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SAINT-AGATHEe.

A une passion que vous ne soupçonnez pas vous autres les voluptueux, les heureux du monde! A une passion qui sèche toutes les autres... celle de la domination. Que pourrais-je, moi chétif, avec ma volonté individuelle? Je l'ai abdiquée pour épouser une volonté collective et la servir aveuglément. Pauvre et ignoré, que m'importe! J'immole mon esprit et ma chair à l'omnipotence de l'ordre, qui est mon assouvissement; et, quand on me portera en terre après une vie d'obscurité et de privations, le monde ne se doutera pas que ce cadavre sans nom, a fait des orgies de pouvoir, qu'il a senti pas ser dans ses os les plus âcres voluptés du despotisme! » 1).

On croirait entendre Aramis, l'ancien mousquetaire; seulement le style de Dumas était plus truculent.

Et Saint-Agathe se montre tour à tour d'une immoralité grossière sur l'idée de famille, très coulant sur les équipées de son élève, hier élevé en serre chaude, aujourd'hui jetant sa gourme, dès que ces folies peuvent servir sa cause; prêt à le pousser dans le duel, prêt à employer pour perdre Champlion les moyens les plus infâmes, calomniant ou médisant à pleine bouche, toujours calme dans le mal; le faisant à froid avec un cynisme onctueux et dévot.

<< Aveugle et ingrat! poursuit Saint-Agathe. Qui dispute le terrain pied à pied? qui est depuis trois cents

(1) Acte IV, sc. 7.

ans l'âme et le nerf de la résistance? qui soutient dans leurs défaillances les dépositaires mêmes de l'immuable vérité? qui leur impose l'obstination et l'énergie dans leur lutte contre les idées nouvelles? est-ce vous?

D'ESTRIGAUD. En effet, tenir le progrès en échec, être le génie de l'immobilité, cela ne manque pas de grandeur..... dans son genre..... Sur ma parole, si je n'étais d'Estrigaud....

SAINT-AGATHE. Vous voudriez être Saint-Agathe?

Cela rappelle Tartufe, s'écrie-t-on. Oui, de loin; mais surtout Ponson du Terrail et Eugène Sue. C'est le même romanesque, moins amusant.

Grand art, haute comédie, ajoute-t-on. Mais le grand art peut-il se rencontrer avec l'invraisemblance absolue? Une société où l'on entre avec la certitude d'y vivre anonyme, sacrifié complètement au bien public, heureux et fier d'être la pierre ignorée du grand édifice, ne s'inquiétant ni de son repos, ni de ses plaisirs, ni de sa gloriole, mais voyant toujours uniquement, obstinément la gloire du corps, Augier s'imagine que cela se rencontre. Pareille conception se supporterait encore peut-être en prose historique ou dans un discours. parlementaire. Mais qui n'en voit la fausseté radicale, quand on la jette toute vivante en un drame et accentuée par la perspective théâtrale? Aussi la comédie d'Emile Augier ne se joue plus. Elle est, déclare M. Lanson, d'une « violence ingénue ». Augier, si habile à peindre « les coquins, les demi-coquins, les honnêtes gens entamés, tout ce qui a tare ou vice, jusqu'à

l'égoïsme inconscient et la veulerie pernicieuse »>, a échoué quand il a voulu nous montrer « l'effrayante politique des Jésuites» et leur fantastique agent SaintAgathe.

Une fois de plus, il est prouvé que la première condition pour avoir la beauté, c'est de chercher le vrai. Augier lui-même a reconnu plus tard qu'il avait dépassé la mesure, et s'est opposé à la reprise d'une pièce qui était une œuvre d'injustice et de lutte (1).

