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biens et héritages dépendants des lieux claustraux et réguliers jouissaient de l'exemption des droits d'amortissement. Mais ce privilége ne pouvait leur être maintenu qu'autant qu'ils restaient affectés à leur première destination. Or, beaucoup d'abbés, prieurs, chanoines et autres gens de main-morte avaient pris l'habitude de louer à des particuliers partie ou totalité des maisons, jardins et autres propriétés dont ils avaient la jouissance. Le fisc alors, considérant ces biens comme mis dans le commerce et invoquant un arrêt de 1738, prétendait les assujettir aux droits d'amortissement, tandis que les gens de main-morte refusaient de les payer. L'affaire portée devant Turgot fut réglée par lui avec autant de modération et de ménagements que la précédente. Il maintint « par grâce » l'exemption du droit d'amortissement aux lieux claustraux et réguliers mis en location, «pourvu néanmoins que l'usage et la destination n'en fussent pas changés et dénaturés pour toujours »; il se contenta de les soumettre au droit de nouvel acquét pendant la durée des baux (1).

Le 28 novembre, il parvint à faire un pas de plus dans la voie de la liberté commerciale. Longtemps les huiles de pavot, dites d'œillette, avaient inspiré de la répugnance aux consommateurs et des défiances à l'administration. Mais, peu à peu, elles étaient entrées dans l'usage journalier des provinces de Beaujolais, FrancheComté, Alsace et Flandre, et aussi de pays étrangers, tels que l'Allemagne, la Russie, l'Angleterre. La Faculté de médecine avait déclaré qu'elles ne contenaient rien de narcotique ni de contraire à la santé. Enfin les maîtres et gardes du corps de la ville et faubourgs de Paris avaient réclamé eux-mêmes le droit de la vendre en même temps que les autres espèces d'huiles. Turgot profita de cette occasion pour obtenir du Conseil un édit qui accorda pleine et entière liberté au commerce de toutes les huiles (2).

Dans ce même mois de novembre, Turgot, de concert avec son collègue des affaires étrangères Vergennes, put donner une application partielle à l'un de ses projets les plus fortement arrêtés, la suppression du droit d'aubaine. On sait que ce droit inique accordait au roi la propriété de tous les legs, de toutes les successions testamentaires et ab intestat, mobilières et immobilières des étrangers fixés dans le royaume. Il existait d'ailleurs également dans tous les autres États. C'était un des plus sérieux obstacles aux bonnes relations entre peuples, et à la résidence chez nous d'artisans, capitalistes ou négociants étrangers, qui auraient pu être fort utiles. Les négociations de Vergennes en Allemagne, confirmées par lettres patentes que dicta Turgot, abolirent le droit d'aubaine en France.

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 398; 27 nov.

(2) Eur. de T. Ed. Daire, II, 224.

pour les sujets de vingt-trois villes libres impériales, et établirent la réciprocité entre ces pays et le nôtre, ainsi que le traitement mutuel le plus favorable pour les personnes et le commerce de chacun (1).

Des lettres-patentes antérieures (2) avaient ratifié une convention analogue, conclue avec les États-Généraux des Provinces-Unies (Hollande) pour l'exemption du droit d'aubaine (").

Enfin, dans l'administration même des finances, un édit très démocratique, qu'on nous passe le mot, modifia la situation des intendants du commerce. Depuis 1724, les quatre places d'intendants du commerce étaient devenues des offices que les titulaires devaient acheter très cher. Or, il n'était point facile de rencontrer, pour ces importantes fonctions, des gens qui réunissent à la fois l'expérience, la pratique des affaires et l'intelligence, en un mot la compétence et la fortune. Il avait même fallu bientôt déroger à l'édit pour l'un de ces offices, et en confier l'intérim successivement à plusieurs magistrats. Turgot n'entendait point se priver des services d'hommes capables, par cela seul qu'ils auraient le tort de n'être pas riches. Il obtint donc qu'au fur et à mesure de leur vacance, ces offices seraient supprimés; que, pour le moment, les titulaires existants, dont il était fort satisfait, resteraient en place; qu'à l'avenir ces charges seraient confiées, par décision royale, à des officiers du Conseil ou des cours souveraines. Turgot compléta l'édit en faisant rembourser un des offices qui était vacant, pour en confirmer les fonctions à Albert, qui les remplissait d'une manière très distinguée, mais par simple commission (').

