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financiers et d'autres gens intéressés à décrier le ministère. Je conviens que le contrôleur général n'a pas prévu tous les inconvénients de la liberté accordée au commerce des grains, ni toutes les menées des monopoleurs, qu'il a négligé de prendre des mesures capables de les combattre; mais il faut espérer que l'invitation faite pour l'importation des blés étrangers et la récolte prochaine, qui paraît devoir être bonne, remédieront en partie aux maux présents, et que le temps et les circonstances feront le reste (1). »

Dès la fin d'avril on avait remarqué qu'il venait plus de paysans que de coutume aux marchés de Paris et de Versailles, et qu'ils y venaient même de quinze à vingt lieues à la ronde; qu'il se tenait des discours violents et capables d'émouvoir la foule (*). De sourdes rumeurs couraient dans la Brie, le Soissonnais, le Vexin, la haute Normandie, et se propageaient tout le long de la Seine. Des bandes d'hommes à figures sinistres, paraissant obéir à un mot d'ordre, soulevaient le peuple avec les mots de disette et de monopole; ils l'entraînaient sur les marchés et forçaient les marchands à livrer leur grain à vil prix. A Pontoise, ils avaient exigé 18 livres au lieu de 30 du sac de blé. Bientôt ils brûlèrent les granges, les fermes, coulèrent à fond les bataux de blé. Turgot, pour tromper les spéculations des monopoleurs et les forcer de baisser le prix de leur denrée par la crainte de la concurrence, avait excité le zèle des négociants; il attendait de nombreux arrivages pour l'alimentation de Paris (3). Il semblait que, par une combinaison suivie, on eût pris la résolution d'affamer la capitale, en s'emparant du cours des rivières, route naturelle des convois de blé (“).

On ne saurait reprocher au ministre de n'avoir pas pris au sérieux les souffrances du peuple. Le 1er mai, il achevait justement un Mémoire << sur les moyens de procurer, par une augmentation de travail, des ressources au peuple de Paris, dans le cas d'une augmentation dans le prix du pain, » et il l'adressait spécialement aux curés de la ville. << Deux sortes de personnes, disait-il, peuvent avoir principalement besoin de secours : les artisans auxquels la pauvreté ne laisse pas les moyens de se procurer la matière sur laquelle s'exerce leur industrie, et les femmes et les enfants. Pour leur procurer du travail, on peut ranimer une fabrication oisive, en donnant les avances nécessaires pour la remettre en activité; on peut encourager dans les familles indigentes une fabrication nouvelle qui soit à la portée des femmes et des enfants. On leur commandera par exemple des ouvrages de dentelles, de gazes et de blondes. Des bureaux de charité composés chacun de six commerçants seront établis dans les

(1) Corr. Métr., I, 340-341.

(2) Id., I, 341.

(3) Rel. à la suite des Mém, sur Terr., 256.
(4) Id., 257.

divers quartiers de la ville. Ils seront pourvus de fonds accordés par le roi. Ils s'en serviront pour acheter les matières nécessaires à diverses industries, qu'ils distribueront par petites parcelles aux indigents; l'ouvrage terminé, ils leur en acquitteront le prix en déduisant simplement le coût des matières employées. L'évaluation de l'ouvrage sera faite par une femme attachée au bureau des commerçants et toujours un peu au-dessous du prix ordinaire. Les commerçants chargés de l'administration de chaque bureau vendront les ouvrages qui leur auront été rapportés, et du prix qui en sera résulté, ils achèteront de la nouvelle matière. C'est du zèle des curés que dépend surtout le succès de l'opération. Ils doivent user de l'influence qu'ils exercent sur l'esprit des peuples, pour déterminer les indigents à se livrer à un travail auquel plusieurs d'entre eux ne sont pas accoutumés (1). »

Le jour même où parut ce Mémoire, l'émeute éclata à Pontoise. On l'appela la Guerre des Farines. De Pontoise, les séditieux se portèrent sur Versailles.

C'étaient d'étranges émeutiers. Ils avaient paru dans les provinces qui n'étaient nullement celles où le pain fût le plus cher; ils jetaient dans les rues ou à la rivière le blé qu'ils pillaient; beaucoup d'entre eux avaient de l'or et de l'argent dans leurs poches; leur marche était dirigée méthodiquement et selon les meilleurs principes de l'art militaire (2). « Ils paraissaient plutôt se promener que se révolter; ils se transportaient paisiblement d'un lieu à un autre, et indiquaient d'avance leur marche (). » Ces infortunés que la misère et la faim avaient, disait-on, poussés à bout, chantaient en parcourant les villes et les campagnes (). Enregistrons d'autres signes plus graves « Lundi, l'émeute s'est déclarée, disait la Correspondance Métra, surtout de la part des femmes, qui, comme on sait, sont plus dangereuses que les hommes dans ces sortes de crises. La police de la ville et de la cour faisait attention à tous les mouvements, mais avec circonspection, et les troupes de la maison du roi restèrent tranquilles comme à l'ordinaire; la journée s'est pourtant passée sans incident remarquable (").

