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néceffairement à Gayac, lieu qu'aucun Archevêque & aucun Poëte, que je fache, n'a rendu célèbre, mais qui mériteroit de l'être par luimême. Situé au milieu des fuperbes plaines de l'Albigeois, fi ce n'eft pas une ville, c'eft au moins un des plus beaux bourgs de l'Europe. J'y arrivai au foleil couchant; des maifons bien bâties, des rues larges & propres, une place irrégulière, mais très grande & remplie de monde tout m'invita à me promener un inftant au fortir de la voiture. J'errois au hafard, & le hafard ne m'offroit par-tout qu'objets agréables. Cinq à fix voix jeunes, je n'oferai pas dire virginales, portèrent tout-à-coup à mes oreilles des accens pleins de douceur, & un air de la mélodie la plus fimple, mais la plus touchante. J'avançai vers les lieux d'où me venoient ces fons qui émouvoient & attiroient mon cœur. Je defcendois le long d'un chemin trèsJarge qui fuit les contours des remparts de Gayac, lorfque j'apperçus cinq à fix jeunes perfonnes affifes fur les pierres mêmes du rempart; elles filoient &elles chantoient, & les mouvemens de leurs fufeaux s'accordoient comme leurs voix. J'avois quelque peine à diftinguer les paroles, qui étoient, je crois, languedociennes; mais c'étoit une Romance en dialogue. Une de ces jeunes filles chantoit d'abord feule; elle fe plaignoit à fes compagnes d'avoir été abandonnée de fon amant. Abandonnée ! disɔient toutes les autres ensemble, cela doit être bien cruel! Ah! mes compagnes, n'aimons jamais. Eh! pourquoi vous a-t-il quittée? Que lui avez-vous fait ? Hélas! répondoit l'infortunée, je n'ai rien fait que de le trop aimer. Je lui pardonnerois fon infidélité, s'il m'étoit permis de mourir; mais ma mère ! ma pauvre mère a tant befoin de moi; voilà déjà trois ou quatre fois que je me fuis rendue fur le bord de l'étang & de la rivière: mais j'ai

toujours fongé à ma mère, & je n'ai pas ofé m'y jeter. Je n'ai pas retenu les vers languedociens, mais je vous en rapporte très-fidèlement le fens, mon ami; ces paroles, & l'amour malheureux n'en a peut-être pas de plus vraies, je les entendois dans un patois doux & naïf, qui ajoutoit encore beaucoup à la fimplicité & à l'effet de leur expreffion; elles defcendoient à moi d'un lieu très-élevé comme du ciel, & rien ne reffemble à un concert des Anges comme les voix de plufieurs jeunes filles qui s'accordent enfemble. Enfin c'étoient les premiers chants que j'entendois depuis plufieurs jours; l'air de la Romance n'étoit qu'une fuite d'accens plaintifs & gémiffans toute mon ame en fut émue; & fans chercher à me défendre d'une impreffion peu proportionnée à fon objet, la tête appuyée fur le mur du rempart, je laiffai couler les larmes dont mes yeux s'étoient remplis. Ah! fans doute, difois-je, ce n'eft pas fans deffein que la Nature a donné à la voix des femmes ces fons pénétrans qui ouvrent fi promptement la fource des larmes dans le cœur de l'homme. Dans nos cités, où les talens les plus heureux ne fervent guère qu'à la vanité, une femme chante, mais pour être applaudie; fa voix fe déchire en éclats douloureux, & l'hommage qu'elle veut, c'eft qu'on lui batte des mains. Ici, je n'ai pas même pensé que ces voix que je viens d'entendre chantoient bien; je n'ai fenti que les douleurs d'une amante abandonnée, & il me femble que ces fons fe font répandus dans les airs pour réveiller le remords & l'amour dans les cœurs prêts â être infidèles & inconftans.

Quand mes jeunes Albigeoifes eurent ceffé de chanter, je continuai ma promenade, & bientôt je fus frappé d'un bruit très-différent. C'étoit comme le bruit d'un torrent qui fe brife

