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à l'histoire des progrès scientifiques et se rapportent d'ailleurs à la même période du ministère.

Turgot songeait donc à faire constater par des expériences exactes la longueur précise du pendule à secondes, à la latitude de 45°, afin que cette longueur servît d'étalon commun et de terme de comparaison à toutes les mesures qu'il serait facile d'y réduire. C'était là une grande idée. Lorsque plus tard la Convention nationale, reprenant un décret de la Constituante (1), décréta l'uniformité des poids et mesures par l'emploi du système métrique, elle ne fit autre chose que réaliser le projet de Turgot en employant d'autres moyens. Turgot avait mûrement réfléchi à celui qu'il proposait. Nous ne songeons assurément pas à déprécier et nous admirons autant que personne les beaux travaux de Delambre, Méchain, Biot et Arago pour la mesure d'un arc du méridien et la détermination de la longueur du mètre; mais on sait au prix de quelles difficultés et de quels dangers ils accomplirent leur entreprise. La mesure de la longueur du pendule à secondes au 45° de latitude était une opération beaucoup plus prompte, infiniment moins pénible, et beaucoup moins dispendieuse << trois points qui surtout pour un ministre d'État et des finances n'étaient pas à dédaigner, » comme le fait justement remarquer Dupont de Nemours.

Turgot avait tout prévu. Le 45° traverse, près de Bordeaux, le Médoc, «< terrain peu élevé au-dessus du niveau de la mer, et suffisamment éloigné de toutes les montagnes qui pourraient troubler l'action de la pesanteur. » C'est là que l'opération devait avoir lieu; elle devait être confiée à Messier, de l'Académie des Sciences, astronome de la marine. Condorcet se chargea d'obtenir son assentiment. Turgot lui écrivit le 3 pour lui confirmer les propositions que Condorcet lui avait faites de sa part (2). Il lui conseilla d'emporter avec lui la pendule de l'abbé Chappe, instrument réputé pour sa précision. Il joignit à sa lettre une esquisse d'instruction que nous ne possédons malheureusement pas : il eût été intéressant de retrouver

(1) Quand la Constituante concut la belle pensee de doter notre patrie d'un système uniforme de poids et mesures, elle s'adress i tout naturellement à l'Académie pour connaître les meilleures bases de la grande réforme à opérer. Cette idee, déjà agitée par Picad, s'était produite, dès 1560, aux Etats Generaux d'Orleans (V. Rathery, Histoire des Etats Gén., 2. Un membre honoraire de la Compagnie, d Ons en Bray, s'en était occupé en 1739. Camus, en 1746, dans un memoire sur l'etalon de Faune du bureau des marchands merciers de Paris, y avait porté ses méditations. L'année suivante, La Condamine proposait de prendre la longueur qu'a le pendule à secondes sous l'Equateur, pour étalon d'une mesure propre à être adoptée par toutes les nations. Une idee analogue se présentait à l'esprit de Turgot en 1775, et il ecrivait à l'astronome Messier pour lui proposer d'adopter comme étalon de longueur la

longueur du pendule à secondes sous le 45o parallèle. L. Dupuy.qui suivait avec un egal interet les progrès des sciences mathematiques et de l'erudition, cherchait à demontrer que le problème d'un étalon invariable avait déjà été résolu par les anciens (V Mémoires de l'Académie des Inscriptions, XXIX, 312). La Condamine combatti les vues de Dupuy à cet egard (V. Mémoires de l'Académie des Sciences pour 1755, 350), et indiquait la mesure d'un degré du grand cercle de la terre et le pesage d'un volume détermine d'eau distillée comme pouvant fournir des points fixes (V. Walcknaer, Eloge de Dupuy, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, nouvelle serie, XIV, part. I, 254). C'est à ces dernières idées que, consultée par l'Assemblée nationale, se rangea l'Académie (Alf. Maury, l'Ancienne Académic des Sciences, 321).

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 414.

