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l'administration qui les emploie, et qui devient odieuse au peuple. par les soins mêmes qu'elle prend pour le secourir.

» De plus, quand le gouvernement fait ce commerce, il le fait seul, personne n'osant entrer en concurrence avec lui; et comme il y consacre des sommes immenses, il y fait des pertes inévitables. Ces pertes se traduisent par une augmentation d'impôt qui pèse surtout sur les plus malheureux. Enfin, si les opérations du gouvernement sont mal combinées, le peuple, dénué des ressources du commerce et réduit à l'inaction, reste abandonné à toutes les horreurs de la famine. >> L'arrêt fut signé en Conseil le 13 septembre, avons-nous dit. Cependant, il fallut, le 2 novembre, l'appuyer de lettres-patentes qui le rendissent exécutoire. Le Parlement ne les enregistra que le 19 décembre. Tous ces retards prouvent combien cette mesure, d'une sagesse et d'une justice pourtant inattaquables, souleva de sourde opposition. Le secret de ces résistances est aisé à deviner. L'arrêt du 13 septembre portait un coup terrible aux accapareurs, aux monopoleurs et à leurs tristes complices. Cependant Turgot ne mit pas fin au pacte de famine, comme parait le croire M. H. Martin (1) et comme le crut sans doute Turgot lui-même. En 1787 existait une compagnie pour les blés dont un nommé Pinet était le trésorier. La Révolution seule mit fin à cet abus comme à tant d'autres (2).

L'article I de l'arrêt établissait la libre circulation des blés dans l'intérieur du royaume ().

L'article II défendait aux juges de police et autres officiers publics ou seigneuriaux de gêner en rien cette liberté.

Par l'article III, le roi déclarait qu'à l'avenir il ne serait fait aucun achat de grains ni de farines pour son compte.

L'article IV, enfin, autorisait la libre importation des blés dans le royaume, mais ajournait la liberté d'exportation. Les grains importés seuls pouvaient être réexportés sans entrave, s'ils n'avaient point trouvé d'acheteur.

Il est bon d'insister sur ce dernier point, car les ennemis de Turgot, peu soucieux de la vérité, l'accusèrent plus tard d'avoir rendu l'exportation entièrement libre. C'est l'importation seulement qu'il permettait. Mais sur ce point, comme le dit très bien M. Batbie, l'économiste allait plus loin que l'administrateur. Théoriquement Turgot était libre-échangiste, comme nous dirions aujourd'hui. Il n'osait l'être dans la pratique (*).

(1) H. Martin, Hist. de Fr., XVI, 332.

Ch. Louandre; Monteil, Hist. fin., 287, note. (3) Cependant les banalités ne furent point supprimées. C'est que Turgot, dit Condorcet, n'avait voulu, ni detruire, sans aucun dédommagement, un droit fondé sur une possession longtemps reconnue, quelquefois même sur une convention libre, ni faire racheter au peuple à un trop haut prix ce même droit qui

n'aurait aucune valeur, si la fraude appuyée par la force n'avait su lui en creer une. » (Cond., Vie de T., 77.)

(4) Dupont de Nemours (II, 11) remarque que cet arrêt était conforme même aux doctrines de ceux qui l'ont attaqué. Le principal chef du parti adverse, l'abbé Galiani, etait partisan de la liberte du commerce intérieur; il no s'opposait qu'à la liberté d'exportation.

Michelet a décrit avec la poésie qui lui est habituelle et la justesse qu'il rencontre souvent, l'effet produit en France par l'acte mémorable du 13 septembre : « Il y avait en France un misérable prisonnier, le blé, qu'on forçait de pourrir au lieu même où il était né. Chaque pays tenait son blé captif. Les greniers de la Beauce pouvaient crever de grains; on ne les ouvrait pas aux voisins affamés. Chaque province, séparée des autres, était comme un sépulcre pour la culture découragée. On criait là-dessus depuis cent ans. Récemment on avait tenté d'abattre ces barrières, mais le peuple ignorant des localités y tenait. Plus la production semblait faible, plus le peuple avait peur de voir partir son blé. Ces paniques faisaient des émeutes. Pour relever l'agriculture par la circulation des grains, leur libre vente, il fallait un gouvernement fort, hardi. Turgot entrant au ministère, se mettant à sa table, à l'instant prépare et écrit l'admirable ordonnance de septembre, noble, claire, éloquente. C'est la Marseillaise du blé. Donnée précisément la veille des semailles, elle disait à peu près: «Semez, vous êtes sûr de vendre. Désormais vous » vendrez partout, » mot magique dont la terre frémit. La charrue prit l'essor, et les boeufs semblaient réveillés (1). »

L'arrêt du 13 septembre fut accueilli par le public avec de vifs témoignages de joie et de reconnaissance. On y vit un premier coup porté à l'avidité du fisc. Dans un Discours d'Henri IV à Louis XVI, que publia le Mercure, se trouvaient ces deux vers:

A peine au trône assis que ta prompte justice,

Des avides traitants réprime l'avarice.