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fur des rochers. Depuis dix à douze jours il n'avoit ceffé de pleuvoir, les eaux étoient débordées. En marchant vers le bruit, je découvris le Tarn, rivière que j'avois déjà vue & perdue plufieurs fois dans ma route. Feus peine à reconnoître une rivière & des eaux. Le Tarn, dans une grande partie de fon cours, roule fur des terres & des fables rouges. Lorfqu'il devient plus rapide, il détache dans fon cours ces fables & ces terres; il s'en remplit, il en prend toute la couleur: fes eaux alors ne font pas feulement rouffâtres, elles font rouges, & dans quelques endroits comme du fang. Elles avoient en ce moment cette couleur au pied du rempart de Gayac retenues par une chauffée très-haute & de 15 ou vingt toifes de largeur, elles tomboient avec fracas du lit fupérieur au lit inférieur, & s'engouffroient en bouillonnant. Je fus d'abord comme épouvanté; les derniers rayons du foleil couchant éclairoient à demi cette fcène. C'eft le moment où ces tableaux terribles de la Nature frappent davantage, parce: que dans cette obfcurité l'imagination y ajoute les fiens. La mienne crut voir un de ces fleuves de l'Enfer des Poëtes, qui roulent & bouillonnent entre le Tartare & l'Elifée. A l'autre bord: oppofé, des faules qui plongent leurs racines. ou leurs branches dans les eaux, des peupliers qu'aucun fouffle n'agitoit & qui s'élevoient tranquillement dans les airs, d'immenfes & vertes. prairies fur lefquelles des grouppes d'arbustes étoient répandas au hafard tout figuroit en effer à mes yeux & à mon imagination l'Elifée an delà du Styx. Plongé dans ce fpectacle, en quelque forte, & dans mes rêveries, je ne: pouvois plus quitter ces bords. A ces grandes impreffion qui remuent toute l'ame & qui la recueillent, vous favez, mon ami,. que.

Couvenirs de toutes les impreffions de la vie

fe réveillent en foute: tout ce que j'ai jamais fenti & penfé, les images des perfonnes que j'aime & de celles que je pleure, mes doutes mes terreurs & mes efpérances fur ce féjour de fupplices ou de délices éternelles, fur cette vie où l'on eft conduit par la mort, mais où la mort ne pénètre plus; ma vie prefque toute entière fe retraça à moi dans ce rapide inftant de profonde émotion, Je vécus, pour ainfi dire, une feconde fois. Les ombres de la nuit s'étendoient de toutes parts fur les cbjets qui étoient -devant moi; mais je les vis encore quelque temps, quoique ce ne fût plus par mes yeux. Bientôt le tableau s'effaça devant mon imagination comme devant mes regards; le bruit du Tarn tombant par la chauffée, entretenoit feulement encore les derniers mouvemens de mes rêveries. Je rentrai dans mon auberge, & je we fentis fatigué: mais cette fatigue, qui naît de nos émotions, eft bien différente de celles des jouiffances & des excès; elle est douce à l'ame, à qui elle rend un témoignage honorable d'elle-même. Il femble qu'on en foit meilleur, qu'on foit plus digne des bienfaits de la nature, lorfqu'on s'eft attendri devant les beautés.

Le lendemain j'arrivai de très-bonne heure à Toulouse. Cette ville eft affife dans l'immense & vafte plaine que forme l'écartement des dernières montagnes ou collines de l'Albigeois, & de la première chaîne des Pyrénées. Cette étendue de la plaine en multiplie les richeffes, & non pas les beautés : je defcendois des montagnes, j'y avois pris de l'orgueil, peut-être, & je jetai un coup d'oeil affez indifférent fur cette vallée, qui ne me parut qu'opulente. La ville y occupe un très grand efpace; mais elle n'est fi grande que pour faire voir, au premier coup d'oeil, qu'elle eft fort peu peuplée; en entrant

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dans fes rues je me crus encore dans le ftfence des campagnes. Toutes les maisons font bâties de brique: les premières que j'apperçus me plurent affez. Ce rouge vif de la brique lorfqu'elle eft neuve, & même fon rouge brun lorfque les pluies & le temps l'ont falie, forme d'abord un contrafte agréable aux yeux, avec les croifées, qui très-fouvent font vertes; mais, rien n'eft monotone & trifte comme toute une ville bâtie en briques; & rien n'eft plus colifichet, rien ne dégrade davantage la beauté des édifices, dont l'architecture a de la grandeur, & feroit impofante. Le palais de l'Archevêque auroit même de la majefté, s'il étoit en pierres de taille; mais ce petit coloris de la brique, fur un fi vafte édifice, le gâte & le déshonore. Nous fommes accoutumés à voir la pierre & le marbre dans les entrailles de la terre & fur fa furface, & lorfque nous les voyons enfuite dans les palais & dans les temples, l'ouvrage de l'homme & fa main fe cachent un peu fous ces belles productions de la Nature. Dans les villes bâties comme Toulouse, la main de l'homme fon pénible travail, fe montrent dans chaque feuillet de brique, & je vois trop ce qui lui en a couté pour fe loger. Jamais je n'ai mieux conçu que pour donner de la grandeur à ce qu'il fait, il faut que l'homme difparoiffe luimême dans fes ouvrages; les plus beaux font ceux où l'on ne voit pas l'ouvrier.

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On m'avoit beaucoup parlé de l'Hôtel de ville, & je me préfentai devant fa façade. Ce qui me frappa davantage, ce furent de longues & larges lettres en or, qui formoient cette infcription: CAPITOLIUM. Ce Capitole d'ailleurs n'a aucun rapport avec celui d'où partoient & les Légions qui foumettoient l'Univers, & les Ordres qui le uvernoient. C'est un affez petit édifice, de

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