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point fixé ma demeure; ainsi je ne serai pas soupçonné de flatterie par ceux même qui pourraient ne pas vous connaître encore (1).

En France, tous les vers n'étaient pas des satires ou des chansons. Un M. Quesnay de Saint-Germain, imprimait des vers pour mettre au bas du portrait de M. Turgot.

Ces traits que révère la France,

Dans l'esprit des méchants sont gravés par l'effroi,
Dans nos cœurs, par l'espoir et la reconnaissance,
Par la vertu, dans l'âme de son roi (2).

Voltaire ne manqua pas de condamner la guerre des farines et de se déclarer pour Turgot contre tous ses détracteurs. « Il est digne des Welches, écrivait-il à de Vaines, de s'opposer aux grands desseins de M. Turgot; et vous, Monsieur, qui êtes un vrai Français, vous êtes aussi indigné que moi de la sottise du peuple. Les Parisiens ressemblent aux Dijonnais qui, en criant qu'ils manquaient de pains, ont jeté deux cents setiers de blé dans la rivière (3).

Mais Voltaire ne se borna point à des protestations intimes et à des lettres. Il voulut que son hommage fût public. Il écrivit l'Ode sur le passé et le présent. Dans les premières strophes, le poète déplore le mal qui règne dans le monde. Un Génie vient le consoler et dit :

Contemple la brillante aurore

Qui t'annonce enfin les beaux jours:
Un nouveau monde est près d'éclore;

Até disparaît pour toujours.
Vois l'auguste Philosophie,
Chez toi si longtemps poursuivie,
Dicter ses triomphantes lois.
La Vérité vient avec elle
Ouvrir la carrière immortelle
Où devaient marcher tous les Rois.

Les cris affreux du fanatique
N'épouvantent plus la raison;
L'insidieuse Politique

N'a plus ni masque ni poison.
La douce, l'équitable Astrée
S'assied, de grâces entourée,
Entre le trône et les autels,
Et sa fille la Bienfaisance
Vient, de sa corne d'abondance,
Enrichir les faibles mortels.

Je lui dis: Ange tutélaire,

Quels dieux répandent ces bienfaits ?

C'est un seul homme (4). Et le vulgaire
Méconnaît les biens qu'il a faits.

(1) Merc. de F., juillet 1775. (2) Merc. de Fr., juin 1775.

(3) Volt. à de Vaines, 8 mai 1775.
(4) Turgol.

Le Peuple en son erreur grossière,

Ferme les yeux à la lumière,

Il n'en peut supporter l'éclat.

Ne recherchons point ses suffrages:
Quand il souffre, il s'en prend aux sages;
Est-il heureux, il est ingrat.

On prétend que l'humaine race,
Sortant des mains du Créateur,
Osa, dans son absurde audace,
S'élever contre son auteur.

Sa clameur fut si téméraire,

Qu'à la fin Dieu, dans sa colère,

Se repentit de ses bienfaits.

O vous que l'on voit de Dieu même
Imiter la bonté suprême,

Ne vous en repentez jamais!

Ces jolis vers vengeaient Turgot de bien des mécomptes. L'accueil fait par Voltaire à son ami Morellet ne dut pas lui être indifférent non plus. L'excellent homme fut on ne peut mieux reçu à Ferney ('). Son séjour fut d'ailleurs mis à profit par son hôte qui plaida auprès de lui avec chaleur la cause de sa colonie d'artisans et l'intéressa à son projet d'affranchir le pays de Gex « du joug de la Ferme » (*). Plusieurs lettres furent échangées à ce sujet entre Morellet, Turgot, Trudaine et Voltaire. Nous reviendrons sur cette affaire : elle finit, on le verra, par obtenir le succès qu'en attendait l'auteur de l'Ode sur le passé et le présent (").

Au plus fort de la guerre des farines, Turgot reçut l'appui, public aussi, d'une puissance qui dans l'opinion n'égalait pas celle de Voltaire, mais qui avait dans le gouvernement la plus haute valeur : il vit ses projets de réformes solennellement approuvés et secondés par la cour des aides. Le 6 mai, Malesherbes, premier président de ce tribunal, présentait au roi d'admirables remontrances sur l'administration financière et l'organisation des impôts. Secrètement d'accord avec son ami, il venait dénoncer des abus que celui-ci ne cessait de combattre et qu'il avait entrepris de réformer. Il montrait l'excès des gabelles poussant le peuple à la contrebande, la tyrannie insolente de la Ferme pressurant les provinces, le gouvernement tenu sans cesse en échec par la routine et l'inertie des bureaux, les communes impuissantes abandonnées à l'arbitraire des intendants. Il demandait la simplification des taxes, la publication des tarifs des Fermes, l'élection par le peuple de délégués chargés de contrôler la répartition

(1) Morellet fut moins heureux en Alsace où il comptait prendre possession du prieuré de Saint-Valentin de Rouffach. Il ne réussit pas à faire lever l'opposition du college de Colmar. Les lettres de recommandation que lui avait données Turgot a pour les gens du Conseil souverain de Colmar » ne produisirent pas

l'effet qu'il en attendait. C'est probablement
que Turgot, tout contrôleur genéral qu'il était.
avait plus d'influence sur les philosophes que
sur les magistrats des parlements. (Morellet,
Mém., I, 233.)