Si l'on veut avoir une idée de l'activité prodigieuse déployée par Turgot au ministère, il faut feuilleter aux Archives uationales le registre de ses lettres administratives. Lorsqu'on songe qu'il élaborait une foule d'arrêts, qu'il préparait les réformes les plus importantes (telles que la suppression de la corvée, un de ses travaux de cette. époque, nous l'avons vu), qu'il assistait aux conseils, qu'il devait se concerter fréquemment avec le roi, avec les ministres, avec ses secrétaires et les confidents de ses projets, on sera étonné qu'il trouvât encore le temps de répondre aux importuns, de correspondre avec les intendants, de dicter chaque jour un grand nombre de lettres.

C'est ainsi que, le 29 novembre, il écrit à l'astronome de Fouchy, pour le prier de soumettre à l'Académie des Sciences la question de savoir si la coutume de rouir le chanvre dans les rivières ne rend point les eaux malsaines ("); il écrit au prince de Condé pour lui

(1) Euv. de T. Ed. Daire, II, 399.

(2) Du 1er septembre 1774.

(3) Anc. 1. fr., XXIII, 29.

(4) Euv. de T. Ed. Daire, II, 437.
Albert, voir précédemment ch. iv.
(5) Pièc. justif. no 6.

Pour

refuser, en termes polis mais fermes, la permission qu'il demandait de contraindre les habitants de Stenay à lui céder les terrains nécessaires à l'établissement d'une forge ('); il écrit au ministre Bertin pour donner un avis défavorable à l'étrange requête de deux particuliers: ceux-ci réclamaient un droit de 30 sols pendant dix ans sur chaque voie de charbon de terre du royaume, à titre de récompense, ayant découvert, disaient-ils, la manière de le préparer, pour l'employer à la fonte et à la forge du fer(); il écrit à M. de La Bove, récemment nommé intendant de Bretagne, pour autoriser le maire de Saint-Malo à supprimer les 8 sous pour livre sur les droits d'ancrage et de lestage des navires (3); il écrit à Lenoir, nouveau lieutenant de police de Paris, pour le prier de hâter le jugement de divers procès engagés par les plombiers, limonadiers, drapiers et merciers, etc. ('). Toutes ces occupations de Turgot ne sont pas d'un intérêt qu'on doive dédaigner. Elles prouvent que ce n'était point un philosophe abstrait perdu dans le vague idéal de ses conceptions, qu'il savait être administrateur et homme pratique; elles montrent de quel travail continuel il était surchargé, et de quelle trempe était son génie.

Cependant, le grand projet qu'il méditait depuis l'acte d'émancipation du commerce des blés, était la suppression des corvées. On l'attendait avec impatience. Trudaine continuait à opposer des objections au plan du ministre; il lui conseillait de consulter les intendants; il redoutait l'inconvénient qui résulterait pour l'entretien ou la confection des routes, d'une brusque interruption des travaux. Turgot tenait bon et refusait de consulter les intendants, se considérant comme suffisamment instruit par son intendance de Limoges. Mais de hautes influences l'empêchaient sans doute de rien décider; car il prenait la peine de rédiger, pour le roi, un mémoire sur les corvées, espérant le convaincre personnellement de la nécessité de cette réforme. Ce mémoire est malheureusement perdu (5).

Avoir pour lui le roi, tel était l'unique espoir de Turgot. A ses yeux, c'était le seul moyen de triompher des résistances cachées qui commençaient à l'envelopper. Ses amis comprenaient le danger. Voltaire redoutait de le compromettre. En priant d'Argental de recommander secrètement son jeune protégé d'Etallonde à Turgot, « M. Turgot nous protégera, disait-il, et certainement nous ne le compromettrons point. J'aimerais mieux mourir (et ce n'est pas

