu'un profane en médecine (2).

Au commencement de septembre, il reçut une lettre des directeurs du commerce de la province de Guienne, qui lui exposaient l'état déplorable de l'industrie des cuirs dans la région (3). « L'importation des cuirs, autrefois si considérable, disaient-ils, est réduite jusqu'à rien; cette branche de commerce est passée entre les mains des Anglais qui enlèvent les peaux à Saint-Domingue, les travaillent, les distribuent sur toute l'Europe, les introduisent même furtivement en France; les meilleurs ouvriers sont ruinés ou expatriés..., les tanneries désertes ou démolies... (*). » Ainsi la brusque interruption du commerce des cuirs indigènes avait ruiné des industries qui les préparaient, et la destruction de ces industries avait supprimé toute importation des cuirs des colonies, par une sorte de choc en retour. Peut-être n'en aurait-il pas été ainsi, si cette importation avait été libre, et si les tanneries girondines avaient pu se procurer en abondance au dehors la matière première qui leur faisait défaut en France. Elles auraient pu du moins résister à une crise que l'absence de liberté commerciale leur rendit mortelle.

Les désastres causés par l'épizootie ayant fini par préoccuper l'opinion publique, comme le témoignent divers passages des mémoires et des correspondances du temps, un écrivain, Lebègue de Presle, se proposa de publier un ouvrage sur le fléau. Il crut devoir en demander la permission à Turgot. Celui-ci la lui accorda aussitôt; il le pria seulement de lui donner communication du manuscrit, pour son instruction personnelle ("). ï

Un spéculateur, M. du Ronceray, proposa, de son côté, à Turgot d'introduire en France 200 têtes de béliers (sans doute pour repeupler les bergeries du Midi), à condition qui serait permis d'exporter librement 400 tonneaux de chiffons. Ce bizarre marché ne fut point

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accepté par Turgot; il n'admit pas, d'ailleurs, qu'en vertu d'un privilége, on pût ravir à l'industrie nationale une matière première qui lui était indispensable (').

Cependant, des nouvelles inattendues arrivaient du Midi. On annonçait de divers côtés à la fois que les méthodes curatives avaient été employées avec succès sur les bestiaux atteints par l'épizootie. Comment expliquer que des remèdes jusque-là inefficaces pussent maintenant réussir? Turgot pensa que probablement « la maladie en s'étendant avait changé de nature et s'était adoucie, comme l'histoire de toutes les épidémies en donne l'exemple ». Le fait valait la peine l'être examiné. Il envoya pour la seconde fois Vicq d'Azyr dans le Midi, et le pria de vérifier l'exactitude des renseignements reçus (*).

Vicq d'Azyr ne tarda pas à constater que ces renseignements étaient faux, et que l'espoir de guérir les bêtes malades était une pure illusion (3).

Des avis sérieux et mille indices indirects apprenaient en même temps à Turgot qu'il était mal servi et souvent trompé par les administrateurs chargés d'exécuter ses ordres. Il est même permis de croire que la recrudescence du mal avait été principalement causée par la désobéissance intéressée de beaucoup de fonctionnaires et la négligence de presque tous les autres. A partir de la fin de septembre, les lettres de Turgot prennent un ton qui indique le mécontentement d'un homme dont on a trompé la confiance; elles nous renseignent aussi, une fois de plus, sur l'inefficacité des meilleures lois, même soutenues par une forte centralisation, lorsque les lumières, les mœurs, le libre contrôle des citoyens n'en assurent pas l'exécution. Turgot avait particulièrement à se plaindre de l'indolence de l'intendant Journet. Il lui était revenu qu'on tenait impunément dans la généralité d'Auch et de Bayonne toute sorte de propos contre le système que l'administration avait adopté pour la destruction du fléau. Si Journet n'avait commis d'autre faute que de laisser parler librement ses administrés, nous le lui pardonnerions volontiers. Turgot fut moins indulgent; il se laissa même entraîner à une irritation excessive, et, cette fois au moins, parut oublier ses principes. « Quelques particuliers de votre généralité, écrivit-il à Journet, s'avisent de tenir contre l'administration des discours aussi indécents que dangereux... Je vous prie de faire des perquisitions pour tâcher de découvrir ceux qui en sont les auteurs... et leur faire savoir... que s'ils continuent leurs propos séditieux..., je prendrai aussitôt les ordres du roi pour les faire punir comme ils le méri

(1) Arch. nat., F. 12, 151: 12 sept. 1775. — On sait que les chiffons servent à la fabrication du papier.

(2) Arch. nat., F. 12, 151; lettre au comte de Fumel et à Journet.

(3) V. Lett. de T. à Cadignan. (Pièc.just. n°48.)

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