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à tous les intendants. Elle était datée de Paris, ce qui semble prouver qu'elle sortait directement des bureaux des finances, et elle est conçue en termes très généraux. Mais Turgot s'intéressait toujours particulièrement à l'intendance de Limoges. Voilà pourquoi il ajouta un post-scriptum de sa main à la lettre de M. d'Aine. Il appelait son attention sur l'inégalité qui régnait dans sa généralité au sujet de la taxe du pain. Le setier de blé valait 19 livres à Limoges, et 26 à Brives, et cependant la taxe fixait le prix du pain à Brives à 2 sous 6 deniers la livre, et à Limoges à 3 deniers de moins seulement. Le pain était donc presque aussi cher à Limoges qu'à Brives, bien que le setier coûtât 7 livres de plus dans cette dernière ville. Cette disproportion méritait d'être réformée ou tout au moins expliquée. Il réclamait l'un et l'autre (1).

Terminons par quelques décisions moins importantes.

On se plaignait à Tours de l'audace de deux fabricants qui ne craignaient pas d'employer dans différentes étoffes noires de la soie. teinte sur écru mêlée à de la soie cuite. Ce mélange était formellement interdit par les règlements. Turgot ne vit aucun inconvénient à l'autoriser, et il écrivit dans ce sens à Aubry, inspecteur du commerce et des manufactures à Tours (2).

Les juges du bailliage d'Étain. (en Barrois) avaient appliqué, « au profit de la charité, » contrairement à la loi, une amende de 100 livres. Par arrêt du Conseil, Turgot les condamna à payer ladite somme au Trésor royal (').

Il cassa, le 30 septembre, un arrêté du Parlement de Bordeaux, << comme attentatoire à l'autorité du roi». Le Parlement s'était opposé à l'exécution d'un édit de 1758, relatif à l'abonnement de la ville pour les dons gratuits (*). Cette décision du ministre ne fut point accueillie sans protestation. L'intendant essaya de prouver à Turgot qu'il n'était pas bien instruit des circonstances très complexes de cette affaire, et il prit sur lui de suspendre la publication de l'arrêt jusqu'à réception de nouveaux ordres (5). Turgot répondit qu'il était très bien informé, et il le prouva en citant tous les textes de lois antérieurs qui justifiaient sa décision et condamnaient celle du Parlement. Il conclut en donnant à l'intendant l'ordre de signifier l'arrêt de cassation sans plus différer (*).

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 207.
(2) Arch. nat., F. 12, 151: 19 sept. 1775.

Anc. lois fr., XXIII, 239: 30 s pt. 1775.
Un arrêt du même genre cassa (le 19 décembre
suivant) une sentence qui avait appliqué aux
réparations de la ville une amende prononcee-
contre deux particuliers, et condamna les
juges à la payer aux préposés des Fermes.
(Anc. 1. fr., XXIII. 391.)

(4) Arch. dép. Gir., C. 74. Ce n'était pas la première fois que le Parlement de Bordeaux

faisait acte d'insubordination. Le maréchal
de Mouchy qui commande à Bordeaux y a été
envoyé brusquement pour biffer un arrêt du
parlement de cette ville qui nous avait offensés.
Il a compulsé les registres et n'y a rien trouvé.
On prétend que cette cour a un registre secret
sur lequel est l'arrêté dont il s'agit. Ce double
registre serait un tour gascon assez bien ima-
ginė. (Corr. Métr., II, 72: 26 juillet 1775.)
(5) Arch. dép. Gir., C. 74; 7 nov.
(6) Id.; 7 déc.

Le 8 octobre enfin, des lettres-patentes confirmèrent les priviléges de l'Université, tels que exemption d'impôt, faculté d'être jugé à Paris, même en matière civile, droit pour la Sorbonne d'exercer une juridiction sur le commerce de la librairie, etc. (1). Ce n'était ni la première ni la dernière fois que Turgot, ennemi déclaré des priviléges, était contraint de les respecter et de les consacrer même par une déclaration officielle.

(1) Jourdain, Hist. de l'Univ., 459-460.

CHAPITRE XIII

L'Assemblée du Clergé de 1775.

Le clergé formait avant 1789 un véritable État dans l'État. Il avait ses assemblées périodiques, ses agents attitrés, sa justice particulière. Il avait aussi une administration financière entièrement indépendante du contrôleur général et du gouvernement (1). Tous les dix ans l'assemblée générale du clergé se réunissait à Paris, et elle votait le don gratuit, le seul impôt que payât l'Église (*).