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coucher gros) que d'abuser de son nom et de ses bontés, il doit en être bien persuadé (1). » Et dans une lettre à Condorcet, sur le même sujet « Vous êtes bienfaisant comme M. Turgot, humain, hardi et sage... J'aimerais mieux mourir que de compromettre en rien l'ange tutélaire (Turgot), qui veut bien vous faire parvenir cette lettre. (Il lui avait écrit sous le couvert de Turgot.) Ce serait, à mon avis, trahir la France, que de laisser échapper la moindre indiscrétion sur le compte d'un homme unique qui lui est nécessaire (2). »

Aussi l'abbé Morellet devait-il paraître à Turgot lui-même bien confiant et bien affirmatif, lorsqu'à la date du mois de novembre 1774 il ajoutait en post-scriptum à son ouvrage sur la liberté d'écrire et d'imprimer, cette phrase de Tacite (Vie d'Agricola): « Nunc demum redit animus, nec spem modo ac votum securitas publica, sed ipsius voti fiduciam ac robur assumpsit (3). »

Mercy voyait plus nettement la situation, lorsqu'il écrivait à Marie-Thérèse : « Depuis le grand changement que vous savez être arrivé dans le ministère de cette cour, on a été dans l'attente des réformes utiles que les abus en toutes les branches du gouvernement rendent nécessaires et même urgentes. Le nouveau contrôleur général, qui passe pour un homme vertueux, ferme et éclairé, a déjà employé des moyens d'économie, dont cependant les effets ne peuvent pas être aussi prompts qu'il serait à désirer. Le ministre susdit paraît un peu effrayé de l'immensité de sa besogne. Il a grande raison. » Il ajoute, il est vrai : « Malgré cela, on croit qu'il réussira à opérer le bien. » Mais cette réserve n'exprime point son opinion personnelle. Il constate la confiance du public, il ne la partage pas (*).

(1) Lett. de Volt. à d'Argent., 24 nov. 1774.
(2) Cond., Eur., I, 43-48.- Le texte de Tacite

est un peu différent (J. Agr. Vit., III).

(3) Merc. Fr., fév. 1775.

(4) D'Arn. et Gelf., Mar.-Ant., II, 241, note; 28 sept. 1774.

CHAPITRE IX

Les Partis et le rappel des Parlements.

(Octobre et novembre 1774.)

Pendant les quatre premiers mois que nous venons d'étudier, Turgot s'était maintenu à la cour dans une situation ferme et presque indépendante. Trois puissances gouvernaient le roi, Maurepas et la reine.

Le roi était assurément le moins roi de ces trois personnages. Sa faiblesse le livrait fatalement à l'influence des deux autres. Cependant il était obstiné, et il avait des prédilections comme des répugnances qu'il était souvent difficile de vaincre. Or, l'entente entre le monarque et le ministre était encore complète à cette époque, et leur intimité sans atteinte. Turgot avait l'entière confiance du roi.

Maurepas << n'eut pas d'abord, dit Georgel, l'ambition de tout envahir; trop de précipitation l'aurait peut-être fait échouer; ni le chancelier Maupeou, ni le comte de Muy, ni M. Turgot ne se seraient prêtés à une telle intention... M. Turgot, qui se regardait comme un génie pour l'administration des finances ('), n'aurait jamais courbé son caractère fier et indépendant jusqu'à soumettre les opérations de son département à la décision suprême d'un vieillard qui l'aurait exigé. Tant que ces trois hommes furent en place, le comte de Maurepas eut l'air de se tenir à l'écart pour tout ce qui pouvait être du ressort de leurs ministères (2). »

Georgel, souvent sujet à caution, paraît avoir vu juste cette fois et dit la vérité. L'influence de Maurepas n'était pas encore ce qu'elle fut plus tard. Malheureusement pour Turgot, Maupeou, quoique peu regrettable d'ailleurs, avait cédé la place à une créature de Maurepas, Miroménil, et la mort devait lui enlever l'année suivante l'appui du comte de Muy. Peu s'en fallut qu'il ne fût seul en face de Maurepas. Ses relations avec le premier ministre ne pouvaient avoir ni cordialité ni intimité. Trop de différences de caractère, d'esprit et d'opinions séparaient l'économiste du futile compagnon d'enfance de Louis XV.

(1) Evidente exagération.

(2) Georgel, Mém.. I, 371-372.

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