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scrupuleuse du Père de Ribas, dominicain, que les Jésuites avaient l'audace de mettre en doute (1).

IV

Donc en 1669, en pleine paix clémentine, la Morale pratique parut; anonyme bien entendu, mais qui pouvait hésiter sur la provenance? Le nom de l'auteur importait peu, certainement le livre sortait de PortRoyal. Aujourd'hui nous sommes renseignés; le compilateur était un fervent solitaire, l'abbé de Pontchâteau, un « des grands convertis du siècle, un homme d'une humilité extrême, à qui l'on attribuait des miracles »>, mais aussi « d'une intolérance naïve et grossière. >> Sainte-Beuve, dans le portrait qu'il nous en fait, a soin d'insister fort peu sur sa collaboration à la Morale pratique un mot, et c'est tout. Il est vrai qu'il a dans le texte une note qui peut suffire : « C'était un homme instruit; mais qu'il me soit permis d'ajouter qu'on n'en vit jamais de moins éclairé entendez-le dans le sens que vous voudrez depuis le sens où l'entend Nicole, jusqu'à celui où Bayle le prendrait » (2). Façon discrète de nous dire qu'il n'avait, mais à aucun degré, ni le sens psychologique ni le sens critique.

Les Jésuites se turent. Ils savaient que le roi voulait

(1) OEuvres d'Arnauld, t. XXXII, p. ij, 469, 483, etc. etc. Huylenbroucq, Vindicationes alternæ, ch. II.

(2) Tome IV, p. 528, 248, note, 250, 255, 266-67, etc.

le silence. Du reste, le fond du pamphlet n'était guère neuf et parfois si complètement absurde!

A quoi bon discuter les diatribes de Melchior Cano, prouver que la prophétie de sainte Hildegarde contre les Jésuites était un faux, comme aussi son commentaire gratuitement attribué au dominicain Jérôme-Baptiste de la Nuza? A quoi bon réfuter un auteur qui prend au sérieux et argent comptant les hyperboles filiales de l'Imago primi sæculi? Quant à chercher où était la vérité dans l'histoire du prieuré de Saint-Valentin-de-Ruffach, enlevé par les Jésuites avec violence « en vertu de bulles contre des bulles », ou encore de l'abbaye d'AulaRegia volée par eux, ou dans celle de la banqueroute des Jésuites de Séville, et cent autres épisodes d'accaparement, persécutions, intrigues, encore une fois, à quoi bon? Une calomnie est vite lancée, il suffit d'une demi-page il faudra un volume pour la réfuter et nul ne le lira. Qui les croira quand ils apporteront des lettres attestant qu'ils n'ont point été pêcheurs de perles à Cochin, marchands, banquiers et voituriers à Carthagène, accapareurs de tous les transports depuis cette ville jusqu'à Quito, qu'ils n'ont pas détourné de canal à Grenade et en une nuit bâti un moulin par dessus, fabriqué de la fausse monnaie à Malaga, etc., etc? Donc, pour cette fois, les Jésuites ne se mirent pas en frais de réfutation.

Quatorze ans se passèrent; la suite du pamphlet parut, toujours anonyme, intitulée : « La morale pratique des Jésuites, second volume, divisé en sept parties, où l'on représente leur conduite dans la Chine, dans le

Japon, dans l'Amérique et dans l'Ethyopie, le tout tiré de livres bien autorisés ou de pièces très authentiques. 1683. » La préface, continuant le même genre de plaisanterie que ci-dessus, déclarait que si l'on revenait à la charge, c'était parce que le premier avertissement n'avait pas atteint son but. Les Jésuites ne laissant voir aucune velléité de conversion, « on veut encore faire un nouvel effort pour leur procurer cette confusion salutaire » sans laquelle il n'y a pas de salut pour les pécheurs.