En 1775 devait avoir lieu le renouvellement du don gratuit. C'est le 3 juillet que les représentants des 16 provinces du clergé de France s'assemblèrent sous la présidence du vieux cardinal de La RocheAymon, archevêque de Reims, au couvent des Grands-Augustins. L'assemblée s'ouvrait ordinairement le 25 mai. Elle avait été retardée probablement par les fêtes du sacre.

Le 9 juillet l'archevêque de Rouen se rendit à Versailles à la tête d'une députation de l'assemblée pour haranguer le roi. Il fit allusion dans son discours à la guerre des farines et au retour des Parlements: « L'activité de votre prévoyance paternelle a répandu la confiance et vous épargne pour toujours, Sire, le soin de punir ou de Pardonner ces agitations inquiètes que le besoin même ne pourrait pas plus justifier aux yeux de la religion qu'à ceux de la politique. Par une de ces fatalités qui agitent quelquefois les empires, les lois avaient pris l'alarme jusque dans leur sanctuaire; bientôt V. M. les a rassurées, en préférant à la rigueur du pouvoir la douceur d'une autorité bienfaisante (3). »

Le 11, les commissaires du roi se rendirent à l'assemblée du clergé : on traitait de puissance à puissance. Ces commissaires étaient le duc de La Vrillière (encore en place à cette époque), Turgot, Feydeau de Marville, Ormesson père et Ormesson fils. Ils furent reçus à la porte du couvent par les agents du clergé. Ceux-ci les conduisirent

(1) Il ne s'agit ici que du clergé de France. Le clergé étranger ou des pays conquis (Artois, Flandre et Hainaut, Cambraisis, FrancheComte, Alsace, Lorraine et Trois Evèches, principauté d'Orange, Roussillon, Bresse, Bugey, etc.) avait une organisation à part. Il contribuait, comme la noblesse, aux impositions établies dans ces provinces: vingtième et capitation. Il les payait d'après des abon

nements séparés, convenus avec le Trésor. (2) Il y avait encore, il est vrai, les impositions particulières à chaque diocèse, dont TEtat ne beneficiait point, et les oblats ou droit payé à l'hôtel des Invalides, mais les abbayes participaient seules à cette contribution. Quant aux impôts indirects, il en est question plus loin.

(3) Proc. verb. des assemb. du Clergé, in-folio.

à la porte de l'église qui communiquait du cloître au sanctuaire. Là ils furent reçus par les députés de l'assemblée, et enfin introduits dans le sanctuaire. Ils apportaient une lettre du roi, en réponse à la visite qui lui avait été faite deux jours auparavant. La Vrillière, en la remettant, prononça un discours. Il commentait en ces termes l'allusion faite par le clergé aux émeutes: « Dans les mouvements populaires qui se sont élevés autour de lui (du roi) et sous ses yeux, quelle égalité d'âme!... Tandis que par la force il pouvait réprimer ces mouvements séditieux, il a préféré la douceur, la persuasion, l'indulgence, et c'est à vous, Messieurs, c'est à des prélats citoyens, c'est à de fidèles pasteurs que le Père du peuple a recommandé ses enfants; c'est à vous qu'il a dit : Ramenez ces aveugles, qu'ont égarés des furieux; dispensez-moi d'être sévère, épargnez-moi la douleur de punir. » — Il rappelait, en outre, les cérémonies du sacre et parlait du serment qu'avait prêté le roi « d'honorer la religion et de protéger la foi» (1).

