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II

Je ne parle pas, bien entendu, des romans-feuilletons. Le Jésuite intrigant, conspirateur, chef de société secrète, restait trop utile aux industriels littéraires pour que, au nom de je ne sais quelle conscience historique, on se privât de ses services. Le Jésuite d'Alexandre Dumas est moins odieux, beaucoup plus drôle, mais tout aussi vrai que celui du Juif errant. C'est dans le Vicomte de Bragelonne (1849-1850) qu'on voit Aramis, l'Aramis des Trois Mousquetaires, devenir évêque de Vannes, puis général des Jésuites. « Il fallait au Dieu de justice et de prévoyance un instrument aigu, persévérant, convaincu... Cet instrument, c'est moi. J'ai l'acuité, j'ai la persévérance, je gouverne un peuple mystérieux qui a pris pour devise la devise de Dieu : « Patiens quia æternus... Vous ne saviez pas traiter avec un roi? Oh! Monseigneur, roi d'un peuple bien humble, roi d'un peuple bien deshérité : humble parce qu'il n'a de force qu'en rampant; deshérité parce que jamais, presque jamais en ce monde, mon peuple ne récolte les moissons qu'il sème, et ne mange le fruit qu'il cultive. Il travaille pour une abstraction, il agglomère toutes les molécules de sa puissance pour en former un homme, et à cet homme, avec le produit de ses gouttes de sueur, il compose un nuage dont le génie de cet homme doit à son tour faire une auréole, dorée

aux rayons de toutes les couronnes de la chrétienté » (1). Pour donner une idée des œuvres ténébreuses de ces Jésuites là, disons seulement qu'Aramis parvient à jeter Louis XIV, l'authentique Louis XIV, à la Bastille, pour le remplacer par son frère jumeau, une créature des Jésuites. Et voilà expliquée la puissance des confesseurs du grand roi.

Après cela, je pense, il est inutile de parler de Ponson du Terrail, de l'auteur des Mémoires de Cartouche et autres fabricants de romans populaires. Signalons pour mémoire l'abbé Michon, auteur du Maudit et de la Religieuse. Dans son Jésuite, il raconte les confessions d'un religieux repentant. Ce Père a voulu réformer son Ordre on l'a jeté dans un in pace, d'où il a été sauvé par un Carbonaro.

Mais, paulo majora. Emile Augier, le grand comique du second Empire, en voulait aux cléricaux, gens sans conviction, intrigants, effrontés, dévots par tradition de caste ou nécessité de situation, menant de front les bonnes œuvres et des passions qui n'ont rien d'angélique. De là sortit, en 1862, le Fils de Giboyer. Louis Veuillot et Mme Swetchine, sans parler du protestant Guizot, défilaient dans cette édifiante peinture d'un monde que l'auteur ne connaissait que de fort loin. En 1869, il éprouva le besoin de revenir à la charge. Cette fois, il s'en prenait aux Jésuites, et il écrivit Lions et Renards (2).

(1) Edition Calmann-Lévy, in-12, t. V. p. 269.

(2) Bérenger disait : « moitié renards, moitié loups »; et Michelet, en 1832: « l'esprit indépendant de l'Irlande, ce sont les Jésuites qui l'on fait apôtres et conspirateurs, ils se montrèrent lions et renards »

Comme beaucoup de gens d'esprit, Augier est persuadé qu'il y a deux catégories de Jésuites; les uns bien visibles et bien affichés, citoyens en soutane qui confessent, prêchent, écrivent et signent leurs livres, et les autres, affiliés, tertiaires, Jésuites en robe courte, société occulte qu'on ne voit nulle part et qui est-partout.

Ecoutons ce bout de dialogue entre le vieux SaintAgathe et sa digne sœur, Mme Hélier.

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MADAME HÉLIer. «Eh bien, je vous dis que vous êtes de robe courte et qu'en tout ceci vous obéissez à des ordres supérieurs.

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(cité dans l'Ami de la Religion, t. LXXX, p. 210, et dans le Monopole Universitaire, p. 84). La rencontre d'expression paraît être fortuite. Pour Augier, les Jésuites sont les renards; les lions, ce sont leurs adversaires.