Et pour que personne ne se méprît sur l'allusion, une note au bas de la page ajoutait : « Le premier édit de Louis XVI concernant les grains (2). »

Un avocat au Parlement avait publié dans ce même Mercure quelques rimes dont la bonne intention fera excuser la médiocrité.

Par le pouvoir de tes arrêts,
D'un jeune roi qui respire la gloire
Et le bonheur de ses sujets,

Tu remplis donc, Turgot, les généreux projets!
Poursuis! Je vois déjà les filles de Mémoire

T'inscrire dans leur temple à côté de Sulli;
Permets qu'un citoyen, des grands hommes ami,
Vienne, en ce règne heureux, célébrer ta victoire :
Depuis le siècle de Henri

Cette place vaquait... T'y voilà, Dieu merci (3)!

La Correspondance Métra s'exprimait en ces termes : « L'édit que

(1) Michelet, Hist. Fr.: Louis XVI, 206-207. (2) Merc. Fr., janv. 1775.

(3) Merc. Fr., oct. 1774. fait de garder l'anonyme.

L'avocat a bien

M. Turgot a fait rendre sur la liberté du commerce des grains dans l'intérieur du royaume, et dont il est lui-même le rédacteur, a fait une sensation qui n'a encore rien perdu de sa force (9 novembre). Aucun ministre, sans en excepter les Sully, les Colbert, les d'Argenson, n'a fait parler à nos maîtres un langage plus noble et plus doux. C'est vraiment le ton d'un père qui fait part à ses enfants des mesures qu'il a prises pour assurer leur bien-être, et qui désire que leur soumission soit aussi éclairée que volontaire. Enfin, la nation a lu avec transport dans cet édit les mots de propriété et de liberté; termes retranchés depuis longtemps du dictionnaire de nos rois... (1) »

Baudeau écrivait dans son journal, le 21: « Il paraît enfin, l'arrêt du Conseil qui donne la liberté du commerce des grains dans l'intérieur, sans rien statuer sur la vente à l'étranger, qui serait un épouvantail à chenevière pour le peuple (c'est-à-dire une sorte de mannequin à éloigner les oiseaux). Cet arrêt est très bien fait; il est reçu par le public avec beaucoup d'applaudissements. Les ennemis du bon Turgot sont un peu sots de la tournure de cet arrêt, et de la sagesse des principes qu'il explique de la manière la plus claire. On n'y a point réservé les règlements de la ville et police de Paris; au contraire ils sont formellement abrogés; et c'est un coup de partie (acte décisif, coup qui décide de la partie). Paris sacrifiait tout le royaume à son approvisionnement prétendu, c'est-à-dire, dans le fait, aux droits des officiers de la Halle, car le mot approvisionnement n'était que le prétexte (2). »

Et le 22: « Il n'est question que de l'arrêt du Conseil sur les blés. Les deux extrémités du peuple ne l'entendent point, savoir: les gens de la cour et du premier étage de la ville, et ceux de la basse populace. J'ai remarqué depuis longtemps entre ces deux extrêmes une grande conformité de penchants et d'opinions. Il ne se trouve de lumières et de vertus que dans l'état mitoyen (la bourgeoisie). Un bon gouvernement et une bonne instruction qui en est la suite tendent à retrancher de plus en plus à ces extrêmes et à grossir la classe mitoyenne. C'est en quoi je trouve qu'ils font beaucoup de bien. Au reste, je crois que M. Turgot a bien pris ses mesures pour empêcher sa loi de manquer son effet (3).

«

Laharpe, dans sa Correspondance, commenta avec éloges l'édit de la liberté du commerce des grains. Mais ce fut Voltaire qui, dans l'expression de sa joie, trouva les mots les plus heureux.

« Je viens de lire, écrivit-il à d'Alembert, le chef-d'œuvre de M. Turgot... Il me semble que voilà de nouveaux cieux et une nouvelle terre (*). »

(1) Corr. Métr., I, 108.

(2) Chr. sec., 414.

(3) Chr. secr., 414-415.

(4) Lettre du 30 sept. 1774.

«

Dans les villes de commerce, à Bordeaux au moins, l'arrêt fut reçu avec joie. Nous avons une lettre des directeurs du commerce de la province de Guienne remerciant Turgot de l'arrêt sur les blés. << [Les négociants], disaient-ils, vont reprendre avec plaisir une branche de commerce immense abandonnée avec peine pour se soustraire aux gênes et aux calomnies auxquelles ce négoce les mettait en butte; tous se feront un honneur et un mérite de répondre aux vues bienfaisantes de Votre Grandeur, en ramenant les grains aux prix moyens des royaumes et des provinces les mieux traitées dans leurs productions (1). » Bordeaux était donc partisan de la liberté du commerce des grains (2). Nous verrons que sur les vins il pensait alors autrement.

