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Cette horreur, sous des plumes un peu lyriqués, ruisselle parfois en métaphores apocalyptiques et cocasses. «O spectre moitié visible, moitié caché, noir comme la nuit, maculé de sang, mystérieux, fuyant les regards, insaisissable, macabre, rusé, glacial! c'est toi qui tiens l'autorité et le sceptre du Pape, Compagnie de Jésus, bande de Satan, - sa vraie milice, sa main en chair et en os, son cœur plein de mensonges, son esprit insidieux. Elle en a la forme de serpent, qui se replie en anneaux, et la dent et l'œil étincelant. Glisse-toi, sournoisement, dans les palais et les sanctuaires, installe-toi dans les confessionnaux, creuse tes souterrains. Complots, machinations, feintes, dissimulations, calomnies, mensonges. Un jour le Ciel t'arrachera à l'ombre et te tirera en pleine lumière, et de sa main puissante, dans une sainte colère. infâme serpent, il te précipitera dans le feu éternel!» (1).

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Ce lyrisme n'est pas du xvie siècle, comme on pourrait le croire, il est du plein xix. Voici qui est un peu plus ancien et d'origine allemande : « Les Jésuites sont la garde des bandits du Pape, les rejetons de la ciguë, et des champignons tue-mouches, le ténia de l'abjection, les vampires des états, les bourreaux de la sainte raison, l'inceste de la charité chrétienne, les porcs assis à la table de Dieu, les abcès du corps social, le ver qui ronge la charpente du corps de l'édifice social, le fumier sur

(1) The City of the seven hills, par H. Grattan Guinness. D. D., ch. V, cité dans le Month, 1895, nov. et déc. Protestant fictions par J. Britten.

le champ du mensonge et de la calomnie, le feu follet sur les marécages de la superstition, les taupes et les orvets à la lumière du jour, le manche à balai des sorciers, les avocats de l'enfer, les fossoyeurs de la félicité humaine, les chevaliers des ténèbres. les chiens galeux à la chasse du bonheur, bref... l'assa fœtida de l'humanité » (1).

V

Ce style, ces métaphores, ces inventions calomnieuses, ces légendes inventées à plaisir et acceptées de confiance, tout cela est-il bien de notre âge? Ne croirait-on pas, en les lisant, avoir dans les mains, non pas un journal de Londres ou de Berlin, mais quelque in-folio de Chemnitz et d'Hospinianus? En fait d'antijésuitisme, depuis trois siècles, la mentalité protestante ne paraît pas avoir beaucoup changé.

Les procédés ont-ils changé davantage, quand, des attaques en paroles, on a voulu en venir aux faits? Evidemment nous n'en sommes plus au temps des martyres légaux. La tour de Londres est devenue un musée inoffensif; Tyburn, soigneusement débaptisé, n'est plus qu'un carrefour quelconque; Bismarck n'a jamais songé à faire éventrer, enfourcher, empoisonner les Jésuites comme c'était assez la coutume chez les Allemands et

(1) Oberamts Intelligenzblatt, d'Aale, 1839, cité par Kannengieser, Le réveil d'un peuple, p. 252.

les Suédois d'il y a deux cents ans. L'exil suffit, et le XIXe siècle a été pour les Jésuites le siècle des exils. Mais si le dénouement de ces drames périodiques est moins sanglant, la façon dont la comédie se noue et se dénoue est toujours la même et le grand ressort est toujours la calomnie.

Qu'on parcoure la série déjà longue de ces expulsions arbitraires parfois ce ne fut qu'un simple coup de force ne cherchant même pas à s'abriter derrière un semblant de raison; ainsi le gouvernement espagnol en 1835. Mais souvent aussi la sentence avait ses considérants. Quand en 1850, la Nouvelle Grenade, après avoir préalablement chassé les Jésuites, laissa aux autres religieux une certaine liberté, elle excepta ceux dont la règle immorale «< avait pour base le secret des agissements, la délation mutuelle et l'obéissance passive ». C'était assez clairement désigner les Jésuites, mais les Jésuites de Michelet. En 1873, au Mexique, les Juaristes expulsent les Jésuites pour conspiration : la conspiration avait consisté à faire quelques cours de théologie au grand séminaire. En 1881, on les chasse du Nicaragua: et, pour se justifier, on inventa qu'ils avaient fomenté une révolte d'Indiens. Lors de la guerre entre Equateur et Pérou, les francs-maçons de Lima accusaient les missonnaires du Napo d'exploiter les sables aurifères au profit du gouvernement de Quito; et le gouvernement de Quito les dénonçait comme favorables aux Péruviens et barrant les frontières aux troupes équatoriales. Résultat les bagarres de Riobamba en 1895, le pillage du collège et le meurtre du recteur, Père Moscoso, pris,