(2) Morell., Mém., I, 234.
(3) Voir liv. II, ch. xv.

de l'impôt, la réforme de la capitation, du vingtième, et en général de l'assiette de toutes les impositions. Turgot obtint la nomination d'une commission de magistrats et d'administrateurs qui serait chargée d'examiner l'éloquente philippique du premier président de la Cour des Aides (1).

Le public ne se méprit pas sur l'entente secrète de Turgot avec son ami. Les Mémoires secrets de Bachaumont disaient : « On parle beaucoup de remontrances de la cour des aides, concertées entre M. Turgot et M. de Malesherbes, et dont l'objet est de donner ouverture aux projets du premier, relativement à la finance et à son amélioration, mais surtout à la réforme des abus (). » Malesherbes, d'ailleurs, avait pris soin de déclarer hautement que les critiques contenues dans les remontrances étaient dirigées contre les institutions et non contre les personnes. « Nous rendons justice, Sire, disait-il, avec tout le public, aux magistrats qui occupent actuellement ces places (le contrôleur général et les intendants des finances); mais les vertus personnelles d'un homme mortel ne doivent point nous rassurer sur les effets d'une administration permanente... Il faut profiter (pour réformer les abus) du moment heureux où la justice de V. M. a présidé à tous ses choix (3). »

Le 21 mai, les remontrances furent remises au roi à Versailles par Malesherbes. Malheureusement l'esprit timoré des ministres et en particulier du vieux Maurepas s'effraya de l'énergique peinture des abus qu'elles contenaient; et, la sourde hostilité de tous ceux qui avaient intérêt à contrecarrer Turgot s'en mêlant, on obtint que le roi ne les accueillerait qu'avec réserve. Le 30 mai, Malesherbes étant venu s'enquérir des volontés de Louis XVI, celui-ci lui dit : « ...Vous n'attendez pas que je vous fasse une réponse détaillée sur ch que article. Je m'occuperai successivement de faire les réformes nécessaires sur tous les objets qui en sont susceptibles; mais ce ne sera pas l'ouvrage d'un moment, ce sera le travail de tout mon règne. » Le garde des sceaux (Miroménil) ajouta que ces remontrances ne devaient pas devenir publiques, qu'elles irriteraient les contribuables et rendraient plus difficile la levée des impôts. On ne se borna pas là : par excès de précaution, ou peut-être dans le désir secret d'irriter la cour des aides, et de la forcer à se compromettre, Maurepas fit enlever de son registre la minute des remontrances. La cour protesta; le roi maintint son droit absolu. Bref, l'affaire s'envenima si bien que les remontrances restèrent lettre morte (). C'est tout ce que voulait Maurepas. Toutefois cette politique se retourna contre ses auteurs; car les remontrances furent bientôt imprimées à l'étranger; elles péné

(1) Rec. de la C. des Aides, 485. (2) Bach., Mém. secr., VIII, 53.

(3) Rec. de la C. des Aides, 633.
(4) Id., 694, 700.

trèrent en France; elles furent lues avec avidité; elles contribuèrent à irriter la nation contre la vieille monarchie qui ne voulait ni se réformer, ni entendre la voix de ceux qui lui conseillaient des réformes.

Pendant ce temps, le Parlement, montrant un zèle monarchique inattendu, faisait brûler deux brochures contre le pouvoir absolu, où les principes du Contrat social étaient mêlés à ceux des Remontrances. Dans les considérants de ses arrêts, il prétendait qu'il n'appartient pas aux écrivains de traiter des matières administratives et politiques ('). Le moment était singulièrement choisi pour une telle interdiction. On était au plus fort de la mêlée engagée entre les partisans et les adversaires de la liberté du commerce des grains. La guerre des farines avait redoublé l'animosité des deux partis. Il n'était bruit partout que de Necker et de son fameux livre sur la Législation et le Commerce des grains. Comme Turgot s'est trouvé mêlé à ce débat, on nous permettra d'y insister.

