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et l'une de ses grandes occupations était de le répéter, de l'écrire à ses amis, de s'en vanter à tout propos. Toujours prêt à se plaindre et à récriminer, il réclamait énergiquement contre les abus des commis de la nouvelle Ferme du marc d'or. Il les accusait, non sans raison vraisemblablement, d'effaroucher sa colonie, si bien que cent pères de famille étaient sur le point de l'abandonner; et il chargeait d'Argental d'intercéder auprès du ministre en faveur de ses protégés (1).

Cependant Turgot travaillait toujours; n'osant et ne pouvant encore entamer des réformes générales, il s'efforçait d'y préparer les esprits par des réformes de détail.

Les bourgeois de Paris et autres privilégiés jouissaient de l'exemption de droits sur les denrées provenant de leurs terres et destinées à la consommation de leurs maisons. Sous ce prétexte, ils introduisaient en ville à peu près tout ce qu'ils voulaient, et d'autres qui n'avaient point les mêmes priviléges ne se faisaient point faute de les imiter. Par arrêt du 2 octobre, le bureau d'enregistrement pour les titres de propriété de cette classe de privilégiés fut réorganisé et installé à l'hôtel de Bretonvilliers (2). Ces titres furent sévèrement vérifiés () Turgot ne pouvant supprimer l'abus, s'efforçait de le restreindre. La Révolution seule l'a aboli.

On sait combien étaient lourds sous l'ancienne monarchie les impôts indirects, et notamment la gabelle. Les fermiers, par intérêt et par métier, s'efforçaient sans cesse de l'accroître. Sur leurs instances, le Conseil d'État avait rendu le 3 octobre 1773 un arrêt qui avait soulevé de la part de plusieurs des provinces du centre les plus vives réclamations. En vertu de cet arrêt, l'adjudicataire des Fermes avait obtenu le droit exclusif d'approvisionner de sel les dépôts de Riom et d'Aubusson, au détriment des fournisseurs et des minotiers qui exerçaient auparavant ce métier. Or, depuis longues années, la province d'Auvergne s'était rédimée des droits de gabelle par une augmentation sur la taille. L'arrêt ne tendait donc à rien. moins qu'à rétablir ces droits sous un autre nom. Il avait en même temps, aux yeux de Turgot, l'inconvénient grave de porter atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Après avoir lu les requêtes des deux parties, le Conseil, sur l'avis du contrôleur général, et par décision du 14 octobre 1774, cassa l'arrêt qu'il avait précédemment rendu. L'Auvergne, le Limousin et autres pays rédimés du centre conservèrent leurs antiques priviléges (*). On peut s'étonner qu'un ministre novateur se fût déclaré en cette occasion le conservateur des vieilles coutumes, mais il considérait

(1) Corr. de Volt., 23 sept. et 10 oct. 1774. Voir plus loin un chapitre spécial: liv. II, ch. xvi, Turgot, Voltaire et le pays de Gex.

Quai de Béthune, île Saint-Louis. (3) Anc. l. fr., XXIII, 41.

Euv. de T. Ed. Daire, II, 39).

avec raison qu'ici le privilége était conforme à la justice, et son désir secret était que le privilége s'étendant à tous devint ainsi le droit

commun.

Quelques jours après, la cour partit pour Fontainebleau. Turgot et les autres ministres l'y suivirent. C'était l'usage, et cet usage avait sa raison d'être. La personne royale était tout dans l'État; le roi était la loi vivante; les conseils ne pouvaient rien décider sans lui; les plus hauts dignitaires de la Couronne ne tenaient que de lui leur autorité! Il était donc naturel qu'il marchât sans cesse environné de ceux qui formaient le personnel le plus élevé de son gouvernement. On conçoit facilement en revanche tout ce que cette institution avait de fâcheux pour la bonne expédition des affaires. Les bureaux des ministères étaient à Paris, tandis que les ministres assistaient aux fêtes de Versailles ou aux chasses de Fontainebleau.

Mais Turgot, lui, savait se dispenser des chasses comme des fêtes. A Fontainebleau, il travaillait aux corvées.

