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CHAPITRE VIII

Détails administratifs des mois de mai et de juin.
La Régie des Poudres.

(Mai et juin 1775.)

La guerre des farines eut, entre autres résultats fâcheux, celui d'ajourner plusieurs des projets de réformes de Turgot. Dupont de Nemours nous en a conservé la liste. 1° Il voulait supprimer «<les deux vingtièmes et les quatre sols pour livre du premier», et les remplacer par une subvention territoriale proportionnelle au revenu des biens fonds. C'eût été tout le contraire des vingtièmes, qui frappaient très fort les petites propriétés et très peu les grandes. Tout le travail nécessaire pour établir cette conversion d'impôt, et tout le détail des moyens qu'il faudrait employer étaient déjà préparés (1). Turgot était sur le point de les placer sous les yeux du roi et de Maurepas, lorsque l'émeute survint. 2o Il était prêt aussi à épargner aux provinces les dangers, les abus et la perte de temps dont la collecte des tailles était la cause. Il eût voulu appliquer à toute la France le système qu'il avait établi en Limousin. 3° Il travaillait depuis plusieurs mois à son grand plan de réforme politique, à son Mémoire sur les municipalités (*). Il ne put le terminer qu'en septembre. Sans l'émeute, il l'eût fini en juillet, et il aurait pu l'appliquer en octobre, à l'époque du renouvellement de l'année financière. Le retard causé par la guerre des farines le força de l'ajourner à l'année suivante (3). L'année suivante! Turgot alors n'était plus ministre.

Les Mémoires secrets de Bachaumont disaient, le 22 mai, avec une satisfaction mal déguisée : « Les projets de M. Turgot sont absolument remis dans le portefeuille pour ce qui concerne la finance et les autres parties de son administration qui ne sont pas relatives aux blés. L'examen en est renvoyé au voyage de Fontainebleau, pendant lequel on ne s'occupera que de cet objet. Quoiqu'on ne sache pas le fond de tous ces projets, il en transpire toujours quelque chose. Il passe pour constant, par exemple, qu'un d'eux, servant de base aux autres, roule sur la nécessité d'établir

(1) Turgot avait été aidé dans ce travail par Ormesson jeune. Dup. Nem., Mém., II, 87.

(2) Voir la Conclusion.
(3) Dup. Nem., Mem., II, 48.

dans le département de chaque ministre un conseil permanent qui puisse suivre les divers plans arrêtés, changeant autrement avec chaque ministre, et suppléer d'ailleurs à l'impéritie de ceux qui ne seraient pas au fait des parties confiées à leurs soins (1). » (On voulait parler de l'un des projets mentionnés par Turgot dans son mémoire sur les municipalités (*).) Cet ajournement des réformes fut une première victoire sérieuse remportée par ses ennemis. Cependant, le 12 mai, il allait mieux: il reprit sa correspondance et ses travaux interrompus. Il avait reçu d'un M. de Velye la description d'une machine propre à élever les eaux pour l'arrosage des prairies. Il lui dit qu'il voyait << avec bien du plaisir » dans son invention « les vues d'un bon citoyen aimant sa patrie et voulant lui procurer des choses utiles ». Il l'autorisa à lui envoyer sa machine et lui promit de payer les frais de voyage de l'ouvrier chargé d'en expliquer et d'en faire manœuvrer le mécanisme (3).

Il était question de faire sacrer le roi à Reims. Turgot envisageait ce projet avec déplaisir, nous dirons plus tard pourquoi. Dès que le sacre à Reims eut été résolu, il ne songea plus qu'à tirer de cette décision le meilleur parti possible. Il représenta au roi qu'il pouvait à l'occasion de cette auguste cérémonie » donner aux habitants de Reims une marque de son « affection paternelle ». C'était d'exempter les denrées de tout droit d'entrée pendant son séjour en cette ville. Il obtint même que cette exemption commencerait huit jours avant l'arrivée de la cour et durerait huit jours après son départ. Il espérait faire comprendre ainsi les avantages de la liberté commerciale aux étrangers qui afflueraient à Reims en cette circonstance. Cette mesure, consacrée par un arrêt du 15 mai, mécontenta les fermiers de l'octroi qui s'attendaient déjà à bénéficier d'un excédant de recettes correspondant à l'augmentation inévitable de la population. Turgot avait prévu leurs plaintes : il leur fit remarquer qu'en affermant la perception des taxes, ils n'avaient pas du compter sur cette élévation exceptionnelle de leurs profits et que n'en ayant point payé le prix, ils n'y avaient aucun droit ». Il ordonna d'ailleurs de leur accorder l'indemnité à laquelle ils pouvaient prétendre pour la durée de la suspension des droits (*).