-

Le 13, les commissaires du roi revinrent à l'assemblée. Turgot, cette fois encore, se trouvait parmi eux. Ils apportaient une nouvelle lettre du roi, par laquelle il les chargeait d'expliquer « l'état de ses affaires au clergé. La Vrillière conclut en demandant un don gratuit de 16 millions. C'était le chiffre le plus élevé que le clergé eût payé. Entre autres raisons qui pouvaient le justifier, La Vrillière avait invoqué un singulier argument, l'établissement de la liberté du commerce des grains. « La liberté du commerce, disait-il, a donné à la plus abondante des productions de la terre (au blé) une valeur qui augmente considérablement le revenu des propriétaires. » Et il faisait entendre que les propriétaires (le clergé était le plus grand propriétaire de France) pouvaient contribuer davantage aux charges de l'État. Le cardinal de La Roche-Aymon protesta du dévouement du clergé au roi. L'abbé de Vogüé, promoteur de l'assemblée, se lamenta sur la misère du clergé, mais déclara qu'il se sacrifierait une fois de plus à la patrie. On remarquait dans sa harangue ce passage tout à la louange de Turgot: « Quel heureux présage n'annonce pas un règne commencé sous de si heureux auspices! Déjà les fonds publics sont remontés à leur valeur originaire; le crédit national se ranime, fruits heureux d'une administration sage, constante dans ses principes et éclairée dans ses moyens. Des retranchements économiques dans la dépense vous annoncent que vos dons ne seront point détournés, et que le grand ouvrage de la libération générale ne sera plus désormais un projet stérile et sans effet. » L'archevêque d'Auch déplora l'augmentation des dettes du clergé. Depuis 1755, disait-il, il a emprunté 94,500,000 fr. Il doit actuellement 97 millions.

(1) Procès-verbal des assemblées du Clergé, in-folio.

Avec les 16 millions demandés, la dette ira à plus de 113 millions. Il voulait pourtant aussi qu'on votât le don gratuit. Le don gratuit fut donc voté. "br

Le 21 octobre, des lettres-patentes contre-signées par Turgot approuvèrent les délibérations de l'assemblée. Elles autorisèrent le clergé à se procurer les 16 millions du don gratuit par un emprunt à 4.0/0. Ce capital fut joint à celui que le clergé avait déjà emprunté pour de semblables contributions. Au fonds d'amortissement fixé à 600,000 fr., l'État consentit à ajouter 500,000 autres francs pris sur le Trésor, ce qui éleva ce fonds d'amortissement à 1,100,000 fr. Les 16 millions se trouvèrent ainsi réduits à 15 millions et demi. La somme des intérêts à payer n'était donc plus que de 620,000 fr. Si on y joint 600,000 fr. d'amortissement, et une somme plus considérable pour les frais de perception, on trouve que le clergé dépensait en dix ans 1,220,000 fr. pour le service de l'État, soit 122,000 fr. par an. Assurément ce n'est pas trop. On a calculé que, toutes choses égales d'ailleurs, il payait six fois moins d'impôts que la noblesse, qui elle-même en payait infiniment moins que le peuple. Cependant il possédait à lui seul le tiers environ des terres du royaume, et il percevait à son profit le plus lourd des impôts directs, la dime. Le clergé, dira-t-on, payait l'impôt indirect (') comme tout le monde. Sans doute. Mais on n'a pas assez remarqué qu'il y contribuait aussi dans une proportion beaucoup moindre que les autres habitants du royaume. En effet, chaque chef de famille paie l'impôt indirect à la fois pour la consommation des siens et pour la sienne, tandis que les ecclésiastiques, n'ayant point de famille, ne paient que pour eux. Dupont de Nemours n'a pas tort de considérer comme une des causes immédiates de la Révolution l'obstination du clergé à ne point prendre sa part des charges publiques.

Turgot plus que tout autre comprenait l'injustice d'un tel état de choses. Plus que tout autre aussi, en sa qualité de philosophe et de ministre suspect, il était contraint de ménager jusqu'à nouvel ordre la puissance et les exigences du clergé. Il apposa donc son nom au bas des lettres-patentes qui acceptaient le don gratuit de 16 millions. Mais on sait quel nouveau plan d'impositions il méditait et s'efforçait de faire agréer par le roi (*).

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Il ne restait plus au clergé qu'à assurer le service des intérêts de l'emprunt contracté par lui pour l'acquittement du don gratuit. A cet effet, il s'imposait lui-même de décimes annuels payables par tous ses membres. L'assemblée générale répartissait cette contribution

(1) Il ne le payait qu'à son corps défendant. Dans son assemblée du 9 août, le clergé protesta contre les droits de franc-fief et de nouvel-acquet, les dons gratuits des villes, les octrois, les contributions aux ouvrages

publics, les droits d'aides et gabelles, dont il se déclarait exempt, et il décida qu'if presenterait prochainement au roi des mémoires relatifs à ces divers objets.

(2) Euv. de T. Ed. Daire, II, 429.

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