Dans l'histoire de la fin du XVIIe siècle, Necker est resté, après Turgot, le seul homme politique qui appelle l'attention, mérite la sympathie et partage avec lui la gloire. On connaît le riche banquier génevois. «Necker, dit le baron de Gleichen, était grand de taille, de caractère sérieux, froid, roide et taciturne, ce qui le faisait paraître orgueilleux, dur et rébarbatif; son esprit plus abstrait que brillant, sa politesse plus mesurée que prévenante, et son cœur moins sensible que juste, le rendaient peu aimable, mais infiniment estimable. Il affectionnait plus le genre humain que ses amis, pour lesquels il ne faisait presque rien; il aimait mieux voir en grand qu'en petit, et son ambition vertueuse s'était livrée à l'espérance de devenir le bienfaiteur d'une grande nation (2). » Marmontel, grand ami de Necker, parle de même de son « silence », de sa « gravité ». Il cite ce mot très net de sa fille, Mne de Stael, qu'il « savait tenir son monde à distance ». << Si telle avait été l'intention de son père, ajoute t-il aussitôt, en le disant, elle aurait trahi bien légèrement le secret d'un orgueil au moins ridicule. Mais la vérité simple était qu'un homme accoutumé dès sa jeunesse aux opérations de banque, et enfoncé dans les calculs des spéculations commerciales, connaissant peu le monde, fréquentant peu les hommes, très peu même les livres, superficiellement et vaguement instruit de ce qui n'était pas la science de son état, devait, par discrétion, par prudence, par amourpropre, se tenir réservé pour ne pas donner sa mesure; aussi parlait-il librement et abondamment de ce qu'il savait, mais sobrement de tout le reste. Il était adroit et sage, mais non pas arrogant (3) ».

(1) Droz, Hist. de Louis XVI, I, 171; 30 juin. B. de Gleich, Souv., 52.

(3) Marm., Mém., X, 116. Il essaie en vain d'atténuer le mot de Mme de Stael.

Morellet, bien qu'adversaire des doctrines de Necker, rend justice à sa probité, et dit aussi qu'il avait un grand amour pour la gloire (1). Le duc de Lévis, qui paraît avoir eu peu de sympathie pour le banquier génevois, dit que c'était un gros homme, à physionomie plus singulière que spirituelle, qu'il avait des manières plus graves que nobles, plus magistrales qu'importantes, qu'il parlait facilement, mais avec quelque emphase; qu'il avait de l'orgueil, un esprit étendu, une ambition vaste, qu'il était d'ailleurs honnête et moral, et vantait la vertu à tout propos (2). » Sénac de Meilhan est plus sévère que le duc de Lévis : il l'est jusqu'à l'injustice. Il va jusqu'à appeler Necker un charlatan, et à prétendre qu'il s'enrichit malhonnêtement. Il l'accuse d'avoir signé des traités frauduleux avec la Compagnie des Indes, d'avoir profité des indiscrétions d'un commis des affaires étrangères, lors de la paix de 1763, pour acheter des billets anglais qui perdaient, et les revendre avec 40 0/0 de bénéfice, puis d'avoir refusé de partager avec ce commis et Favier son associé (3). Ce sont là des calomnies; tout prouve que Necker était un honnête homme. Tout indique aussi que Turgot et Necker n'étaient pas faits pour s'entendre.

Sérieux tous deux dans le monde, l'un l'était plutôt par timidité, l'autre par calcul. Turgot ne savait se contraindre; Necker s'observait sans cesse et commandait à ses moindres paroles. Celui-ci avait passé sa vie dans les chiffres et la finance; il avait mis tous ses soins à acquérir avec patience et honnêteté, une grande fortune; secondé par un rare bonheur dans ses entreprises, il était devenu extrêmement riche et alors, encouragé par la confiance que donne le succès, fort de l'expérience que procure la pratique des vastes affaires, il s'était proposé de devenir homme d'État; mais il n'avait point de système arrêté, de principe fixe ('); c'était, qu'on nous passe le mot, un pur praticien. Celui-là avait vécu avec ses livres et ses amis; il s'était voué aux spéculations les plus hautes de la philosophie, de la science, de l'économie politique, et dans son administration, il ne cessait d'appliquer les principes d'un système suivi et parfaitement établi à ses yeux c'était un théoricien qui s'était armé de longue main et de toutes pièces pour réformer les choses. Tous deux voulaient le bonheur du genre humain : mais, chez Necker, cette passion était mêlée d'amour de la gloire et d'ambition personnelle; elle était, chez Turgot, désintéressée jusqu'à l'héroïsme. Par un malentendu fâcheux, cette opposition de caractères et d'idées empêcha que Turgot et Necker se rendissent mutuellement justice. Les circonstances contribuèrent à envenimer leur antipathie naturelle et à élever entre eux une

Morell., Mém., T. 147-156.

Souv. et Port., 298-301.

Sen. de Meilh., Du Gour., 172 et suiv.

(4) C'est en vain que Marmontel essaie do nous en donner l'analyse dans ses Mémoires, XII, 177-179.

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