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notre jeune monarque. Comme il n'y a pas de petits objets quand il s'agit du bien public, je ne craindrai pas d'apprendre à V. A. I. que notre contrôleur général a supprimé les entrées sur le poisson salé, qui, pendant le carême surtout, est la nourriture du plus grand nombre des citoyens, et qu'il a réduit à moitié les entrées sur le poisson frais. Il a, par une autre ordonnance, ouvert les boucheries pendant le carême, ce qui est encore un service rendu aux habitants des villes. Un service plus important rendu aux habitants des campagnes, c'est la réforme dans la perception des tailles, qui désormais sera beaucoup mieux entendue et beaucoup plus douce. » Et comme tout le monde savait que Turgot préparait l'abolition des corvées, Laharpe ajoutait : « Un bienfait plus grand encore et qui fera bénir le nom de M. Turgot par les générations suivantes, c'est l'abolition des corvées, c'est-à-dire la suppression du plus lourd fardeau que portassent les malheureux paysans. Voilà des opérations sur lesquelles on ne fera pas d'ode comme sur une bataille gagnée, mais qui valent beaucoup mieux que des victoires, et peuvent se passer d'être chantées (1). »

Le 14, Turgot compléta, par une mesure particulière au port de Marseille, l'arrêt du 13 septembre sur la liberté du commerce des grains. Le port de Marseille était franc de tous droits et considéré au point de vue fiscal comme port étranger. Il en résultait pour cette ville une situation singulière. Elle ne bénéficiait point de l'arrêt du 13 septembre. Comme la liberté intérieure seulement avait été accordée au blé, mais non la libre exportation, Marseille étant hors du royaume, commercialement parlant, n'avait pas le droit de s'approvisionner de blé français. On craignait que les grains introduits à Marseille n'en sortissent pour aller à l'étranger, ce qui eût été une porte ouverte à l'exportation, et, d'après les préjugés du temps, une cause de disette. Turgot prit soin de ne pas heurter de front cette crainte populaire partagée alors par une foule de bons esprits. Il déclara qu'il n'entendait pas permettre l'exportation: cependant le port de Marseille était un lieu de passage naturellement désigné pour l'introduction en Provence des blés récoltés dans d'autres parties du royaume; en fermant Marseille, on privait cette province d'un moyen très précieux d'approvisionnement. Il décida que les grains français destinés à la Provence pourraient désormais traverser Marseille en toute franchise, pourvu qu'ils eussent été préalablement munis d'acquits à caution pris au port d'embarquement et exigibles au bureau de destination. Tel fut l'objet de l'arrêt. Le ministre n'osa pas d'ailleurs faire cesser l'injustifiable exception dont Marseille était victime en sa qualité de port étranger. Les blés français purent

(1) Laharpe, Corresp. litt., X, lett. vin, 75.

librement traverser cette ville, en transit; elle ne fut pas plus autorisée qu'auparavant à les employer dans son alimentation. Pour mettre un terme à cette anomalie, il eût fallu, ou dépouiller Marseille de son privilége de port franc, ou l'étendre à tous les ports du royaume. C'est à ce dernier parti que songeait Turgot, qu'il n'osait encore adopter, mais qu'il laissait entrevoir dans le préambule de l'édit, lorsqu'il disait : « Sa Majesté a cru devoir, par des motifs de prudence, différer de statuer sur la liberté de la vente hors du royaume, jusqu'à ce que les circonstances soient devenues plus favorables (1). »

La chambre des comptes mettait un tel retard à vérifier les comptes, qu'en 1774 ceux des trésoriers les moins arriérés l'étaient de cinq ans, quelques-uns de six, d'autres de sept, de huit. Ceux du trésorier des bâtiments l'étaient de douze ans; ceux du trésorier de la caisse d'amortissement l'étaient de treize. Cette vérification était un travail de pure curiosité, dit Dupont de Nemours, et parfaitement inutile. Elle faisait perdre un temps considérable au roi, qui était forcé de signer toutes les pièces. Turgot, par décisions des 12 et 22 janvier 1775, et plus tard du 11 mai 1776, simplifia la vérification des comptes. I autorisa les conseillers d'État à donner leur signature. Il prépara avec Fourqueux (procureur général de la chambre des comptes) un arrangement qui permît à la chambre de se mettre au courant (2).

Le 15, il rendit un arrêt pour le paiement des lettres de change tirées des îles de France et de Bourbon. Ces lettres de change étaient arriérées depuis cinq ans, à tel point on négligeait les affaires de nos colonies! Turgot, dans son court passage à la marine, avait pu s'en apercevoir. Il affecta un premier fonds extraordinaire de 1,500,000 fr. au paiement de cette dette criarde. 1,200,000 fr. devaient être employés pendant les six premiers mois de l'année 1775 à retirer celles de ces lettres qui avaient été données d'une part aux Hollandais. et aux Danois, pour fournitures nécessaires à ces colonies, et d'autre. part au régiment du Royal Comtois, en échange des fonds qui s'étaient trouvés dans sa caisse, à son départ des îles. Dans les six derniers mois, 100,000 écus devaient être employés à rembourser les lettres de change de 500 fr. et au-dessous souscrites à des Français. Cependant, même après ces premiers paiements, il devait rester encore 8,500,000 fr. de ces lettres à solder. Turgot assigna une somme de 1,000,000 par an à l'extinction de cette dette. Le sieur Mory, caissier de la Compagnie des Indes, fut chargé de dresser un état des lettres qui lui seraient représentées. On convint d'opérer les remboursements par ordre de date; on laissa aux créanciers qui ne

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 178.

