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apportaient des grains ou des farines dans les villes et sur les marchés (1).

A Rouen, le commerce des grains était presque tout aux mains d'une compagnie de marchands privilégiés, créés en titre d'office, au nombre de cent douze. Ils avaient seuls le droit de vendre; ils avaient seuls le droit d'approvisionner la ville; ils avaient seuls enfin le droit de trafiquer sur quatre des principaux marchés de la province, ceux des Andelys, d'Elbeuf, de Duclair et de Caudebec. Leurs priviléges, bien que restreints par une déclaration de 1763, les autorisaient encore à visiter tous les grains apportés dans la ville et à se prononcer sur leur qualité. Le monopole du transport des blés appartenait à une compagnie de quatre-vingt-dix porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, pourvus de titres très anciens. Enfin un droit de banalité était attaché aux cinq moulins de la ville: il était interdit aux boulangers d'employer d'autres farines que celles qui provenaient de ces moulins; mais comme, la plupart du temps, ces moulins ne pouvaient suffire à la consommation, le fermier de la banalité exigeait un droit de mouture sur les farines qu'on était obligé de faire moudre ailleurs. Turgot supprima les offices des cent douze marchands privilégiés, ceux des quatre-vingt-dix porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, et le droit de banalité des cinq moulins. Il ne prétendait toutefois léser les intérêts d'aucun particulier, en assurant l'intérêt général; il déclara que la finance des offices supprimés serait remboursée par l'état aux titulaires, et qu'une indemnité serait accordée à la ville de Rouen, pour l'abolition du droit de banalité (2).

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Passons à des mesures moins importantes. Un brigadier des armées du roi, Marchand de la Houillère, faisait construire près d'Alais des forges à charbon de terre; mais pour apporter à cet établissement toute la perfection possible, il voulait d'abord aller étudier les procédés employés dans les forges d'Angleterre. Il demandait une subvention de 4,000 fr. pour ce voyage. Turgot proposa à l'archevêque de Narbonne de faire payer la moitié de cette somme par les états de Languedoc; le roi devait payer l'autre (2 juin 1775) ().

Le départ du roi, que Turgot accompagna au sacre (), n'interrompit pas ses travaux accoutumés (8 juin). Les entrepreneurs des manufactures de Rouen se plaignaient de la cherté des cotons en

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 198. Ces droits s'appelaient communément havage. Ils consistaient à percevoir sur les grains qui se vendaient aux marchés autant qu'on pouvait en prendre avec la main. Le bourreau de Paris, à cause de l'infamie de son métier, exerçait son droit avec une cuillère de ferblane; il était dans l'usage de marquer avec de la craie les particuliers qui avaient satisfait; il

paraitrait que ce droit était déjà supprimé à
Paris, cause des querelles qu'occasionnait
sa perception, les particuliers refusant de se
laisser marquer. (Anciennes lois françaises,
XXIII, 186, note.)

(2) Euv. de T. Ed. Daire, II, 200.
(3) Arch. nat., F. 12, 151; 1775.

J'ai reçu, Monsieur, à Reims, où j'avais suivi le roi.....(Arch. nat., H. 1416.)

laine; ils demandaient qu'on levât la défense d'admettre en France les cotons en laine d'Angleterre, qui avait été prononcée par l'arrêt du 6 septembre 1701. Turgot était trop partisan de la liberté, en matière de commerce surtout, pour la refuser à ceux qui la réclamaient; il écrivit à l'intendant de Rouen que l'arrêt de 1701 serait rapporté et la prohibition levéc (13 juin 1775) (').

La chambre de commerce de Lyon ne tenait plus de séances, ou en tenait rarement. Les syndics (le Conseil municipal) s'emparaient peu à peu de ses fonctions. Turgot pria l'intendant Flesselles de lui en faire l'observation. Il importait, en effet, que chacun des deux conseils gardât ses attributions distinctes; un seul d'ailleurs ne pouvait suffire à tout (23 juin 1775) (*).

Deux commis de la recette des tailles de Bordeaux étaient accusés de malversation. Leur culpabilité ayant été prouvée, l'intendant Esmangard voulait faire un exemple. Les commis étaient en fuite. Leurs familles, très honorables, offraient de rembourser au moins une partie des ordonnances qu'ils avaient falsifiées. Turgot, bien que justement sévère sur le chapitre de la probité, n'était pas inflexible et sans entrailles. En cette circonstance, c'est lui qui modéra le zèle de l'intendant et son ardeur à punir les deux commis fugitifs. << Dès qu'ils sont en fuite, et que l'on ne peut plus instruire le procès contre eux que par coutumace, j'avoue que je suis touché du sort malheureux des familles qui seraient déshonorées, sans que l'exemple pût produire l'effet que vous en attendez. Il me paraît bien plus important d'établir la règle pour l'avenir, que de faire un éclat qui ferait apercevoir qu'elle a été négligée précédemment et qui donnerait lieu à des imputations et à des soupçons contre l'administration qu'il est toujours prudent d'éviter (3). »

