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la tranquillité d'esprit, de la gaieté des mutins, de l'espèce de gens qui composaient leur troupe relativement peu nombreuse, le doute est à peine permis, il y eut complot. Le mouvement une fois commencé, de pauvres paysans y prirent part sans trop savoir ce qu'ils faisaient. Plaignons-les, mais n'en soyons que moins portés à l'indulgence pour ceux qui les avaient entraînés.

Quels furent les chefs du complot? Sur cette question les témoignages les plus contradictoires se mêlent et se heurtent. Peut-on soupçonner la REINE? Nous ne le croyons pas. Tout au contraire, son trouble, son émotion prouvèrent combien l'émeute l'effrayait. « Le 2 de ce mois, écrivit Mercy à Marie-Thérèse, jour où il y eut du mouvement et même du pillage dans les marchés de Versailles, je me rendis de bonne heure chez la reine, et j'y restai longtemps. Je la trouvai fort affectée et en peine de ce qui venait de se passer. Sa première idée porta d'abord sur l'embarras de rendre compte à Votre Majesté de cet événement (1). » Et plus loin: « L'événement dont il s'agit a fait beaucoup d'impression sur la reine (*).» « La reine a témoigné la plus grande douleur, dit la Correspondance Métra le 3 mai; elle n'a pas mangé hier de toute la journée ("). »

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Marie-Antoinette était d'ailleurs à cette époque encore en bons termes avec le contrôleur général. « Relativement à tout ce qui vient de se passer ici, dit encore Mercy, j'ai une observation de conséquence à faire sur la prépondérance que gagne le contrôleur général. Ce ministre est un ami intime de l'abbé de Vermond; ils ont été au collége ensemble, et ne se sont jamais perdus de vue depuis, de façon que leur liaison devient très utile au service de la reine. Le parfait accord qui règne entre l'abbé de Vermond et moi rend très efficace tout ce que je lui indique de convenable à notre but commun qui est l'avantage de la reine, et en matières sérieuses, le contrôleur général peut y coopérer d'une façon très essentielle ('). » Bien que MarieAntoinette fût revenue à son goût pour la comtesse de Polignac << dont les rapports avec le comte de Maurepas m'ont paru plus que suspects », dit Mercy; bien qu'elle fréquentât toujours le salon de la comtesse de Guéménée, véritable foyer d'intrigues et centre du parti Choiseul à la cour, dit encore Mercy, personne n'eût osé instruire la reine des trames ourdies contre Turgot. Mais elle les devina et ne manqua pas de communiquer ses soupçons à sa mère. Marie-Thérèse répondit : « J'étais enchantée de tout ce que vous me dites du maintien du roi et des ordres vis-à-vis du Parlement, dans cette

(1) D'Arn. et Getf., Mar.-Ant., II, 331. (2) Id., 33?.

(3) Corr. Métr., I, 342.

(4) D'Arn. et Geff., Mar.-Ant., II, 337.

malheureuse émeute. Je crois, comme vous, qu'il y a quelque chose dessous (1).

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MAUREPAS fut-il coupable? Ce n'est guère vraisemblable. Ce qui est certain, c'est qu'au moment même où Turgot déployait la plus grande activitė, le futile vieillard affectait la plus parfaite indifférence. On le vit à l'Opéra la veille de l'émeute de Paris. Le public releva cette faute de goût par le quatrain suivant :

Monsieur le Comte, on vous demande,

Si vous ne mettez le holà

Le peuple se révoltera.

Dites au peuple qu'il attende,
Il faut que j'aille à l'Opéra (2).

SARTINES? Sartines fut, dit-on, ouvertement mis en cause par l'abbé Baudeau. Voici ce que rapporte à ce sujet Mairobert qui traite d'impudence le propos du fougueux abbé : « On a entendu l'abbé Baudeau assurer devant des gens dignes de foi, qu'on était convaincu qu'il fallait attribuer les dernières émeutes aux intrigues de M. de Sartines. Il a dit depuis que la chaîne était coupée et qu'on ne pouvait acquérir les preuves sur lesquelles on comptait, vu la mort accélérée de certain quidam intermédiaire. » On conçoit l'empressement que mit Sartines à relever et à faire démentir par ses amis une aussi grave accusation. A en croire Mairobert, Turgot, irrité de l'effronterie de l'abbé, serait allé faire ses humbles excuses à Sartines, sans toutefois punir Baudeau, ce qui étonne à bon droit le chroniqueur lui-même (3). -La Correspondance Métra raconte de son côté que « M. de Sartines, instruit de quelques propos tenus sur son compte par M. l'abbé Baudeau, s'en est plaint à M. Turgot qui lui a répondu : « Je vous abandonne l'économiste, et, s'il est coupable, » qu'on le mette à la Bastille; » que M. de Sartines a répliqué qu'il ne voulait point obtenir de l'autorité, mais de la justice, vengeance du calomniateur; en conséquence, on s'attend à voir intenter une action criminelle contre l'abbé (*). » (L'action criminelle ne fut (L'action criminelle ne fut pas intentée.) Et plus loin : « On reprochait à l'abbé Baudeau que, dans la réfutation du livre de M. Necker (dont nous parlerons au chapitre suivant), il s'était expliqué un peu trop librement sur le régime de la police de Paris, que nous devons à M. de Sartines. M. Baudeau répliqua devant beaucoup de monde : « Je sais bien qu'il faut que M. de Sartines ou » moi soyons perdus.» M. Turgot a fait fermer sa porte à cet économiste fougueux et indiscret (3). » Autant qu'on peut en juger par ces témoignages contradictoires, Baudeau alla plus loin que