Cette fois, les Jésuites crurent avoir assez patienté. C'est qu'un certain nombre de faits nouveaux étaient mis en avant sur lesquels il importait de ne pas laisser les ombres s'accumuler. Nous parlons de la question des rites chinois et malabares qu'on portait devant le public français, précisément à l'heure où Louis XIV se préparait à envoyer des Jésuites le représenter à Pékin. Donc, en 1687, le Père Le Tellier, le futur confesseur du roi, publia l'apologie des missionnaires. On trouvera peut-être qu'on avait mis bien du temps à préparer la réplique. Mais il s'agissait de ce qui se passait jusqu'en Extrême-Orient, et pour peu qu'on ait eu besoin de renseignements, la correspondance pouvait prendre au bas mot deux années (1).

(1) La mission française de Pékin fut fondée en 1684.

Défense des nouveaux chrestiens et des missionnaires de la Chine, du Japon et des Indes. Contre deux livres intitulez: La morale pratique des Jésuites et l'Esprit de M. Arnauld. A Paris, 1687, in-12° Une seconde partie parut en 1690. Le troisième volume de la Morale pratique, concerne la Défense. Sommervogel, VII, col. 1913.

Or, le grand Arnauld, depuis la paix clémentine, après ses formelles promesses au roi, avait pris sur lui de se taire. Il n'avait personnellement rien écrit contre les Jésuites. Son humeur batailleuse s'était tournée ailleurs, et ce fut le tour des calvinistes de l'exercer. Il faut avouer qu'il fit alors assez bonne besogne. Les Molinistes pouvaient bien continuer à trouver dans la doctrine chère à Port-Royal une saveur protestante marquée. Du moins les intentions étaient sauves. On n'attaque pas avec tant de furie ceux avec qui l'on est accusé de pactiser. Reste que le champ des inconséquences humaines est immense. Pour ce qui était des Jésuites, le docteur se réservait il se contentait de regarder ses amis fourbir leurs vieilles armes ou en forger de nouvelles. Mais il est à croire que la réponse du Jésuite au second volume de la Morale pratique n'était pas à dédaigner. Dans ses assertions, le Père Le Tellier avait l'air si sûr de lui quand il établissait que la plupart des pièces reproduites par le compilateur étaient archifausses, qu'il devenait nécessaire d'intervenir. Pour sauver l'honneur du parti, il ne fallait rien moins que la rentrée en ligne du docteur. De là un troisième volume en 1690, suivi de quatre autres jusqu'en 1693, sans parler d'un huitième qui devait paraître en 1695 après sa mort.

Aucun n'était signé, et l'on hésite un peu sur la part exacte que d'autres, comme Nicole, purent prendre à cette compilation. Sur quoi M. Brunetière faisait naguère cette remarque : « Les historiens ne manquent pas de fort bonnes raisons pour les excuser de ce mys

tère; mais les bibliographes aimeraient qu'à toutes leurs vertus nos messieurs de Port-Royal eussent cru pouvoir joindre celle de la franchise » (1).

V

Cependant la Morale pratique figure dans les œuvres complètes du grand Arnauld, et c'est justice. Ce qu'il n'écrivit pas, il l'inspira, et il n'est besoin que de feuilleter sa volumineuse correspondance avec ses agents de Rome, pour voir quel mal il se donna; et, ici encore, j'admire avec quelle discrétion Sainte-Beuve se dispense de souligner cette œuvre du plus remuant des PortRoyalistes.

Nous avons déjà dit un mot d'Arnauld dans notre premier volume. Si nous y revenons c'est que le docteur, par sa mentalité très particulière, nous semble représenter fort bien l'antijésuitisme janséniste après Pascal, celui des luttes contre la bulle Unigenitus, celui de la Régence et du xviie siècle. Non que les disciples n'aient fort depassé le maître en tous ses excès. Mais le maître a donné un modèle qu'on a copié, sans se lasser, pendant cent ans en l'exagérant toujours. Essayons de le saisir dans sa simplicité première et demandons nos renseignements à des historiens dont, par ailleurs, nous sommes très loin de partager toutes les idées.

(1) Grande Encyclopédie, III, p. 1062.

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