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LA MÈRE ATTACHÉE,

ANECDOTE.

UN matin, avant d'aller au Collège, de Fillot fe préfente à la porte de fa mère, & attend qu'elle paroiffe. Dès que la Bonne eut ouvert, il fe précipite dans l'apparte→ ment, & va au lit de fa mère. Il fe jette dans fes bras fondant en larmes, & lui de mande, en fanglotant, fi elle ne l'aime plus A ce mot, fuffoquant pour Florife, elle fait un cri: Moi ne plus t'aimer !... Et elle lui prodigua en un inftant toutes les carelles fufpendues depuis deux mois. Mei ne plus t'aimer, répétoit cette tendre mère : Fillot! mon ami mon aîné, le foutien de ta mère l'image de ton père! tu m'es plus cher que ma vie !.... Mais, écoute-moi mon cher enfant... Tu es homme, ou du moins deftiné à l'être : il faut que tu commences à prendre de la confiftance, de la fermeté, de la gravité ; les careffes mignardes font au deffous de toi : je commence te confidérer comme un homme, comme le repréfentant de ton père: je t'aime autant, & même plus qu'autrefois; mais fi mon coeur et toujours le même, la démonftration doit changer. Elle t'eft plus honorable à préfent; elle marque, ô mon cher fils!

que tu n'es plus an enfant... Va t'inftruire mon fils: va, par la fcience & le mérite qu'elle donne, te préparer à être un jour la gloire & la confolation de ta tendre mère : Que fait-on? peut-être un jour, fi des malheurs arrivcient, n'aurois-je de reffource moi, & ces deux enfans, que dans le mérite & les talens de mon aîné! A ce mot, le jeune de Fillot, déjà pleinement raffuré par les careffes de fa mère, pouffa un cri de joie Laiffe-moi faire, maman! Ha! comme je vais étudier! - Mon ami, lui dit fa mère, je peux te tutoyer, mais il est trop enfantin que tu me tutoięs. Ma mère !... je vous honore, je vous révère.... & je ne vous tutoierai plus. Il partit férieux, en achevant ces mots, & de ce moment on vit cet aimable enfant prendre une gravité d'homme. Il ne la porta cependant pas à l'excès, & ce fut la mère qui l'en empêcha.

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Un jour qu'ils étoient feuls, le père dînant en ville, de Fillot demeuroit grave avec fon frère & fa foeur, qui jouoient & qui l'agaçoient quelquefois. Sa mère s'en apperçut : elle craignit qu'il ne donnât dans la roideur, & qu'il ne devint un de ces petits Catons infupportables, qu'on rencontre fi fouvent aujourd'hui dans la fociété. Mon fils lui dit-elle), les extrêmes font faciles, mais dangereux: tu fais combien tu m'es cher; je voudrois te faire éviter tous les écueils. Je tiens de mon parrain

qu'il ne faut pas dénaturer les âges, & que les actions, le rire, les paroles, tout enfin doit indiquer celui où l'on eft, tout eomme la taille & le vifage; fans quoi c'est se dé guifer, c'eft mentir. Chaque age a fon ama bilité dont il faut ufer: d'où vient une vieille femme, qui veut prendre le ton enfantin', eft-elle fi ridicule ? C'eft qu'elle fait contrafter fes manières avec fon phyfique : un Jeune homme trop férieux, qui veut affecter le raffis d'un homme de quarante ans, eft également ridicule, & cette eftampe ( lui montrant celle des Amusemens de l'En fance) offre une excellente leçon! ne voistu pas que ce petit garçon eft réellement déguifé avec la perruque de fon père; que cette jeune fille eft une véritable mafcarade avec les habits de fa mère ? Il en feroit de même de toi, avec des manières de quarante ans. Mon cher fils, joue quel quefois avec ton frère & ta fæur; joue avec tes camarades; mais fans cxcès, & en évitant ce qu'on nomme la poliçonnerie, qui ne convient à aucun âge: gradue ton air fur res années; & comme tu me parois très avancé, que j'espère que ton amitié pour moi te fera t'appliquer, fans pourtant te fatiguer trop, j'ai encore une autre leçon à te donner; ce fera, quand tu feras favant, à dix-huit & vingt ans, par exemple, de ne pas commencer par faire une Tragédie; car ce feroit un malheur pour toi que d'y réuflir; enfuite, de ne pas dé

cider, mais d'écouter modeftement les hommes plus âgés: fouvent un jeune homme faute d'écouter jufqu'au bout un vieillard croit qu'il fe trompe, l'interrompt indécemment, & l'empêche d'achever: s'il avoit attendu, il auroit vu que la propofition étoit fenfée: il fe prive ainfi d'inftruction, & demeure fuperficiel; mais, eût-il raifon, & le vieillard tort, il devroit, ou fe taire, ou propofer modeftement fon fentiment à une perfonne éclairée; car on n'a qu'une fcience indigefte avant trente & quelquefois quarante ans. Mon fils, éyitez le catonifme; ne jetez pas trop votre science au dehors; laiffez-la murir, fi vous voulez qu'elle produife des fruits folides. Tout ce que je vous dis là n'eft pas de moi je le tiens de M. de Fondmagne qui m'a fervi de père, & qui vous protégera

tous.

Florife achevoit à peine ces derniers mots que la porte d'un cabinet voifin s'ouvrit brufquement; ce furent M. de Fondmagne & M. de Fillot, qui en fortirent, & qui la prirent dans leurs bras: ils y réunirent le fils & la mère, en difant à celle-ci :Vous êtes le chef-d'œuvre de la maternité... Età l'autre; -Tu ne peux jamais rien entendre de plus fage, que ce que vient de te dire ta mère: va, heureux enfant; car tu l'as toujours été va où top devoir t'appelle : nous fommes fûrs de toi, c'est-à-dire que tu feras un fujet excellent; ta mère t'aiine

avec une vérité, une raifon, qui pénétrera toujours ton cœur, & qui le rendroit bon, s'il ne l'étoit pas naturellement.

Ils ne fe font pas trompés: de Fillot eft aujourd'hui un excellent fujet ! mais fidèle aux fages avis de fa tendre mère, il refte dans la modeftie: cependant il s'eft distingué dans une occafion.

On avoit propofé un prix pour l'action la plus vertueufe: Fillot aime beaucoup la vertu; mais il auroit été affez indifférent fur le prix, s'il n'avoit pas ardemment défiré de donner un moment d'ivreffe de joie à fa mère. Il réfléchir à faire une action, qui ne fortît pas du caractère de fon âge, & il eut le bonheur d'en trouver l'occafion. Il fut qu'une pauvre Ravaudenfe, chargée de huit enfans, avoit eu le malheur d'avoir la cuille caffée par un cabriolet qui s'étoit échappé, quoiqu'il parût appartenir à quelqu'un de grande diftinction. Fillot avoit un peu d'argent pour les menus plaisirs, & pour quelques achats de livres, qu'on laiffoit à fa difpofition (mais on le furveilloft): il vendit fes livres, ramaffa ce qu'il avoit, fe priva de tout abfolument, entre autres de fruit à fes déjeûners, quoiqu'il l'aimât paffionnément, & porta de deux jours l'un des fecours à la femme. Quand tout fut épuifé, le hafard lui fournit une épave qui le combla de joie. Il trouva un porte-feuille précieux. Il n'en parla pas; mais le lendemain, en allant au Collége, il entra dans

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