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« L'abîme murmure doucement: Venez à moi, que craignez-vous? Ne voyez-vous pas que je ne suis rien. Et c'est parce que tu n'es rien justement, que j'ai peur de toi » (p. 76).

Vidés, stériles, réduits à l'état de machine, répugnants comme les « fils aînés du limon... qui aujourd'hui pétrissent de leurs membres équivoques la fange tiède du Nil » (p. 40), « monstres chimériques, mensonges vivants » (p. 41), « laids et aimant leur laideur »> (p. 41), etc., voilà les Jésuites. Ils sont, par excellence, l'esprit de mort.

N'y a-t-il cependant en eux aucune vie, aucune âme? Ecoutons encore Michelet: « Ce que l'avenir nous garde, Dieu le sait... seulement je le prie, s'il faut qu'il nous frappe encore, de nous frapper de l'épée.

« Les blessures que fait l'épée sont des blessures nettes et franches, qui saignent et qui guérissent. Mais que faire aux plaies honteuses qu'on cache, qui s'envieillissent et qui vont toujours gagnant?

<< De ces plaies, la plus à craindre, c'est l'esprit de police mis dans les choses de Dieu, l'esprit de pieuse intrigue, de saintes délations, l'esprit des Jésuites » (p. 1).

La délation: il n'y a pas d'autre vie intime, organique, dans ce grand corps ambigu, crocodile et chauve-souris, qui est la Compagnie de Jésus. C'est une accusation à laquelle Michelet tient, sur laquelle il revient à plusieurs reprises (p. 2, 71) et sur laquelle aussi on le croit sans plus d'examen.

Qu'on nous permette de remettre les choses au point. Il s'agit de la « dénonciation fraternelle ».

Dans une communauté, ou une école, quelqu'un a commis une faute grave; ou bien, par ses imprudentes démarches il s'expose à quelque chute lamentable, qui compromettra son honneur ou celui de ses frères; ou encore, il est un ferment de corruption; ou même, sans aller si loin, il a un défaut, dont peut-être il ne se rend pas compte, qui le fait insupportable, stérilise son action, diminue son influence. Un parti bien commode est de ne rien dire « Num custos fratris mei sum ego? » Heureux en ce cas si le silence est absolu et si je ne vais pas colporter le scandale d'oreille en oreille. Un autre parti, bien délicat, celui-là, consistera à faire soi-même à l'intéressé des observations. Le plus souvent ce sera en pure perte; aurai-je l'autorité personnelle suffisante pour me faire écouter? A quoi se résoudre alors? La règle le dit au religieux; le simple droit naturel en fait à tous un devoir il faut avertir celui qui, seul sans doute, peut porter remède au mal, le supérieur.

Voilà la « dénonciation fraternelle ». Evidemment on en peut abuser; de quoi n'abuse-t-on pas? Il y faut discrétion, à propos, bon sens, charité, zèle sincère. Voyez à ce propos et lisez sans parti-pris ce qu'en disent les moralistes parlant au point de vue strict du devoir, et les ascètes élargissant la question et l'examinant dans les applications à la vie parfaite, et, à ces réalités, comparez l'hallucination de Michelet.

« Le jésuitisme, l'esprit de police et de délation, les basses habitudes de l'écolier rapporteur, une fois transportées du collège et du couvent dans la société entière,

quel hideux spectacle! Tout un peuple vivant comme une maison de Jésuites, c'est-à-dire de haut en bas occupé à se dénoncer. La trahison au foyer même, la femme espion du mari, l'enfant de la mère..... Nul bruit, mais un triste murmure, un bruissement de gens qui confessent les péchés d'autrui, qui se travaillent les uns les autres et se rongent tout doucement.

« Ceci n'est pas, comme on pourrait le croire, un tableau d'imagination. Je vois d'ici tel peuple que les Jésuites enfoncent chaque jour d'un degré dans cet enfer des boues éternelles » (1).

On devait bien rire, en lisant ces tirades, chez les voisins de Michelet, les Jésuites de la rue des Postes.