Par précaution, Turgot se rendit à Paris dans la soirée. Il conféra une partie de la nuit avec le lieutenant de police Lenoir. Le lendemain mardi, 2 mai, il s'entretint longuement aussi avec le maréchal de Biron, colonel des gardes françaises (").

Le même jour, il mettait la dernière main à une « instruction pour l'établissement et la régie des ateliers de charité dans les campagnes ». Elle était adressée surtout aux intendants. Il leur prescrivait d'ouvrir

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 451.
(2) Dup. Nem., Mém., II, 42 et suiv.
(3) Sen. de Meill., Du Gouv., 175.

(4) Dup. Nem., Mém., II, 42 et suiv.
(5) Corr. Métr., I, 341-342.
(6) Id., 343.

dans leurs cantons qui auraient le plus souffert de la médiocrité des récoltes, des travaux destinés, soit à la création de routes nouvelles, soit au perfectionnement des routes déjà commencées, soit à la réparation des chemins de traverse. Il entrait en même temps dans le plus grand détail pour l'organisation de ces ateliers. La conduite des ouvrages devait être attribuée aux ingénieurs des ponts et chaussées; la police devait en être confiée aux subdélégués. Dans chaque paroisse, le curé désignerait les indigents qui pourraient être admis aux ateliers. Les travailleurs seraient divisés en brigades dirigées par un chef de brigade « responsable du travail fait en commun au conducteur des travaux ». On admettrait de préférence dans une même brigade les hommes, femmes et enfants appartenant à une même famille. Les tâches seraient données à la semaine et le salaire serait payé de même. Mais on pourrait délivrer des à-compte à ceux qui en auraient besoin pour leur subsistance journalière. Tout est prévu dans cette minutieuse instruction, jusqu'au moyen de contrôler le travail exécuté dans les terrassements, par le nombre. de voyages des brouettes, jusqu'à la forme, aux dimensions des registres des conducteurs et au sac de toile cirée qui doit garantir ces registres de la pluie (1).

Cependant l'émeute arrivait, le 2 mai, à Versailles. Pour effrayer le roi (2), on la poussait jusqu'aux portes et dans la cour du château. Il y avait là tout un corps d'armée de 10,000 hommes, la Maison du Roi, spécialement chargée de garder la royauté dans son palais. Pas un officier, pas un soldat ne bougea. Le capitaine des gardes de service proposa de fuir, de conduire secrètement le roi à Choisy et à Fontainebleau pour avoir le temps de rassembler des troupes ("). Louis XVI n'y consentit point; mais il put voir de ses fenêtres, tout à loisir, la foule menaçante; il fut ému, troublé, défendit qu'on employât la force. Il parut au balcon, parla, mais ne fut point éconté, rentra chez lui désolé, versa des larmes, et, pensant que le mieux était de céder aux cris de la populace, il fit proclamer que le pain serait taxé à deux sous la livre : le capitaine des gardes s'empressa de l'annoncer de sa part aux boulangers. C'était désavouer Turgot et toutes ses réformes. Les vociférations cessèrent; on se dispersa, tout en annonçant que le lendemain on irait à Paris.

« En voyant la douleur du roi, les gens de cour se sont mis à l'unisson, dit la Correspondance Métra; mais on en a pu remarquer beaucoup qui intérieurement n'étaient pas fâchés de l'événement (*). » Pendant cette journée du 2 mai, Turgot était à Paris « navré de

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 454.

(2) Pour exciter la pitié des courtisans, des Parisiens, du roi, on-montrait partout du pain de farine de seigle mêlé de son et de cendre,

qu'on avait eu soin de laisser moisir d'avance.
(Georgel, Mém., I. 424 )

(3) Georgel, Mém., 1. 424.
(4) Corr. Métr., I, 342.

voir ses bonnes intentions si cruellement combattues ». Le roi lui écrivit une lettre de consolation: il lui dit qu'il devinait la source de tous ces désordres, que les moyens employés étaient les mêmes à Versailles et à Paris qu'à Pontoise et à Saint-Germain, qu'il mettrait ordre à tout cela. Enfin il l'invitait à ne pas perdre courage, et il l'assurait << que le nombre, la qualité et les menées de ses ennemis ne pourraient que lui mériter d'autant plus son estime et sa confiance » (1). Puis, se repentant d'un moment de faiblesse, il le pria de se rendre sans délai auprès de sa personne »; il lui dit << qu'il craignait d'avoir fait une faute en politique, et qu'il voulait la réparer » (*).

Turgot courut à Versailles; il obtint aisément que le roi reviendrait sur sa première déclaration, et qu'il défendrait d'exiger des marchands ou des boulangers du blé ou du pain au-dessous du cours ("). Mais Louis XVI ne put consentir à autoriser les troupes à faire feu pour la répression des troubles (*).