(1) D'Arneth et Geffroy, Corresp. inédite de Marie-Antoinette, II, 146.

(2) Bach., Mém. secr., VIII, 54.

Bach., Mém. secr., VIII, 55.
Corr. Mét., II, 17.

(5) Id., 28.

Turgot n'aurait voulu, et celui-ci fut contraint de le désavouer. Mais les plus graves soupçons n'en planent pas moins sur Sartines, que Baudeau ne fut pas le seul d'ailleurs à accuser. Turgot à Paris écrivait au roi (le 2 mai) que Sartines, loin de pacifier les troubles, les animait. Saint-Sauveur, ami de Turgot et partisan de la liberté du commerce, ajoutait, si l'on en croit Soulavie, que Lenoir et Sartines préparaient, pour le 3, des troubles à Paris (1). Faute de preuves, il est impossible de porter aucun jugement définitif sur la valeur de ces assertions.

LENOIR? La conduite tenue pendant la guerre des farines par le lieutenant de police n'est pas beaucoup plus claire que celle du ministre Sartines. « On ne plaint pas M. Lenoir, écrivait la Correspondance Métra au lendemain de la destitution de ce fonctionnaire. Il est au moins coupable de n'avoir rien fait, soit pour prévenir l'agitation, soit pour la calmer ('). » << On sait aujourd'hui, rapporte-t-on ailleurs, que M. Turgot ne s'est débarrassé de M. Lenoir qu'en disant à Sa Majesté qu'il ne répondait de rien, si ce lieutenant de police n'était pas changé, et qu'au contraire il répondait de tout, si on le changeait (3). » On peut à la rigueur accorder ces paroles avec la lettre suivante que Turgot lui aurait adressée : « Ne cherchez point ailleurs que chez moi, Monsieur, la cause de votre déplacement; j'ai cru que l'intérêt de l'État l'exigeait. Vous n'étiez pas assez persuadé du succès des motifs qui me font agir, et j'ai cru remarquer que vos démarches en étaient moins actives. Au reste, je suis le premier à rendre justice à vos lumières et à votre probité, et je saisirai les occasions de remettre sous les yeux du roi ses promesses, et ce que je crois vous devoir, lorsque mes opérations ne se trouveront point en contradiction avec le désir de vous obliger (*). » Cette lettre şemble bien de Turgot; on croit y reconnaître son style. Elle concorde d'ailleurs avec le soin qu'avait pris Louis XVI de rassurer Lenoir à l'avance sur les suites de sa disgrâce ("). Lenoir, instrument inconscient aux mains de son protecteur Sartines, n'aurait donc péché que par faiblesse et incapacité.

LE PARTI CHOISEUL? Il ne resta pas étranger assurément aux intrigues dirigées contre Turgot. Rappelons-nous seulement la démarche de Mme de Brionne ("), et rapprochons-en l'histoire de cet officier du comte d'Artois saisi parmi les mutins. Il n'est guère probable pourtant qu'il ait réellement pris part au complot. Voici une lettre de Mme du Deffand à la duchesse de Choiseul qui nous paraît donner la vraie mesure des menées de ce parti. Elle est datée du 13 mai, et fut écrite par conséquent après la dispersion des

(1) Soulav., Mém. sur Louis XVI, II, 19). (2) Corr. Métr., I, 347.

(3) Bach., Mém. sec., VIII, 52.

Corr. Métr,, I, 352.

Voir plus haut chap. v, p. 147. (6) Voir plus haut chap, v, p. 194.

émeutiers. Bien qu'elle soit à dessein énigmatique, il n'est pas interdit d'essayer de lire entre les lignes.

