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Le duc d'Orléans avait demandé l'établissement d'un marché à Livry, près de Bondy, sur ses terres; il sollicitait en même temps l'autorisation d'y établir des droits sur toutes les marchandises qui y seraient apportées. Turgot ne songea pas un instant à faire fléchir sa doctrine en faveur d'un prince. Il répondit au garde des sceaux qui lui avait communiqué la requête du duc d'Orléans, qu'il ne voyait aucun inconvénient à l'ouverture du marché, mais qu'il ne pouvait admettre les droits proposés. « Ces sortes d'établissements, disait-il, ne devant jamais être faits que pour l'avantage du public, ce serait aller contre ce principe que d'autoriser ceux qui les forment à y percevoir des droits qui ne tendent qu'à augmenter le prix des denrées et bestiaux qui s'y vendent (1). »

La perception des impôts payés par les habitants de la « bonne ville» de Paris était confiée à deux sortes de fonctionnaires. L'impôt de la capitation et des vingtièmes était perçu par un conseiller receveur général pourvu d'un office dont la finance s'élevait à 600,000 fr., et qui était largement rétribué. La capitation des bourgeois était recouvrée par six receveurs pourvus de simples commissions, c'est-à-dire nommés par le Conseil. Ces derniers faisaient double emploi avec le receveur général. Turgot, toujours préoccupé de la nécessité de l'économie, en vue de « soulager le peuple », résolut de supprimer des frais inutiles. Il ordonna le remboursement de l'office de receveur général et transforma en offices les fonctions des six receveurs. L'argent versé par ceux-ci servit à payer celui-là. Les officiers de finances investis de ces nouvelles charges prirent le titre de receveurs des impositions de Paris, et se partagèrent aisément le surplus de travail dont ils étaient chargés. Le receveur général que Turgot rendait ainsi à seз loisirs se nommait Le Normand (2). Il alla sans doute grossir le nombre des mécontents (22 août) (3).

Le même jour, Turgot écrivit au ministre Vergennes pour lui faire part des doléances des commerçants qui s'étaient rendus à la foire de Beaucaire. Ils s'étaient plaints de la présence d'employés espagnols qui semblaient espionner leurs concitoyens, et avaient ainsi entravé la liberté des transactions. On n'avait pu vendre de mousseline, parce que cette étoffe était prohibée en Espagne. Il pria son collègue de présenter sur ces deux points des observations à la cour d'Espagne (*).

La Salle, fabricant et dessinateur à Lyon, était l'inventeur d'un nouveau métier pour la fabrication des étoffes, que l'Académie des Sciences venait d'approuver hautement. On y avait beaucoup remarqué un mécanisme ingénieux permettant de changer les dessins sans

(4) Arch. nat., F. 151: 22 noùl 1775. (2) Almanach royal de 1775.

(3) Eur. de T. Ed. Daire, II, 383.
(4) Arch. nat., F. 12. 151; 22 août 1775.

démonter les métiers. C'était, pour l'époque, un important progrès. Turgot écrivit à l'intendant Flesselles qu'il voulait contribuer à récompenser l'habile artiste. Il porta de 200 à 300 livres la subvention qui avait été accordée à chacun des 150 premiers métiers de ce genre qui seraient employés dans la fabrication lyonnaise. Il éleva de 4,000 à 6,000 livres la pension dont l'inventeur La Salle avait été pourvu. Turgot, économe des deniers publics, savait les dépenser à propos (1).

En même temps, il s'adressa au prévôt des marchands de Lyon. A l'occasion du passage de la princesse de Piémont, le corps de ville devait voter une somme destinée à servir de dot à plusieurs jeunes filles pauvres. Turgot demanda au chef de la municipalité lyonnaise d'inscrire sur la liste des filles dotées l'ouvrière que La Salle avait amenée à Paris pour tirer les cordes du métier soumis à l'examen de l'Académie des Sciences (2).

La Salle ne se tint pas pour satisfait il voulut avoir le cordon de Saint-Michel. Turgot, qui ne sollicita jamais aucune décoration pour lui-même, accueillit avec complaisance le désir du fabricant lyonnais. Il prit la peine de recommander sa demande à Vergennes. Cette récompense honorifique accordée à un industriel serait, disait-il, un moyen d'exciter l'émulation » et de « concourir à l'avancement des arts utiles » (3). La Salle figure parmi les chevaliers de l'ordre de Saint-Michel inscrits sur le tableau en 1775 (*).