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dans Turgot le ministre cédant un instant la plume au physicien, élève et disciple de l'abbé Sigorgne. Il pria Messier de s'adresser à de Vaines, s'il avait besoin de quelque argent d'avance pour frais de voyage ou acquisition d'instruments. Le lendemain, il écrivit à Sartines, ministre de la marine, qu'il avait entretenu précédemment de cette affaire, afin de lui rappeler ses promesses et de hâter l'expédition de la permission et des instructions qu'il s'était engagé à donner à Messier (1). Enfin il remit à Messier une lettre de recommandation pour l'intendant de Bordeaux Clugny. « Je vous l'adresse, disait-il en terminant, afin que vous lui procuriez, pour remplir sa mission, toutes les facilités et les commodités qui dépendent de vous (2). »

Il s'en manqua de peu que l'uniformité des poids et mesures, ce rêve de tant de grands esprits, ne fût trouvée et établie par les soins de Turgot, et dès 1775. « L'instruction sur les précautions à prendre, dit Dupont de Nemours, avait été rédigée par M. Turgot et M. de Condorcet avec les plus grandes lumières et l'attention la plus scrupuleuse. M. le président de Saron et M. Lavoisier prêtèrent à M. Messier quelques instruments d'une rare perfection. Lennet fut chargé de préparer et de diviser une lame d'argent qui parut nécessaire, et deux niveaux d'air furent exécutés avec le plus grand soin. Mais un accident auquel on n'aurait pas dû s'attendre retarda le départ de l'académicien. On avait compté sur l'excellente pendule faite par M. Ferdinand Berthoud pour le voyage de M. l'abbé Chappe, et dont Turgot parlait dans sa lettre. Cette pendule était à l'Observatoire. Elle n'y marchait point; mais on croyait que pour la remettre en état, il suffisait de la nettoyer. — C'était tout autre chose. — Après la mort de M. l'abbé Chappe, cette pendule avait fait plusieurs chutes, dont une dans la mer. Un horloger peu instruit l'avait fort mal réparée. Elle avait des pièces faussées, d'autres entièrement détruites par la rouille. Il fallait la refaire. - Dans un pays où les grands artistes ne manqueraient point de capitaux, on trouverait des horloges de premier ordre et d'autres instruments tout prêts ou qui ne demanderaient qu'à recevoir un dernier coup de main ce n'a jamais été notre position. M. Berthoud eut besoin de six mois pour donner une autre horloge égale à la première. — M. Turgot fut disgracié, et le projet de constater la longueur du pendule au 45° abandonné avant que M. Messier eût pu partir. » Le panégyriste de Turgot ajoute ces réflexions dont la justesse est gâtée vers la fin par quelque déclamation. << On ne sait point assez combien est à déplorer la perte d'un grand homme occupant une grande place. Elle a mille conséquences malheureuses que l'on ignore, outre celles que tout le monde aperçoit.

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 446.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 4:6.

- Si le ministère de M. Turgot eût duré six mois de plus, le système métrique aurait été fixé trente ans plus tôt, et avec une égale utilité, quoique sur un mètre plus court, qui aurait été de 3 pieds et environ 8 lignes, ou de 3 lignes et de 3 dixièmes plus près d'être la moitié de la toise qu'on employait alors. Et dans le cas, sans doute peu à craindre, où une suite d'événements funestes pourrait détruire tous nos monuments et replonger pour un temps les nations européennes dans la barbarie, il aurait été plus prompt, plus aisé, lors de la renaissance des sciences, de vérifier de nouveau la longueur du pendule au 45° de latitude, que de recommencer la mesure de 10 à 11 degrés, ou seulement de 5 degrés au méridien (1). »

Ce qu'il faut surtout retenir des regrets de Dupont de Nemours c'est que le mètre de Turgot eût été à peu près le même que le nôtre, que la longueur en eût été facilement constatable à tous moments, qu'il aurait eu enfin toutes les qualités d'un bon terme de comparaison pour les mesures. Turgot n'avait donc pas fait un rêve, et son projet, loin d'être une chimère, était celui d'un esprit très net, très scientifique à la fois et très pratique.

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 446, note de Dupont de Nemours.

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Nous avions laissé à la fin de juillet l'énumération des mesures de détail prises par Turgot pendant le cours de son administration. Nous abordons dans ce chapitre la période qui s'étend de juillet (nomination de Malesherbes) à octobre (nomination de Saint-Germain).