Mais la comparaison a peut-être une origine allemande. Les pamphlétaires d'Outre-Rhin aiment à citer la prophétie suivante, faite, disent-ils, par saint François de Borgia mourant : « Nous nous sommes glissés comme des agneaux; nous gouvernerons comme des loups, nous serons chassés comme des chiens, nous nous rajeunirons comme l'aigle ». Ou encore, « chassés comme des loups, nous reviendrons comme des renards ». Bien entendu, ni dans les lettres, ni dans les biographies du Saint, on ne trouve rien de semblable, et c'est au XVIIIe siècle seulement que l'oracle est appliqué aux Jésuites. Il parait remonter beaucoup plus haut qu'eux. Au xive siècle, on le mettait sur les lèvres de Célestin V, parlant de son successeur, Boniface VIII : Intrabit ut vulpes, regnabit ut leo, morietur ut canis. Selon un procédé que nous avons déjà signalé à propos de la pseudo-prophétie de sainte Hildegarde, on a appliqué aux Jésuites de faux oracles, qui, avant eux, avaient déjà servi à en décrier d'autres. B. Duhr, op. cit., 884-893.

les laïques comme vous, affiliés comme vous... à ces

messieurs.

SAINT-AGATHE.

Décidément, il y en a donc encore?

Vous le croyez?

MADAME HELIER. Et vous? (1) ».

De quoi s'agit-il donc? D'une chose bien simple. Catherine de Birague, orpheline, riche à millions est en âge de se marier. Les Jésuites maison-mère à Uzès ont flairé l'affaire. Il faut accaparer la fortune et pour cela faire épouser l'intéressante millionnaire à un de leurs élèves.

Belle occasion de montrer, d'après Michelet, les fruits de l'éducation cléricale. Comme toujours, c'est avant tout l'efféminement des caractères par la bigoterie et les petites pratiques. Faire ignorer la vie réelle, enfermer l'enfant dans le cercle d'une vie artificielle; fausser la droiture native des âmes en enseignant l'art des réserves mentales, les petites trahisons et menues intrigues. Ne pas élargir l'horizon au delà des vêpres ou des dévotions; par conséquent, livrer les jeunes gens à la vie, lorsque vient pour eux l'heure d'y entrer, désarmés, vaincus d'avance. Et alors que se passe-t-il? Ou bien l'on n'a dans le monde que de pieux niais; ou bien ces « anciens élèves » restent instruments dociles et inconscients de leurs maitres, pitoyables marionnettes dont les habiles sournois tirent les ficelles; ou enfin, ils se déniaisent tout d'un coup, et

(1) Acte I, sc. VI.

alors malheur aux maîtres dont ils rejettent les leçons. A cette dernière catégorie appartient le petit vicomte Adhémar.

Voici maintenant les maîtres.

De Jésuite avoué, il n'y en a pas dans la pièce. L'abbé Poirel ne sort pas de la coulisse. Mais il y a le Jésuite de robe courte, Saint-Agathe. C'est Rodin et Tartufe. De l'un, il a les phrases mielleuses et dévotes; de l'autre, le cynisme et l'enthousiasme dans l'intrigue.

Voyons-le en tête à tête avec le baron d'Estrigaud, gentilhomme taré, duelliste, et, lui aussi, intrigant. Il est en train de lui prouver qu'il le tient, qu'il sait de première main sur son compte une foule de choses compromettantes. Donc il ne lui reste plus qu'un parti, travailler pour lui, Saint-Agathe.

SAINT-AGATHE.« (Votre raisonnement) pèche par un point qui vous échappe : c'est que mes commettants sont personnellement d'un désintéressement absolu. L'argent pour eux n'est qu'un moyen d'action; qu'il soit dans leurs mains ou dans celles de leurs créatures, peu leur importe; et ils n'auront garde de troquer une force de neuf millions contre une force de huit cent mille francs. D'ESTRIGAUD. Même s'il y avait cent mille francs

pour vous?

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SAINT-AGATHE.A quoi me serviraient-ils? Regardezmoi donc! Ne devinez-vous pas que j'ai dû m'habituer de longue main au mépris de tout ce qui est de faste et de sensualité?

D'ESTRIGAUD.

Expliquez-vous donc à votre tour, car du diable si je devine à quel mobile vous obéissez!

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