Le 29, Turgot écrivit à l'intendant de Bretagne Caze de La Bove au sujet d'un abus qui s'était introduit dans l'administration des produits des droits de marque. Les inspecteurs des manufactures et les commis à la marque bénéficiaient de l'excédant de ces droits et se le partageaient. Cet usage était devenu peu à peu une règle reconnue. Turgot déclara l'usage injuste, parce qu'il établissait une répartition égale entre des fonctionnaires qui pouvaient être d'un mérite très inégal. Il voulut qu'à l'avenir l'excédant de recette fût versé à la caisse du commerce. Il se réservait d'accorder des gratifications à ceux qui « se seraient distingués par les avantages qu'auraient retirés les fabriques de leurs conseils et de leur vigilance » (5).

Le 6 septembre, un arrêt du Conseil, continuant la réforme entreprise par plusieurs arrêts antérieurs, dispensa du droit de marc d'or les présidents et les conseillers au Parlement de Bretagne (").

Les gardes marchands merciers et drapiers de Rouen avaient saisi des coupons de drap appartenant à un fabricant de Louviers, uniquement parce qu'ils avaient été adressés à une personne autre que celle

(1) Arch. nat., F. 12, 151; 27 août 1775.

(2) Id.; 27 août.

(3) Id.; 29 août.

(4) Almanach royal de 1776.

(3) Arch. nat., F. 12. 151; 29 août 1775.
(6) Anc. 1. fr., XXIII, 238.

dont le nom avait été inscrit dans la déclaration d'envoi. Turgot cassa la sentence ridicule des gardes marchands, et pria l'intendant de faire restituer les coupons saisis à leur légitime propriétaire (').

Un des principes agronomiques les mieux établis par les économistes du XVIIIe siècle est que la culture du sol exige des capitaux proportionnés aux frais d'exploitation. Quesnay a formulé cette vérité devenue banale dans l'une de ses maximes: «Que les avances des cultivateurs soient suffisantes pour faire renaître annuellement par les dépenses de la culture des terres le plus grand produit possible; car si les avances ne sont pas suffisantes, les dépenses de la culture sont moins grandes à proportion, et donnent moins de produit net. » Par avances il faut entendre capitaux. Or, les capitaux agricoles étaient rares du temps de Turgot, et parmi les principales causes. de leur rareté il faut compter le grand nombre de rentes foncières non rachetables dont les propriétés étaient chargées. Le produit des biens fonciers se trouvant absorbé en partie par l'acquittement de ces rentes, les propriétaires étaient souvent dans l'impossibilité de faire les avances nécessaires pour l'amélioration des terres. Voulaient-ils s'affranchir de ces charges onéreuses en éteignant la dette dont leurs terres étaient grevées, les actes qu'ils devaient passer à cet effet avec les porteurs de ces titres de rentes étaient frappés d'un droit très lourd, celui de centième denier. Turgot, ne pouvant détruire le mal, voulut au moins faciliter le remède. Il affranchit du droit de centième denier tous les actes « qui seraient passés à l'avenir entre les propriétaires des rentes foncières non rachetables et leurs débiteurs, soit à l'effet d'opérer l'extinction actuelle de ces rentes, soit à l'effet d'accorder aux débiteurs la faculté de les racheter par la suite. » Mais le droit de centième denier était au nombre des taxes perçues par la Ferme, qui en affermait elle-même la perception à un adjudicataire général. Toujours juste, Turgot déclara qu'en raison de l'exemption de centième denier dont jouiraient les actes de rachat de rente, l'adjudicataire des Fermes recevrait, s'il y avait lieu, une indemnité qui serait fixée ultérieurement (2). (Arrêt du 9 septembre 1775.)

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Le 7, il avait accordé 2,400 livres de secours pendant dix ans à l'entrepreneur d'une manufacture de bas de soie de Clermont, pour l'indemniser du préjudice que lui avait causé l'inexécution de l'une des clauses de son traité. Il avait appuyé le même jour auprès de Vergennes une réclamation des habitants de Bordeaux intéressés dans la faillite d'une maison de commerce hollandaise: ceux-ci demandaient que les fonds du failli ne fussent pas remis à la disposition d'une chambre bizarrement nommée la chambre des

(1) Arch. nat., F. 12, 151: 7 sept. 1775.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 428.

Deniers désolés, dont les opérations étaient trop lentes et les formalités trop coûteuses (1).

Le 12 septembre, il autorisa l'établissement à Lyon d'une chapellerie anglaise (2).