Une affaire du même genre est celle de l'intendant Fontette, dont le dossier volumineux est aux Archives nationales. Bien qu'elle ait occupé Turgot pendant plusieurs mois, les lettres les plus importantes qu'il écrivit à cette occasion se rapportent au mois de mai et juin 1775. Fontette était intendant de Caen. Dans la même ville se trouvait un directeur du vingtième, nommé Langlade, dont la gestion était l'objet de plaintes très vives. Étaient-elles méritées? On en jugera. Il avait en tout cas des amis influents, et Turgot, sans doute prévenu en sa faveur, prenait la peine de le recommander à l'intendant le 14 février 1775, le déclarant « un homme estimé et estimable, auquel ce qu'il y a de mieux à Caen dans tous les états prenait un intérêt bien véritable. » Pourquoi avait-il déplu? « C'était peut-être

(1) Arch. nat., F. 12, 151.

(2) Id.

(3) Arch. dép. Gir., C. 74. Plus tard, l'intendant demandait que les deux commis infidèles fussent juges par une commission du Conseil.

Ormesson, après en avoir conféré avec Turgot, répondit qu'il n'y avait pas lieu de s'ecarter de l'usage, et il chargea l'intendant de juger l'affaire avec les officiers qu'il trouverait à propos de choisir.

pour n'avoir pas été aussi fiscal qu'on l'aurait voulu. » Il n'y avait pas lieu en tout cas « de le tenir... éloigné de la résidence de ses fonctions et de ses affaires personnelles », de l'exiler en un mot, « injustice, ajoutait Turgot, qui ne doit plus être de mode aujourd'hui (1). » Fontette, qui semble avoir été l'ennemi personnel de Langlade, répondit très vivement à la lettre de recommandation du contrôleur général, en maintenant ses accusations contre Langlade. « J'espère, Monsieur, répliqua Turgot le 28 mars, que vous me rendez assez de justice pour penser qu'en vous recommandant M. de Langlade, je n'ai eu d'autre but que de le mettre à portée de connaître les imputations qui lui avaient été faites. Les observations que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire..... sont on ne peut plus justes. Si M. de Langlade s'écarte des devoirs qui lui sont prescrits, je n'entends assurément prendre aucun intérêt à sa personne (*). »

Sur ces entrefaites, Fontette vint à Paris, vit Turgot et le convainquit de la culpabilité du directeur du vingtième. On était en mai : c'était l'époque à laquelle tous les intendants qui avaient quitté leurs provinces, pourvus de congés, devaient retourner à leur poste. Turgot ne voulut pas qu'en rentrant à Caen, Fontette trouvât Langlade en cette ville; il donna l'ordre de le révoquer et de nommer à sa place un contrôleur du vingtième nommé Rapin (3).

Fontette triomphait. Sûr de l'appui de Monsieur, il demandait à cumuler la charge d'intendant avec celle de conseiller d'État. Il comptait sans la haine de Langlade, qui se vengea. Dénoncé par lui comme prévaricateur, il ne put se justifier entièrement et demeura au moins convaincu d'une extrême négligence. Turgot, dont l'attention avait été éveillée, découvrit de graves irrégularités dans son administration ('), et déjà peu satisfait de ses services, il demanda son rappel. Cependant, comme il ne pouvait se résoudre à le croire coupable d'improbité, il ne s'opposa pas à sa nomination comme conseiller d'État. C'est en vain que Monsieur défendit son protégé, et que Mme Fontette vint demander la grâce de son mari, que Fontette écrivit les lettres les plus vives, les plus pressantes : Turgot tint bon. Toute sa conduite à son égard se trouve expliquée et justifiée dans la réponse qu'il lui adressa le 23 juin, au retour du voyage à Reims ("). Dans cette triste affaire, le contrôleur général fit preuve de sa fermeté et de sa modération habituelles.

Revenons aux réformes. L'art de polir les ouvrages d'acier n'avait fait, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, aucun progrès notable en France à cause des entraves qu'y opposaient plusieurs corporations. Chacune d'elles prétendait avoir le droit exclusif de polir les objets

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dont la fabrication lui est attribuée. Turgot, par arrêt du Conseil du 24 juin, déclara que l'art de polir les ouvrages d'acier n'était du ressort d'aucune corporation, et qu'il serait désormais entièrement libre. Cette liberté absolue était à ses yeux le seul moyen de lutter avantageusement contre la concurrence étrangère, d'assurer du travail aux ouvriers habiles, de multiplier la main-d'œuvre, et de produire à bon marché. Mais il dut interdire aux Parlements toute délibération relative à cette industrie, à peine de nullité de leurs jugements; car il n'ignorait pas combien cet essai de liberté du travail déplairait à des cours qui s'étaient toujours déclarées les protectrices des jurandes, « féconde source de procès » (1).