Un arrêt du 19 mai ne fit que renouveler l'effet d'une décision royale antérieure. Bien qu'elle fût contraire à la liberté commerciale que professait Turgot, il n'osa point déroger à l'esprit qui l'avait dictée. Nous avons déjà remarqué avec quel soin il s'abstenait provisoirement de toucher au système de protection qui régissait notre commerce extérieur. Un arrêt du 30 juillet 1767 avait accordé

(1) Bach., Mém. secr., VIII, 47-48.

La municipalité nationale, sans doute.

Arth. nat., F. 12. 151; 12 mai 1775.
B. de T. Ed. Daire, I1, 406.

pour six ans à nos armateurs une prime de 25 sous par quintal de morues sèches de pêche française qui seraient transportées aux îles françaises du Vent, c'est-à-dire aux Antilles. Cette gratification fut renouvelée et continuée pour une nouvelle période de six années (1). Turgot s'occupa ensuite d'une importante réforme administrative, la conversion en régie du bail des poudres et salpêtres.

La recherche du salpêtre, la fabrication de la poudre avaient depuis longtemps éveillé son attention de savant et d'homme d'État. Dès le début de son ministère, il avait renvoyé à M. de Montigny, de l'Académie des Sciences, le mémoire d'un abbé Bruges, qui demandait un privilége exclusif pour la fabrication du salpêtre et de la poudre; et Montigny, dans ses observations sur ce mémoire, ayant répondu que l'abbé devait d'abord soumettre son procédé à une étude et à des épreuves sérieuses, Turgot, dans une lettre du 22 novembre 1774, avait complètement approuvé cette manière de voir (').

A en croire les Mémoires secrets de Bachaumont, toujours suspects d'hostilité quand il s'agit de Turgot et des économistes, le ministre aurait accueilli avec moins de prudence les propositions de deux autres inventeurs. « Un certain M. Le Hoc et un abbé Saty, intrigants, faiseurs d'expériences et auteurs de prétendues découvertes, avaient fait entendre à M. Turgot qu'ils avaient trouvé le secret de faire du salpêtre avec de l'eau de mer. Comme on est embarrassé de trouver suffisamment de cette matière première pour la fabrication de la poudre, et qu'ils se faisaient forts d'en fournir la quantité qu'on voudrait, à beaucoup meilleur marché, le ministre avait adopté leur proposition, et était à la veille de casser le bail des poudres qui se fournissent par entreprise. Mais l'affaire portée au Conseil, le ministre de la guerre, avec lequel le contrôleur général ne s'était pas concilié (sic) vraisemblablement, et que cette innovation regardait et intéressait, n'a pas trouvé les expériences pour constater le succès de la nouvelle fabrication suffisamment bonnes. Il a représenté combien, en cas de guerre, il serait dangereux de faire usage d'une poudre qui pouvait causer les revers les plus funestes. Cette objection a entraîné les membres du Conseil, et le ministre des finances a eu du dessous ('). »

La correspondance Métra raconte tout autrement l'affaire : « Tout le monde sait que la fabrication et la fourniture des poudres et salpêtres pour le service du roi sont confiées à une compagnie de financiers qui fait payer la poudre 32 sols la livre, et fait un profit immense. Une nouvelle compagnie a proposé à M. Turgot de prendre le bail des poudres aux conditions ordinaires, et néanmoins de fournir

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 227. (2) Piec. just. no 31.

(3) Bachaumont, Mémoires secrets, VII, 371; 30 mars 1775. 1

au roi gratuitement la poudre nécessaire pour le courant annuel. Le ministre, enchanté d'une proposition aussi avantageuse, voulait la faire agréer du roi et en avait formé le plan pour le porter au Conseil, lorsque croyant de son honnêteté de devoir en prévenir M. d'Ormesson, intendant des finances, dans le département duquel est cette partie, il le manda, lui confia son intention et lui dit qu'il ne doutait pas que ce projet ne lui fût agréable, en raison de l'avantage que S. M. y trouverait. L'intendant, trop peu éclairé pour pouvoir combattre avec de bonnes raisons l'idée du ministre, et trop intéressé pour voir de bon œil cette partie changer de forme, retourna bien vite à Paris, découvrit la chose à M. de Courbeton, le directeur et l'âme de la Compagnie des poudres, et dès le lendemain, avant l'heure du Conseil, ces financiers avaient employé tant d'efforts que lorsque M. Turgot voulut proposer l'affaire, il trouva tous les esprits prévenus qui élevèrent mille obstacles et décidèrent qu'il y aurait des risques infinis à innover à cet égard (1). »