(2) Dup. Nem., Mém., II, 199.

voudraient pas attendre l'époque des remboursements, la liberté d'échanger leurs lettres contre des titres de rente à 4 0/0. Plusieurs acceptèrent ce parti avantageux à l'État (1).

De telles mesures n'étaient pas seulement dictées par un vif sentiment d'humanité et de justice. Elles étaient habiles et utiles en même temps. Elles relevaient le crédit et l'honneur des finances françaises aussi bien en France qu'à l'étranger.

Turgot ne veillait pas moins assidûment aux intérêts de l'industrie. Un maître fabricant de drap d'Elbeuf était venu s'établir à Louviers. La communauté de Louviers s'y opposait. L'intendant avait dû rendre une ordonnance pour la forcer d'admettre le nouveau venu. Turgot approuva l'intendant (2).

La manufacture de porcelaine de Limoges était dans une triste situation, par la mort de son directeur Pierre Grelet, qui laissait une veuve et cinq enfants. Antoine Grelet, son frère, demandait à emprunter 60,000 fr. à l'État. Turgot, préféra lui accorder un secours annuel de 3,000 fr. pendant dix ans (").

Les couteliers de Reims lui avaient adressé un placet, pour se plaindre que des ouvriers incapables eussent obtenu chez eux des brevets de maîtrise: ils prétendaient que ces nouveaux fabricants, livrant au public de la mauvaise marchandise, portaient préjudice à la communauté. Turgot leur fit dire tout net « que leur plainte était dénuée de fondement... et que c'est au public seul à juger si un maître est capable ». Vend-il des produits de qualité défectueuse? on se garde d'aller se pourvoir chez lui: c'est la seule peine qu'il mérite (').

Si Turgot savait donner à de petits bourgeois des leçons d'économie politique pratique, il ne craignait pas au besoin de rappeler les grands seigneurs aux convenances et à l'observation de la loi. Il était dit dans les ordonnances que les nobles, aussi bien que les vilains, devaient acquitter les droits d'octroi. Mais la plupart du temps les nobles trouvaient moyen de se soustraire à cet impôt, bien qu'ils fussent déjà exempts de beaucoup d'autres. En arrivant en ville, ils refusaient de s'arrêter aux barrières, et leurs cochers passaient outre « en poussant leurs chevaux avec tant de rapidité qu'ils menaçaient d'écraser les commis». Turgot ne pouvait tolérer ce scandale. Par arrêt du 15 février, il rappela que les postillons, cochers ou conducteurs de voitures, même des équipages du roi, de la reine et des princes du sang, devaient s'arrêter aux portes et barrières de Paris, à la première réquisition des commis; que les coffres, malles, valises, etc., devaient être visités dans les bureaux

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mêmes des entrées. Enfin il ordonna que les contrevenants seraient punis de la confiscation des marchandises, de 500 fr. d'amende et de la prison (1).

De telles mesures n'étaient guère propres à concilier à Turgot l'affection des privilégiés. Ceux-ci auraient pu s'apercevoir pourtant que l'esprit de la société nouvelle était hostile à toute inégalité devant la loi. On commençait à rire tout haut des prétentions vieillies de la noblesse. Le 23 février, Beaumarchais débutait au théâtre par le Barbier de Séville. A la première représentation, la pièce fut sifflée; mais trois jours après elle fut applaudie avec fureur. Son apparition seule était un signe des temps.

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CHAPITRE II

Épizootie du Midi : deuxième partie (1).

(De janvier à mai 1775)

L'épizootie continuait ses ravages : pendant les mois de janvier et de février surtout, Turgot déploya une activité inouïe pour la combattre. Il était malade, mais, suivant l'expression de Dupont de Nemours, il mettait à profit, pour le service de l'État, « jusqu'à l'insomnie qui le dévorait » (*).

Il était au lit lorsqu'il apprit que l'épizootie prenait un caractère de plus en plus alarmant. On le vit recueillir ses forces et, de son lit, dicter des instructions sur la manière d'arrêter la contagion. Chaque feuille prête était aussitôt envoyée à l'imprimerie établie à Versailles et les épreuves étaient immédiatement corrigées. Il dicta encore les lettres qui devaient accompagner ces instructions et la teneur d'un arrêt accordant des gratifications à ceux qui amèneraient des chevaux ou des mulets propres à la charrue et les vendraient sur les marchés des provinces infectées (3).

De toutes ces pièces officielles dictées par Turgot le 8 janvier et mentionnées par Dupont de Nemours, il ne nous reste que le texte de l'arrêt relatif à l'importation des bêtes de somme. Les gratifications étaient de 24 et de 30 livres par tête de mulet ou de cheval; elles devaient être progressivement diminuées, au fur et à mesure de la diminution de la maladie (). Dans les instructions qui nous manquent, il est vraisemblable que Turgot, se rendant enfin à l'avis réitéré de Vicq d'Azyr, ordonnait de tuer sans restriction tous les animaux atteints par le fléau.

Un médecin de Montpellier, Paulet, avait composé un ouvrage sur les maladies épizootiques (5) dont Montigny, de l'Académie des Sciences, avait rendu compte à Turgot. Le ministre alloua 1,800 fr. à Paulet pour subvenir aux frais d'impression de son mémoire. Il voulut également payer le prix que la Société d'Agriculture de Paris avait promis à l'auteur du meilleur mémoire sur cette question : il

(1) Voir précédemment liv. I, chap. x.
(2) Dup. Nem., Mém., II, 102.

(3) Dup. Nem., Mém., II, 38-39.
(4) Euv. de T. Ed. Dairo, II, 478.

(5) Recherches historiques et physiques sur les maladies épizootiques, par M. Paulet, docteur inedecin, publiées par ordre du roi (Fréron, Ann. litt., XI, 252; 20 avril 1775).

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