Mayer et Ci, négociants à Lyon et commissaires en étoffes, avaient reçu de leurs correspondants d'Allemagne commission de leur expédier des « pièces de satin en 5/12es de largeur à l'imitation de celui de Florence, tramé d'un bout de lin, ainsi que quelques pièces des Angleterres, légères, à 7/12es de largeur, sans marque à la lisière, à l'imitation de celles fabriquées en Italie... » Ces négociants, obéissant tout naturellement aux instructions de leurs correspondants germaniques, avaient voulu faire fabriquer les étoffes demandées. Ils comptaient sans les règlements. Ce genre de fabrication n'étant pas prévu, les maîtres-gardes de la fabrique l'avaient interdit. Mayer et Cie s'étaient plaints à l'intendant; celui-ci en avait référé à Turgot. Le contrôleur général était ainsi appelé à se prononcer sur cette question importante: fabriquerait-on à Lyon du satin en 5/12es de largeur, etc., ou n'en fabriquerait-on point? Il y allait de la sécurité publique!... Voilà un document de plus à joindre à tous ceux qui prouvent à quel point était poussée la servitude industrielle des Français avant 1789. Inutile d'ajouter que Turgot donna raison à Mayer et Cie. Il déclara que la liberté qu'ils réclamaient ne pouvait << souffrir difficulté » (1). Mais c'était Turgot qui parlait ainsi. Ni les maîtres-gardes de fabriques, ni les autres gardiens des traditions administratives ne pensaient comme lui.

L'intendant Flesselles se permit, en effet, des observations sur l'avis exprimé par le ministre. Il fit plus encore, il passa outre, et prit sur lui de refuser à Mayer et Cie la permission que le contrôleur général leur accordait. Cette fois Turgot ne put maîtriser son mécontentement, et il s'empressa d'écrire de nouveau à Flesselles pour lui enjoindre sèchement d'exécuter ses ordres (").

(1) Arch. nat., F. 12, 151; 3 août 1775.

(2) Pièc. just. no 42.

Le 6 août, il soumit à l'approbation royale un arrêt précédemment rendu, qui accordait un délai aux vassaux du roi pour lui rendre foi et hommage à l'occasion de son avénement. Cet arrêt, primitivement daté du 22 mars, n'avait pas été revêtu de lettres-patentes; il en était probablement résulté des difficultés d'exécution qui avaient décidé Turgot à le retirer, et à en renouveler les dispositions sous une autre forme. En sa qualité de suzerain, le roi avait conservé toutes les prérogatives féodales attachées à ce titre; mais elles s'étaient transformées avec le temps, et avaient peu à peu revêtu un caractère fiscal. La prestation de l'hommage n'était plus qu'une formalité onéreuse pour beaucoup de nobles de province, forcés de faire en personne le voyage de Paris et de Versailles. Le délai que, « dans sa bonté et sa justice, » le roi voulait bien leur accorder était donc avant tout une mesure d'humanité. Si la noblesse de cour aux gages d'un maître tout-puissant savait se faire largement payer, les gentilshommes campagnards avaient vu peu à peu diminuer leurs revenus par la dépréciation naturelle de la monnaie, et la plupart étaient pauvres (1). Turgot avait entrepris, on se le rappelle (2), de supprimer tous les droits des villes sur les grains en les leur remboursant, et il avait jusqu'à nouvel ordre respecté ceux qui appartenaient à des seigneurs. Par un arrêt du 13 août, il ordonna que, dans les six mois, tous les seigneurs ou propriétaires de droits sur les grains seraient tenus de représenter leurs titres de propriété. Il nommait en même temps des commissaires chargés de les examiner. C'étaient, pour la plupart, des personnes sûres en qui il pouvait avoir confiance: Bouvard de Fourqueux, son ami, et Dufour de Villeneuve, conseillers d'État, Raymond de Saint-Sauveur, son ami aussi, et plusieurs autres. maîtres des requêtes ordinaires de l'hôtel. La commission devait avoir pour greffier Dupont de Nemours lui-même. Turgot n'avait pas négligé d'expliquer une fois de plus, dans le préambule de l'arrêt, combien serait avantageuse aux consommateurs cette suppression des droits sur les grains (").

Les entrepreneurs de la manufacture de glaces de Saint-Gobain s'étaient plaints des directeurs de la verrerie de La Fère, les accusant de leur avoir débauché des ouvriers. Ils ajoutaient que la verrerie de La Fère était tombée, et que ses ouvriers avaient passé en Angleterre. Ceux-ci cherchaient maintenant à débaucher d'autres ouvriers de Saint-Gobain, et leur conseillaient de venir les rejoindre en Lancashire. Cet état de choses parut digne d'attention à Turgot, et il écrivit au ministre Vergennes pour le prier de prendre des renseignements sur la verrerie du Lancashire (*).

Euv. de T. Ed. Daire, II, 407. (2) V. liv. II, chap. vII, p. 108.

(3) Eur. de T. Ed. Daire, II, 201.
(4) Arch. nat., F. 12, 151; 17 août 1775.

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