Qui faut-il croire? Qui faut-il accuser? Turgot pécha-t-il par trop de précipitation? Ormesson trahit-il sa confiance et les intérêts de l'État? Il est difficile de se prononcer, difficile d'absoudre entièrement (2) l'intendant, et plus encore de soupçonner le ministre Quoi qu'il en soit, Turgot était décidé à casser le bail des poudres, et ses intentions inquiétaient fort le monde de la finance, dont les Mémoires rédigés par Mairobert ont recueilli probablement les plaintes et les insinuations malveillantes. << On assure que le bail des poudres est résilié, et que cette partie est mise en régie par le roi. Cette infraction faite à une convention sacrée avec le monarque, effraie les fermiers généraux, qui craignent un pareil sort ('). » Tous les abus sont sacrés aux yeux de ceux qui en profitent. Turgot rencontrait la plus vive résistance. << Ce ministre est cruellement contrarié de toutes parts dans ses vues, écrivait la Correspondance Métra. Sa fermeté et le mérite de la chose lui feront pourtant emporter la victoire sur la Compagnie des poudres (*).

Enfin, le 28 mai, le bail fut résilié. Turgot avait obéi, dans cette opération, à des motifs et à des considérations qu'il faut expliquer.

Le 16 juin 1772, le bail avait été passé par l'abbé Terray à Alexis Demont, pour six années. Le prix stipulé par l'exploitation n'avait pas été clairement fixé, et la rentrée n'était pas assurée par des précautions suffisantes. « Quoique l'art d'établir des nitrières artificielles ne fût pas ignoré dans plusieurs États d'Europe, en France le gouvernement en était encore, pour obtenir le salpêtre, aux méthodes en usage du temps de François Ier. On ne savait que démolir les vieux

Corr. Métr., I, 304-305; 9 avril 1775.
Ormesson était pourtant honnête.

(3) Bach., Mém. secr., VIII, 53-54; 26 mai 1775. (4) Carr. Métr., I, 339.

édifices ou faire des fouilles, et lessiver les décombres ou les terres pour en extraire les substances imprégnées de cette matière. Or, l'administration s'étant réservé le privilége d'opérer cette besogne, avait stipulé que la Ferme des poudres lui achèterait le salpêtre sur le pied de sept sous la livre, c'est-à-dire à un prix insuffisant pour rémunérer le travail des ouvriers qu'elle employait. De là la nécessité d'accorder aux salpêtriers un supplément de salaire qui n'absorbait pas moins de 50 à 60,000 livres par année (1). » Les salpêtriers avaient conservé le droit de fouiller dans les maisons et dans les lieux habités pour en enlever les matières salpêtrées, et de se faire fournir, à un prix inférieur au prix courant, les bois et les locaux nécessaires à la cuite des salpêtres. Dupont de Nemours évalue à 600,000 livres le dommage matériel que cet abus coûtait à la nation. Le contrôleur général (Terray) ne s'était pas réservé la faculté de connaître la manutention intérieure de l'exploitation des poudres, de découvrir et d'apprécier les moyens de resserrer dans de justes bornes les priviléges des salpêtriers. Il y avait, il est vrai, un commissaire général des poudres qui, par son titre, était l'homme du roi; mais l'usage s'était introduit peu à peu qu'il fût toujours choisi parmi les fermiers.

Quant aux obligations de la Compagnie elles étaient légères : elle devait simplement fournir un million de livres de poudre aux arsenaux du roi, sur le pied de six sols la livre, cette poudre revenant à douze sols la livre à l'adjudicataire. Le prix du bail était donc de 100,000 écus environ (300,000 fr.), somme dont l'État semblait bénéficier chaque année. Mais qu'arrivait-il? En temps de guerre un million de livres ne suffisait pas : il en fallait trois ou quatre; l'État s'approvisionnait comme il pouvait. En temps de paix, on n'en consommait guère que 500 milliers. Or, comme l'État n'avait pas le droit de réclamer la poudre non versée, une fois l'année finie, il perdait toujours la moitié du bail convenu. L'autre moitié même ne lui était pas véritablement payée; il faut en déduire en effet: 1° l'indemnité de 50 à 60,000 fr. que payait l'État aux salpêtriers, pour compenser l'augmentation de la valeur du salpêtre; 2o un abonnement de 27,000 fr. en prévision des incendies et sauts de moulins qui étaient à la charge du roi ; 3o environ 10,000 fr. de dépenses éventuelles. C'était en tout 87,000 fr. à déduire du bail; si bien qu'au bout de l'an, tout bien compté, la Compagnie payait à l'État son privilége 63 ou 53,000 fr. seulement. Grâce à ces arrangements, ele retirait un intérêt de 30 0/0 de son capital, évalué 4 millions ().

Turgot résolut de mettre un terme à cet abus. Le bail passé à Alexis Demont fut cassé, et les ordres nécessaires furent donnés

(1) Dup. Nem., Mém., II, 76.

(2) Dup. Nem., Mém., II, 76.

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