Pour achever de rassurer les provinces, Turgot défendit aux intendants de dresser des états des récoltes que l'abbé Terray leur avait demandés par sa circulaire du 9 septembre 1773. Il craignait de «< jeter l'alarme parmi le peuple, et d'augmenter son inquiétude naturelle par le motif de ces recherches qu'on ne parviendra jamais, disait-il, à lui faire envisager que comme contraires à ses intérêts. » Il estimait d'ailleurs qu'une opération « d'une si grande étendue et aussi compliquée dans les détails » ne pouvait jamais être exacte « par aucuns moyens, quelque dispendieux et multipliés qu'on les suppose » (3).

Une mesure complémentaire de l'arrêt sur les grains fut la suppression des sous pour livre. Un édit de novembre 1771 avait établi une taxe de huit sous pour livre sur les droits de péage, passage, travers (sorte de péage), barrage et autres droits de même nature. La circulation en était devenue plus difficile, plus onéreuse. A l'entrée des villes, des bourgs et même sur le chemin d'un village à un autre, il fallait payer, outre la taxe, ce supplément de taxe. Considérant que la plupart de ces droits étaient « d'un objet trop modique pour que les sous pour livre pussent être perçus toujours avec justice »; considérant en outre que tous ces droits « retombaient en grande partie sur la portion la plus pauvre » du royaume, Turgot obtint que le roi sacrifiât « à leur soulagement cette branche de ses revenus », et les sous pour livre furent supprimés (*).

Il fallait à chaque nouveau règne changer l'effigie des monnaies. Toutes les monnaies d'or et d'argent avaient été refondues en 1726. A l'avénement de Louis XVI, l'abbé Terray, entre autres mesures

(1) Chambre de commerce de Bordeaux, Lett. miss., 6 reg., Arch. département. de la Gironde.

(2) Voir cependant aux Pièces justificatives no 1, une lettre de Turgot à un négociant bordelais, M. de Bethmann, qui avait demande

l'établissement de primes d'encouragement pour le commerce des blés.

(3) Pièces just. no 2.

(4) Euv. de T. Ed. Daire, II, 389, 15 sept. 1774. V. aux Pièces just. n° 3 une circulaire de Turgot expliquant cet arrêt.

habiles propres à rétablir son crédit, «avait proposé de ne faire qu'insensiblement la refonte des monnaies... Ce qui ferait, disait-il, une économie considérable et empêcherait les funestes effets d'une secousse violente dans le commerce, par un changement d'espèces subit, toujours dangereux pour un grand État (1). » La proposition de Terray, adoptée en Conseil, avait fait l'objet de la déclaration du 23 mai 1774. Cependant cette même déclaration avait établi une innovation fâcheuse; elle avait ordonné que les empreintes des espèces d'or et d'argent seraient les mêmes. Turgot craignit que la ressemblance de ces empreintes pour des espèces différentes n'encourageât la fraude; il vit aussi une dépense inutile dans la fabrication de nouveaux poinçons de revers qu'il faudrait envoyer aux trente et un hôtels de monnaie du royaume. Il obtint donc une déclaration nouvelle qui réformait sur ce point la première. S'il ne dicta peut-être pas le texte de celle-ci, il en inspira tout au moins la rédaction. « Désirant nous épargner, en prévenant les délits, la nécessité de les punir, disait le roi, nous avons cru devoir rétablir, etc...; nous trouverons dans ce rétablissement les moyens de satisfaire les vues d'économie que nous nous proposons de porter dans toutes les parties de l'administration... (3). »

Dupont de Nemours mentionne et analyse, à la date du 25 septembre 1774, un arrêt concernant les domaines (3).

Le 13, Baudeau écrivait au sujet de cette affaire: « Il y a des gens à l'affût sur l'affaire des domaines du roi. C'est un patricotage (une intrigue) du petit Cochin () pour placer des créatures à lui et à l'abbé Terray, pour donner des croupes aux commis, aux catins et aux mercures. Tout ce monde-là craint pour ses intérêts. Auparavant (avant l'avénement de Turgot), toutes les provinces tremblaient, les seigneurs avaient peur d'être poursuivis pour leurs engagements (5).

Pour comprendre ce passage de Baudeau et toute l'affaire des domaines, il est bon d'entrer dans quelques explications. Elles nous sont amplement fournies par l'auteur des Mémoires sur Terray et par Dupont de Nemours.

Jadis, quand le roi voulait rentrer en possession de quelque domaine aliéné, l'usage était que les fermiers généraux s'en emparassent et en perçussent les droits. Par le dernier bail, Terray leur avait retiré cette partie, et avait établi dans chaque généralité une sous-ferme qui devait durer 30 ans, à partir du 1er janvier 1775. Les sous-fermiers (ces créatures de Terray et de Cochin dont parle

(1) Mém. sur Terr., 221.

(2) Rec. d'A. 1. fr., XXIII, 39-40, 18 sept. 1774. Cette declaration ne se trouve point dans les éditions des œuvres de Turgot.

(3) Cet arrêt ne se trouve pas dans l'éd. Daire. (4) Intendant des financés que Turgot renvoya. (V. ch. I précédent.)

(5) Chr. sec., 411.

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