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Ainsi, le salon de Mme du Deffand ignorait les noms des chefs du complot et jusqu'à leurs projets. Mais cette ignorance de la marquise ne prouve pas que tous ses amis fussent aussi mal informés. En tout cas, faute de documents, nous nous abstiendrons de nous prononcer, tout en inclinant à croire que les partisans de Choiseul gardèrent en quelque sorte une neutralité attentive et armée, en présence des événements, et qu'ils évitèrent de s'y mêler.

LE PARLEMENT? Il eût vivement désiré que l'émeute amenât la chute de Turgot: son attitude le dit assez clairement; mais il n'alla pas plus loin. Il faut peut-être faire une exception parmi les membres de la Cour souveraine pour un duc et pair, le prince de Conti, que Turgot, paraît-il, considéra toujours comme le véritable chef de la sédition. Ambitieux et chevaleresque, vindicatif, éloquent, habile, qui sait s'il ne rèva point le rôle d'un Condé, sans en avoir le génie militaire?<< Quant au personnage à qui Turgot... attribuait [l'origine des troubles], a écrit Marmontel, je n'oserais pas dire que ce fût sans raison. Dissipateur nécessiteux, le prince de Conti, plein du vieil esprit de la Fronde, ne remuait au Parlement que pour être craint de la Cour; et, accoutumé dans ses demandes à des complaisances timides, un respect aussi ferme que celui de Turgot devait lui paraître offensant. Il était donc possible que, par un mouvement du peuple de la ville et de la campagne, il eût voulu semer le bruit de

(1) Corr. de Mme du Deffand. Ed. Lévy, III, 168.

la disette, en répandre l'alarme, et ruiner dans l'esprit du roi le ministre importun dont il n'attendait rien (1). » Jusqu'à nouvel ordre, il faut laisser à Marmontel, tout en en tenant compte, la responsabilité de cette accusation.

LE CLERGÉ? S'il accueillit mal en général la circulaire d'un ministre philosophe, il y eut des exceptious. Le vicaire-général d'Albi, l'abbé R..., écrivit dans le Mercure un article tout à la louange de Louis XVI, « qui, disait-il, en appelant auprès de lui, pour environner sa jeunesse, les gens les plus honnêtes et les plus éclairés de son royaume, a eu le bonheur de choisir, à vingt ans, ses ministres, comme aurait fait Marc Aurèle à cinquante. » Il loua l'instruction adressée aux curés, pour prévenir les campagnes « contre les scélérats qui voudraient les entraîner dans la révolte ». Il exprima le vœu que la chaire chrétienne fût employée partout à soutenir les réformes, et que par ses bienfaits le clergé s'efforçât « de se faire pardonner ses richesses» (). On vit aussi deux curés récompensés par Turgot à cause du concours énergique qu'ils lui avaient prêté pour la répression du désordre. Il a déjà été question de l'un ("), l'autre était prêt à monter à l'autel, lorsqu'il apprit que les mutins entraient dans son village. Il entraîna les paysans qui tremblaient, désarma de sa main un des agresseurs, et chassa le reste ('). Ce furent là des exceptions. On peut citer l'arrestation de plusieurs ecclésiastiques dans les rangs des émeutiers. D'autres avaient fourni de l'argent à leurs paysans « pour aller chercher du blé à 12 fr. », notamment celui de Férol et celui de Chevry dans la Brie; ils avaient même recelé chez eux ce blé acheté de force. D'autres, tels que le curé de Gournay, étaient montés en chaire, et tout en faisant l'éloge du roi, ils avaient déclamé contre ses ministres. Enfin, on faisait observer que les troubles « étaient arrivés au temps de Pâques ou après, ce qui faisait présumer que le clergé avait échauffé les esprits dans la confession (3). » Nous renvoyons le lecteur à la Relation historique anonyme qui contient la plupart de ces détails.

Si nous avions à nous prononcer, ce n'est ni dans le clergé, ni dans le Parlement, Conti à part, ni à la cour, en exceptant Sartines, que nous chercherions les vrais chefs dont parle Mme du Deffand, et << ceux qui poussèrent la populace aux émeutes », dont le bailli de Mirabeau a tu les noms. Le peuple a un remarquable instinct en ces sortes de procès obscurs et mal instruits. Il accusa les financiers, les monopoleurs de grains. Condorcet, attribuant aux actes mêmes de Turgot la véritable cause de la sédition, insiste sur cette considération << qu'il avait détruit un commerce de grains fait au nom du gouver

(1) Marm., Mém., XII, 756. (2) Merc. de Fr., juin 1775. (3) Voir p. 24, note.

Corr. Métr., I, 358.

(3) Relation historique à la suite des Mémoires sur Terray, 278.

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