Le 23 septembre, Condorcet, alors en Picardie, chez sa mère, lui écrivait « J'attends avec bien de l'impatience un édit ou un arrêt sur les corvées. C'est peut-être le seul bien général, prompt, sensible que vous puissiez faire en ce moment. Toutes les provinces attendent de vous le même bien que vous avez fait en Limousin. Leurs transports éclateront de manière à vous faire plaisir, et peut-être l'effet que ce bien produira ne sera-t-il pas inutile à la réussite du reste. Ce mot de bien revient sans cesse, mais c'est votre faute (1). » Turgot n'avait pas besoin qu'on encourageât son zèle. En revanche il avait beaucoup à faire pour convaincre l'administration des ponts et chaussées de la nécessité d'une réforme des corvées. Des esprits éclairés, comme Trudaine de Montigny, n'osaient approuver son dessein. Il faut rapporter sans doute à cette période d'élaboration de l'édit des corvées une lettre officielle de Trudaine de Montigny à Turgot, sans date précise, mais que l'on sait être de la fin de l'année 1774. On y lit ces mots : « Le désir que vous m'avez marqué, Monsieur, de procéder le plus tôt possible à changer dans le royaume l'administration des corvées, a été pour moi un motif suffisant de me remettre à examiner de nouveau cette importante question et d'en faire l'objet de ma principale occupation... Pendant vingt-huit ans que mon père a été chargé du département des ponts et chaussées, et depuis six ans que j'en suis chargé moi-même, j'ai été occupé perpétuellement à réfléchir sur la surcharge que cette espèce de contribution causait au peuple... » Mais il a toujours vu, ainsi que son père, deux objections principales à opposer à un changement de système pour la corvée. La première est «< la

(1) Cond., Eur., 1, 252.

difficulté de mettre les sommes destinées à la confection des ouvrages publics à l'abri de la cupidité des agents de tous les genres... et encore plus des besoins de l'État. » (Triste aveu de la part d'un agent même de l'État, et certainement grave empêchement à toute innovation.) La seconde est « qu'en beaucoup de circonstances cette contribution en nature est moins onéreuse que l'imposition en argent » (1). Telles étaient les objections de Trudaine. Turgot dut en essuyer bien d'autres qui ne valaient pas celles-là. Il n'était pas homme à se décourager. « M. Turgot travaille aux corvées, » écrivait Mule de Lespinasse le 14 octobre. C'est ce long et pénible travail des corvées qui explique la stérilité apparente des mois d'octobre et de novembre. Ils ne virent paraître aucun édit important. Citons cependant quelques décisions d'intérêt administratif ou économique.

Le 6, Turgot écrit à Duhamel pour le charger de continuer ses études sur la conversion du fer en acier dans les forges de Buffon et autres usines (2).

Vers la même date, Turgot ordonne l'essai d'un projet de barrage destiné à arrêter les glaces qui, presque chaque hiver, entravent la navigation de la Seine et de la Marne, et dont la débâcle offre même des dangers. L'auteur de ce projet, nommé M. de Parcieux, avait lu à l'Académie des Sciences, quelques années auparavant, un mémoire sur cet objet. Pidansat de Mairobert nous décrit en ces termes (3) le barrage qu'il avait imaginé : « Il consiste en une quantité de pièces de bois attachées ensemble et amarrées de l'un et l'autre bord avec des chaînes de fer. Ces poutres traverseront toute la largeur de la rivière, y seront flottantes, et seront armées de tranchants qui rompront l'impétuosité des glaçons et les briseront à leur arrivée. » Il ajoute « M. Turgot a mandé le prévôt des marchands et la Ville [le Conseil municipal] pour leur faire part de ce projet et leur enjoindre de se préparer à en commencer l'exécution sur la Marne, vers l'endroit où elle se jette dans la Seine. Si cette première partie du projet réussit, on exécutera la seconde dans la Seine même, vers le port à l'Anglais (). » Le barrage essayé ne répondit point à l'espérance de Turgot (3). Il fallut l'abandonner pour cet hiver-là (6).

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» Cette machine, qu'on a appelée la machine Turgot, n'a pas mieux réussi l'effort des glacons l'a bientôt fait péter et ses debris ont eté fracasser un moulin établi au pont de Charenton, lieu où on l'avait établie. MM. de l'Academie, qui assistaient par députation à l'experience et visitaient tous les jours la machine, sans en esperer beaucoup, sont décidément convenus qu'on n'avait pas encore assez calculé les forces de ces masses de glaces, et qu'il ne fallait pas se flatter de les vaincre ainsi. C'est encore 20,000 livres de depenses qu'on a fait faire à la ville inutilement; mais tout ce qui tend à l'amélioration des sciences ne peut être regardé comme vain. (Bach., Mém. seer., IX, 36: 30 janv. 1776.)

Le 14 octobre, un arrêt révoqua celui du 3 octobre 1773, qui réglait la vente du sel dans les dépôts limitrophes aux pays de gabelle (1).

Turgot ayant appris que la navigation de la Garonne était dans un état déplorable, que souvent même « on ne trouvait pas deux pieds d'eau dans certains endroits », écrivit à ce sujet à l'intendant de Bordeaux, le 17 octobre, et lui demanda des renseignements (2).

Le 22, un arrêt inspiré par Turgot décida que les créanciers des communautés ne pourraient poursuivre le paiement de leurs dettes par voie de contrainte, mais que le paiement aurait lieu désormais par imposition, et après vérification devant les commissaires départis (3).

Le 23, la perception des droits d'entrée sur les fers blancs et les fers noirs venant de l'étranger fut simplifiée et fixée à 4 livres par quintal. Le droit fut établi, non plus en raison de la qualité, mais en raison du poids. Ainsi furent évités mainte contestation et maint procès (*).