dirent les assassins, en flagrant délit de conspiration. La plus retentissante de ces campagnes de calomnies fut celle qui prépara le Kulturkampf allemand. Nous ne pouvons songer à en esquisser ici l'histoire. Disons seulement que, dans ses grandes lignes, elle ressemble étrangement à d'autres persécutions plus récentes dont nous avons été les témoins (1).

Suivant l'invariable tradition, l'antijésuitisme des. chefs allemands fut une tactique, rien de plus. Par delà les Jésuites, on visait haut et loin. Ce qu'on voulait en Prusse, c'était l'unification absolue de l'Allemagne. Or, la Prusse, on ne s'en cachait pas, c'était le protestantisme. Mais un tiers de l'Allemagne restait catholique, donc, les intéressés le disaient, irréductible à l'unité nationale. A toute force, il fallait faire cesser l'anomalie; et si l'on ne pouvait protestantiser les pays catholiques, à tout le moins on devait les germaniser, donc les « déromaniser » dans la mesure du possible. Le grand tort du catholicisme n'a-t-il pas toujours été de rester obstinément romain? Romain, c'est-à-dire étranger. Or, de temps immémorial, l'ultramontanisme avait eu les religieux pour tenants, et, entre tous les religieux, y en avait-il de plus ultramontains que les Jésuites?

Dès lors la marche à suivre s'imposait, frapper les Jésuites, puis les religieux, puis le reste des catholiques s'ils s'entêtaient dans un romanisme antigermanique et antinational.

(1) Sur le Kulturkampf voir entr'autres, Majunke Geschichte des Kulturkampfes in Preussen, Paderborn, 1902; Brück, Geschichte der Katholischen Kirche Deutschlands im 19 Jahrhundert, Mainz, 1888.

Pendant dix ans, une campagne de presse prépara les voies. Comme toujours on essaya de donner le change. On en voulait aux seules congrégations : encore ne s'agissait-il que de régler leur situation légale on croirait entendre Waldeck-Rousseau. On leur donnerait le droit d'exister mais à de certaines conditions et en de certaines limites. Pour eux, les Jésuites étaient exclus absolument et sans recours. Pour une large part, ils faisaient les frais de la polémique. Donc, si le pays allemand est scindé en deux castes étrangères l'une à l'autre, catholiques et protestants, à qui la faute? aux Jésuites. Qui essaie d'accentuer cette scission et de la rendre irrémédiable? les Jésuites. Quel est l'esprit qui, à cette heure, asservit les catholiques du monde entier et menace jusqu'à l'Eglise évangélique? l'esprit jésuitique. Une revue catholique se fonde, que veut-elle ? détruire l'Allemagne, et elle est l'œuvre des Jésuites «< roués et sacrés ». A la grande assemblée de Worms, 31 mai 1869, au pied du monument de Luther, ce que l'on signale à l'attention des protestants comme cause de toutes les divisions, ce sont les ennemis de la réforme et de la liberté, les Jésuites. Si quelque part, pour un prétexte futile, une émeute éclate, qui paiera pour tout le monde? le vitres du collège des Jésuites (1).

La guerre franco-allemande suspendit pour une

(1) Allusion à l'affaire des Carmélites de Cracovie. Ces religieuses n'ayant pu se résigner à envoyer dans une maison de santé l'une d'entre elles, atteinte de folie, durent cependant, pour prévenir des accidents, murer et griller une fenêtre. D'où la légende d'une religieuse murée vive par les Jésuites.

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