On sait quel était sous l'ancien régime l'abus des offices inutiles. Dix personnes étaient souvent chargées du travail qu'une seule aurait pu faire aisément. Mais la vente des titres d'offices était trop lucrative pour que la royauté, toujours besoigneuse, renoncât aisément à cet expédient financier. Turgot le jugeait ruineux. C'est ainsi qu'il supprima les offices « des commissaires, receveurs, payeurs, commis et greffiers anciens, alternatifs, tiennaux et quatriennaux, unis et non-unis des saisies réelles (immobilières), établis près le Parlement de Paris, le Châtelet, la Cour des Aides et autres cours et juridictions de la même ville ». Le nombre des titulaires de ces charges était si grand, « qu'ils ne trouvaient dans leur exercice que des émoluments très modiques », et qu'ils avaient « pris sur les fonds des saisies réelles des sommes considérables dont eux ou leurs héritiers n'avaient pu faire le remplacement ». Si l'on n'y mettait ordre promptement, ces emprunts des officiers des saisies réelles à leur propre caisse pouvaient la compromettre au point de mettre << dans le plus grand péril » le paiement de ses créanciers. Toute cette légion de commissaires, receveurs, etc., fut remplacée par un seul administrateur qui prit le titre de conseiller, commissaire, receveur et contrôleur général des saisies réelles, etc. Il se nommait César Roulleau, et il paya son office 300,000 fr. Il fut chargé tout d'abord de vérifier l'état de la caisse et des sommes qui y manquaient. Turgot se réservait de statuer, d'après cet état, sur les conditions qui seraient faites aux titulaires dépossédés (*).

Un dernier détail sur le mois de juin. - Un mécanicien anglais, nommé Cole, proposait d'établir en Françe un atelier pour la fabrication des poulies, pompes et autres engins utiles à la marine. Turgot pria le ministre de la guerre Muy d'abandonner à cet ouvrier un bâtiment dans la cour de l'Arsenal où il pût s'installer provisoirement et fournir la preuve de son habileté (^).

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 226.

(2) Id. 440-441.

Nous citerons une autre

suppression d'offices, même livre, ch. x, p.271. (3) Arch. nat., F 12, 151; 27 juin 1775.

Toutes ces mesures diverses et d'autres encore (dont il serait trop long de rapporter le détail) ne faisaient point perdre de vue à Turgot une réforme d'ensemble qu'il méditait, et dont on commençait à parler ouvertement : la suppression des corporations. « Il passe pour constant, disait Pidansat de Mairobert le 25 juin, que le projet de la liberté des arts et métiers va s'effectuer; que M. le Contrôleur général a déjà écrit aux communautés pour qu'elles aient à ne point inquiéter les chambrelans (ouvriers en chambre, ouvriers libres) et à arrêter toute l'activité des procédures qui seraient commencées en ce genre (1). » Et le 28 : « Le nouveau projet de M. Turgot concernant la liberté des arts et métiers et du commerce ne peut qu'éprouver nécessairement beaucoup de discussions avant de se réaliser. Les négociants les plus distingués de Paris, connus sous le nom des six corps des marchands, ont donné un mémoire à ce ministre pour lui faire connaître l'injustice particulière de son opération à leur égard et les inconvénients généraux de son plan. On veut que ce ministre leur ait répondu qu'il ne pouvait se charger de faire le rapport de leur mémoire au Conseil parce qu'il serait juge et partie, étant très attaché au système qu'il voulait introduire; mais qu'en même temps son esprit de modération et d'équité l'engageait à supplier le roi de nommer un comité de conseillers d'État pour examiner leurs représentations et lui en rendre compte. On conçoit aisément que toutes ces difficultés ne peuvent que retarder l'exécution de ses nouvelles idées (2). » La liberté des arts et métiers avait été décidée en principe dès le commencement de 1775; nous l'avons vu par la lettre aux inspecteurs généraux des manufactures. Elle ne fut prononcée pourtant qu'au début de 1776. Ainsi, à chaque pas de Turgot, les obstacles se dressaient, se multipliaient devant lui, et sa marche était ralentie à mesure qu'il avançait.

(1) Bach., Mém. secr., VIII, 104.

(2) Bach., Mém. secr., VIII, 109.

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