Dans la nuit du 2 au 3, des mousquetaires et autres corps de la maison du roi eurent ordre de faire patrouille dans les campagnes et sur les grands chemins qui avoisinent Paris et y aboutissent. « Ces troupes arrêtèrent quelques vagabonds qui accouraient des villages voisins et observèrent des bandes de paysans qui venaient, non sans dessein, de lieux plus éloignés. » Dans cette même nuit, on arrêta plusieurs personnes d'une classe au-dessus du peuple » (3).

«

Le 3 mai au matin, malgré les troupes, on ne sait trop comment, les émeutiers entrèrent dans Paris à la même heure (sept heures), par plusieurs portes à la fois (6). Les boulangers du dehors commençaient à dresser leurs « échoppes» pour y étaler leurs pains. Ils avaient reçu ordre de la police de les vendre au prix qu'on leur demanderait, sauf dédommagement qui leur avait été promis. En présence des murmures et des menaces de la foule, plusieurs perdirent la tête et allèrent déposer leur marchandise dans les maisons voisines. Ce fut l'occasion des premiers désordres. La populace enfonça les portes des maisons qui avaient donné asile aux boulangers forains; elle

(1) Corr. Métr., I, 343.

.....

(2) Rel. à la suite des Mém. sur Terr., 259. (3) Cette defense fut allichee le 3 mai sous forme d'ordonnance de police et rédigée dans les termes accoutumés: Enjoignous aux officiers du guet et de la garde de Paris de saisir et arrêter tous ceux qui contreviendront à la présente ordonnance, pour être punis suivant la rigueur des lois. Requerrons tous officiers, commandants, de prêter main-forte à son exécution....» (Relat. à la suite des Mém. sur Terr., 260.) Elle etait signée de Lenoir, lieutenant de police. Ce fut le dernier acte de son administration..

(4) Ce scrupule d'humanité fait honneur à Louis XVI.

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s'empara des pains qui s'y trouvaient et se les partagea. Elle fit main basse en même temps sur ce qui se trouva à sa portée. Il y avait telles rues où l'on se fût cru « dans une ville prise d'assaut ».

Après les boulangers de la campagne vint le tour des boulangers de la ville. Leurs boutiques étaient gardées; elles n'en furent pas moins saccagées. « Enfin à midi on n'aurait pas trouvé à Paris un seul pain à acheter », sauf ceux que les émeutiers se donnaient ou se vendaient l'un à l'autre. Du reste, on remarqua que les pillards n'étaient que « des portefaix et autres gens communs, qu'ils avaient l'air fort gai, et que les artisans qui constituent particulièrement le peuple ont été fort tranquilles (1). »

Les marchés, mieux protégés, furent épargnés. La halle aux grains, gardée par les grenadiers des gardes françaises et suisses et par les dragons de la maison du roi à cheval, resta parfaitement tranquille. Partout ailleurs l'armée assista au désordre sans l'empêcher, et la police agit très mollement (*). Une foule immense, plus étonnée que satisfaite, et beaucoup plutôt composée de curieux que de complices, resta spectatrice de ce bizarre mouvement. Il finit plutôt par la lassitude des acteurs que par la répression de l'autorité. Vers onze heures, comme les Parisiens songeaient à rentrer chez eux pour dîner, tout était à peu près terminé. Le maréchal de Biron, en s'emparant des carrefours et d'autres points importants, prévint toute tentative nouvelle. A une heure, lorsque les Parisiens sortirent de chez eux pour chercher l'émeute, ils ne la trouvèrent plus nulle part. Comme pour dénoncer la direction occulte qui semblait présider à toutes ces menées, Lille, Amiens, Auxerre eurent leurs troubles le même jour.

Turgot, presque seul en face de l'émeute, avait du moins le roi pour lui. Comme il était revenu à Paris le 2 au soir, Louis XVI lui écrivit le lendemain, afin de lui expliquer pourquoi il ne l'avait pas suivi, pourquoi il était resté à Versailles : « Je ne suis point sorti, non que j'aie peur, je ne sais ce que c'est, et je tarderai beaucoup, je crois, à l'apprendre, mais c'est qu'il y a si peu de gens qui veulent l'ordre, qu'il ne faut pas les perdre de vue (3). » Turgot ne se contenta point de cette déclaration, toute rassurante qu'elle fût. Il se rendit de nouveau à Versailles. Dans un conseil qui eut lieu pendant la nuit du 3 au 4 mai, il parla avec chaleur contre Lenoir, le lieutenant de police, et à l'issue du conseil, celui-ci reçut l'ordre de donner sa démission. Le roi lui déclara d'ailleurs qu'il le remerciait de ses services, qu'il n'était pas mécontent de lui, mais que le sachant

(1) Corr. Métr., I, 345.

(2) La police forca elle-même plusieurs boulangers à ouvrir leur boutique et à donner du pain aux mutins. Les mousquetaires causaient gaiement avec ceux-ci et quelques-uns plus

compatissants leur jetaient de l'argent pour payer le pain qu'ils avaient enlevé. (Rel. à la suite des Mém sur Terray, 258.)

(3) Mirabeau, Mémoires, Lucas de Montigny, III, X, 158.

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