Le 17, il écrivit à M. d'Aine, intendant de Limoges, une curieuse lettre sur la proportion à établir entre le prix du blé et celui du pain. Cette question n'a pas vieilli. Elle est encore aujourd'hui vivement discutée. On se plaint tous les jours que la diminution du prix du blé n'entraîne pas immédiatement une diminution semblable dans le prix du pain; on accuse volontiers les boulangers de mauvais vouloir ou de mauvaise foi. Les adversaires de la liberté commerciale, exploitant le mécontentement général causé par la cherté du pain, ne cessent de réclamer le rétablissement de la taxe que la loi de 1791 n'a pas abolie. Les partisans de cette même liberté s'efforcent au contraire de faire comprendre que la taxe est une mesure arbitraire, fâcheuse et inefficace. Ils montrent comment les achats considérables de blé à haut prix antérieurs à la baisse peuvent forcer les boulangers à maintenir le prix du pain élevé pendant quelque temps, s'ils ne veulent point vendre à perte. Ils reconnaissent d'ailleurs que les boulangers ont une tendance fort naturelle à vendre cher, mais qu'ils partagent cette tendance avec tous les vendeurs du monde. Ce n'est pas la liberté qui est, à leur avis, la cause de l'inégalité dans les prix et de la cherté : c'est la réglementation à laquelle reste encore soumise cette liberté. La loi traite les boulangers en suspects et les soumet à des formalités qui, pour être absolument impuissantes à empêcher la fraude, n'en ont pas moins un caractère vexatoire et inquisitorial. La loi écarte ainsi d'un commerce fort honorable un certain nombre de négociants intelligents et honnêtes. Le nombre des boulangers étant restreint, ils peuvent s'entendre aisément et il est rare qu'ils se fassent concurrence. D'autre part, la menace du rétablissement de la taxe et la seule possibilité de ce rétablissement inquiète les boulangers, rend leur commerce aléatoire, leur interdit les opérations à longue échéance, les pousse à des gains précipités et exagérés. Il n'en serait pas ainsi si la liberté de la boulangerie était complète. En replaçant cette industrie sous le régime du droit commun, on lui rendrait la sécurité. Le nombre des boulangers augmenterait; ils se feraient concurrence entre eux et seraient naturellement amenés à abaisser leurs prix, en les réglant sur le cours des blés et des farines. S'ils se coalisaient, les particuliers ne pouvant plus invoquer le secours de l'État ou des municipalités et n'ayant plus à compter sur l'expédient dictatorial de la taxe, seraient amenés à se coaliser à leur tour. Sans doute ils retrouveraient

(1) Arch. nat., F. 12, 151; 7 sept. 1775.

(2) Arch. nat., F. 12, 151; 12 sept. 1775.

ainsi l'initiative qui leur manque, ils se grouperaient, ils s'entendraient pour la défense de leurs intérêts communs, ils fonderaient des sociétés coopératives de boulangerie.

Si cette question, que nous venons d'exposer brièvement, est peu avancée, même aujourd'hui, et si la doctrine de la liberté absolue trouve parmi nos contemporains les plus éclairés des contradicteurs opiniâtres et nombreux, au temps de Turgot le problème était bien autrement obscur et la solution en était encore moins facile à entrevoir. La taxe existait partout; la fixation de cette taxe était l'une des grosses affaires des officiers municipaux, et le devoir des intendants était de s'en enquérir soigneusement, de la surveiller, et d'en informer régulièrement le contrôleur général. Quelle que fût l'opinion personnelle de Turgot sur le commerce de la boulangerie, il était contraint de se conformer à l'usage (car il ne fallait pas songer à le changer) et il devait s'efforcer d'en tirer le meilleur parti possible pour le public. Or, il s'aperçut bientôt qu'il existait presque partout une inégalité choquante entre le prix du blé et le prix du pain. Après la disette de l'année précédente, l'abondance était revenue, le blé était à bon marché; et cependant, en beaucoup de villes et de villages, le pain était resté cher. D'après ses ordres, des expériences furent faites, notamment à Roissy près de Paris, pour établir le produit d'une mesure quelconque de blé en farine, le produit en pain, et les frais de farine et de cuisson. Ces essais démontrèrent que le prix de la livre de pain peut toujours être égal à celui de la livre de blé; que le prix du pain sera par exemple de 36 deniers ou de 3 sous la livre, si le setier vaut 36 livres (1).

Turgot fit part de ces expériences à l'intendant de Limoges; il lui recommanda d'en communiquer le résultat aux officiers des municipalités et aux boulangers de sa généralité; il prescrivit de ramener partout la taxe à un taux normal, en se conformant à la proportion établie à Roissy. Il terminait sa lettre par cette phrase qui annonçait ses projets pour l'avenir: « Si les jurandes des boulangers sont un obstacle à cette proportion, ce sera une raison de plus pour hâter le moment où l'on rendra à cette profession la liberté nécessaire pour opérer le soulagement du peuple (2). » Il ne faut pas d'ailleurs se méprendre sur ce mot de « liberté ». Turgot entendait supprimer la corporation des boulangers, mais non la taxe; il voulait accorder à chacun la liberté d'être boulanger, mais il ne songeait pas encore à accorder aux boulangers la liberté de vendre sans contrôle. Cette lettre à M. d'Aine était probablement une circulaire adressée

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