Un des résultats de cet enseignement fut qu'on les menaça de mort. Ils purent un jour, sur leur porte, lire cette affiche: « Mort aux Jésuites! Mort à ceux qui veulent semer le trouble et la désunion dans la France!... Mort à ceux qui traitent Molière d'excommunié!... Si les Jésuites continuent à faire la mauvaise tête, on les fera danser, eux et leurs boutiques. Avant huit jours ils rôtiront; on leur fera gagner le ciel par le martyre. Il faut un exemple qui épouvante cette canaille et les étudiants se chargeront de venger l'Université, puisque le gouvernement ne veut pas s'en charger. Gare à eux! » (2).

Au fond, était-ce bien aux Jésuites qu'on en voulait

(1) Page 2. Hélas! non, ce n'est pas un tableau d'imagination. Seulement ce ne sont pas les Jésuites qui enfoncent ainsi, par le moyen de la délation, la France dans la boue.

(2) Grandidier, Vie du Père Achille Guidée, Amiens, 1865, p. 207.

au Collège de France? Des leçons de Quinet et de Michelet, serait-il difficile de détacher une foule de traits qui, tout droit, atteignent le clergé et l'Eglise? Les deux amis ne prenaient même pas la peine de dissimuler. Ils se rangeaient franchement, mais où était le courage en l'an de grâce 1843? du côté de la révolution, du côté de ceux qui, à quelque époque que ce fût, avaient combattu l'Eglise; et l'on sait le résultat. Il dépassa de beaucoup les intentions. Derrière les Jésuites, l'Eglise; mais derrière l'Eglise on atteignait le trône. Grâce en grande partie aux deux professeurs, la jeunesse des écoles avait cessé d'être catholique et était devenue républicaine. Le gouvernement existant, celui de Guizot, Cousin, Villemain, Dupin, Rossi, n'était pas le moins à plaindre en toute cette affaire. En attaquant les Jésuites, ennemis-nés, disait-on, de toute autorité qui n'est pas la leur, on avait mené les passions à l'assaut de l'autorité légale et existante. Ce n'était peut-être pas prévu : était-ce illogique? (1).

Pour ce qui est de Michelet, cette date 1843 lui fut fatale. Elle marque le commencement de la décadence. « L'une des extravagances de sa dernière manière sera de prétendre distinguer deux François Ier, l'un avant, l'autre après l'abcès; deux Louis XIV, l'un avant, l'autre après la fistule; comme on l'a dit spirituellement, on serait mieux fondé à distinguer deux Michelet, l'un avant, l'autre après les Jésuites » (2).

(1) Thurcau-Dangin, V, p. 509-510. (2) Thureau-Dangin, V, p. 508.

V

Les leçons du Collège de France sont d'une extravagance sans mélange. Mais l'exaltation tomba. Deux ans après, on eût dit que Michelet essayait de se ressaisir. Son nouveau livre, Le prêtre, la femme, la famille, tout aussi odieux, est un peu moins fou. Le fond est le même, plus accentué encore peut-être, la forme n'est plus d'un halluciné. C'est une longue diatribe contre la confession, instrument du prêtre pour accaparer la famille par la femme. Livre immonde par certains côtés. Michelet en est venu à ne plus pouvoir toucher aux choses les plus saintes sans les salir. Je fais allusion à ce qu'il ose écrire de sainte Chantal et de saint François de Sales (1).

Quant aux Jésuites, ils sont les docteurs de ce clergé malsain et malfaisant.

Intrigants, brouillons, insolents sous forme rampante. Leurs pénitents mêmes qui les trouvaient fort commodes ne laissaient pas par moments d'en prendre dégoût». Sceptiques en morale. « Leur mine seule était une satire. Ces gens, si habiles à s'envelopper, suaient le mensonge; il était tout autour d'eux, visible et palpable. Comme un laiton mal doré, comme les saints joujoux de leurs églises pimpantes, ils luisaient faux à cent pas faux d'expression, d'accent, faux de geste et

(1) Nous citons d'après l'édition Flammarion, in-8°.

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