Le monde ecclésiastique a largement défrayé la littérature de fiction au XIXe siècle, drames et romans. A une époque où le romanesque et le romantique faisaient place à une conception d'art nouvelle, où l'on professait de traduire du mieux qu'on pouvait les mœurs contemporaines, le clergé devait-il espérer qu'un reste de respect pour les choses saintes le préserverait de ces études indiscrètes? Dans ces peintures plus ou moins hostiles ou moqueuses, les Jésuites ont eu leur part. Plus d'un vertueux auteur s'est fait un devoir social de venir, lui, centième, dévoiler les intrigues de l'incorrigible Société. Ai-je besoin de dire que, neuf fois sur dix, ces peintures anticléricales sont fidèles... exactement comme le serait celle du Jockey-Club, de son monde et de sa vie, par un vicaire de campagne?

(1) Les éloges sont de M. Morillot. E. Augier, p. 118; voir Lanson, Histoire de la littérature française, p. 1051. Doumic, dans Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française, t. VIII, p. 126. Longhaye, Types cléricaux dans le drame et le roman moderne. (Eludes religieuses, 1870, t. I, p. 345).

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Emile Augier n'est pas une exception; et voici qui est étrange. A une époque encore où la grande loi littéraire est l'exactitude scientifique; où les romanciers composent sur fiches tout comme le plus consciencieux des érudits, il est une catégorie de sujets pour lesquels on s'affranchit de ces scrupules. On se considérerait comme coupable de lèse-public de décrire les mœurs d'une. usine sans avoir été l'observer de près. S'il s'agit de presbytères et de couvents, on s'en tient aux premiers bruits venus et à une observation de pure surface. Et les critiques, aussi bien renseignés que les auteurs, ne manqueront pas de dire en parlant de l'œuvre nouvelle : « C'est étincelant de vérité ».

Et j'ose ajouter que c'est pis encore, quand l'auteur, ayant traversé les milieux cléricaux ou religieux et jeté sa foi aux orties, en vient à exploiter ses souvenirs de jeunesse. Le roman conserve une certaine fidélité de décor. Le profane, en lisant, a l'impression que « c'est vécu » et qu'il est en pleine réalité. Mais cette impression, le public l'avait aussi quand les romantiques prétendaient faire de la couleur locale, et quel spectateur de Ruy Blas ou de Henri III ne s'est pas écrié : << Comme c'est cela!» Malheureusement, les archéologues et ceux qui « sont vraiment du pays et de la maison », sont venus; du premier coup, passant pardessus l'exactitude illusoire du langage et des manies, des costumes et du mobilier, ils cherchent l'âme et ne la trouvent point, et c'est plus qu'il n'en faut pour déclarer l'œuvre fausse, radicalement fausse. J'ai dans la pensée les Scènes de la vie cléricale de Ferdinand.

Fabre. Libre à ceux du dehors d'y voir des modèles de convenance, de courage, de vertu, de sincérité professionnelle, que sais-je encore? Le prêtre qui le lit en est plus offensé que d'une grosse calomnie de la Lanterne ou de l'Action. On l'a dépeint par ce qui ne lui est qu'accessoire on a vu dans sa vie exclusivement le petit côté, l'élément humain, hélas! indestructible. Mais le côté divin, transfigurant, le seul qui soit d'une vérité totale, où est-il (1)?

Ces quelques remarques me dispenseront de parler de telles et telles œuvres assez récentes auxquelles j'entends bien ne faire aucune réclame. Les auteurs ont cru pouvoir battre monnaie ou se faire un succès littéraire avec leurs souvenirs. A Dieu de les juger. Un mot suffit. De la vie religieuse ou sacerdotale, ou de la vie d'éducateur, ils ont tout conservé... excepté l'âme; et leur peinture ressemble aux réalités, comme à un corps vivant un cadavre d'hier.

IV

Les deux dernières crises d'antijésuitisme en France, 1879-80, 1900-1901, se rattachent à l'histoire de l'article 7 et de la loi des Associations. Comme en Alle

(1) M. Ferdinand Fabre a quelque part mis en scène des Jésuites (Petite Mère). Mais rien de bien neuf. C'est toujours l'intrigue et l'omnipotence dans les milieux romains.

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