Le 25, un autre arrêt exempta du droit de circulation les couperoses vertes apportées de l'étranger (3).

Le mois de novembre s'ouvrit par les lettres-patentes qui donnaient force de loi à l'arrêt du Conseil du 13 septembre concernant le commerce des grains dans l'intérieur du royaume. Elles furent signées le 2 à Fontainebleau par le roi. Elles reproduisaient le dispositif des articles de l'arrêt, sauf la réserve « de statuer incessamment par d'autres lettres-patentes sur les règlements particuliers à la ville de Paris » (*).

Dans les premiers jours de novembre également, un arrêt autorisa les armateurs qui se livraient à la pêche de la morue à faire venir du sel de Portugal et d'Espagne, sur des vaisseaux français, pour la salaison de leurs morues et pour les armements de leurs pêches, en considération du haut prix des sels dans les marais salants du royaume (7).

Le 12, Turgot ayant su que les officiers de l'amirauté avaient défendu en Bretagne la vente du goëmon, véritable ressource pour l'agriculture du pays, écrivit à l'intendant Dupleix pour le prier de maintenir à cet égard une tolérance déjà ancienne (8).

Dupont de Nemours analyse, à la date du 15, un arrêt relatif aux hypothèques et autres droits (9). Les droits d'hypothèque, ceux de

(1) Anc. 1. fr., XXIII, 41.

(2) Dans une lettre à Trudaine, du 22 février 1775, l'intendant de Bordeaux Esmangard avoua que les représentations des directeurs de la province de Guienne (car c'est d'eux qu'était venue la plainte) étaient en grande partie fondées. Des constructions et des plantations interceptaient le chemin de halage. C'est, dit-il, la faute de la tolérance des officiers des eaux et forêts. C'est bien plus encore la faute du Parlement de Bordeaux qui accorde trop facilement des inhibitions sus

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greffe, les quatre deniers pour livre sur le prix des ventes d'immeubles dans les provinces avaient été confiés à une régie sous le nom de Rousselle. Les régisseurs devaient faire 8 millions d'avances remboursables par des paiements successifs dont le dernier aurait lieu en juillet 1781. L'intérêt de leurs avances avait été stipulé à 6 0/0. Ils avaient en outre des droits de présence montant à 480,000 livres l'an, soit 6 0/0 de leurs premiers fonds, et ces droits devaient leur être payés jusqu'au terme de la régie. Ainsi du 1er janvier au 1er juillet 1781 les cautions de Rousselle n'étant plus en avance d'un million, dont la moitié lui aurait été remboursée au mois d'avril, Rousselle n'en aurait pas moins touché : l'intérêt de son capital à 6 0/0, sujet à la retenue du dixième, et 240,000 livres d'intérêts sous le nom de droits de présence. Pour les trois premiers mois de 1781, ces deux intérêts réunis eussent été de 54 0/0, et, dans le second trimestre, ils se fussent élevés à 93 0/0.

Turgot conseilla au roi la résiliation d'un marché conclu avec une si coupable légèreté et si désavantageux au Trésor. Il forma une nouvelle régie qui fournit 4 millions d'avances de plus, eut plus de travail, plus de droits à percevoir, sans avoir des droits de présence plus élevés. Ces droits devaient être soumis, comme les intérêts du capital, à la retenue du dixième, et devaient diminuer comme les intérêts dans la progression des remboursements successifs.

Les roturiers qui possédaient des biens nobles étaient assujettis à un droit particulier dit de franc-fief. Le clergé, invoquant cette considération que la promotion aux ordres sacrés efface chez les ecclésiastiques roturiers « la tache de roture », les élève au premier rang des citoyens, et les rend membres d'un corps qui a le droit de précéder la noblesse, le clergé réclamait depuis le xvr° siècle, et avait réclamé récemment encore dans l'assemblée de son ordre tenue en 1770 la suppression du droit de franc-fief exigé de ses membres non nobles. Les rois avaient plusieurs fois cédé à ses instances, mais à titre d'exception, et en se refusant toujours, soit à admettre ses raisons, soit à lui accorder l'exemption complète et définitive qu'il revendiquait. Dans un arrêt du 27 novembre, Turgot trancha de même la difficulté. Ne voulant pas sans doute s'attirer inutilement l'inimitié du clergé déjà inquiet de son avénement, il consentit à maintenir l'exemption du droit de franc-fief aux ecclésiastiques roturiers, en la limitant aux biens nobles dépendants de leurs bénéfices et à leurs biens patrimoniaux. A l'égard des fiefs, terres et autres héritages qu'ils avaient acquis ou pourraient acquérir à l'avenir, il déclara qu'ils seraient astreints au droit de franc-fief (1). Les maisons abbatiales, prieurales et canoniales, et tous les autres

(1) Eur. de T. Ed. Daire, II, 395; 27 nov.

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