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en anglais, allemand, italien, hollandais. En 1873, elles en étaient à leur dixième édition. On les réimprima en 1873, sous ce titre Les Jésuites et l'ultramontanisme, avec une préface où l'auteur rejetait les désastres de 1870 sur l'«< esprit jésuitique et clérical ». De son œuvre considérable, c'est la seule partie qui lui ait donné une ombre de popularité, la seule qu'en dehors du monde érudit on lise encore quelquefois. Je me demande même si elle ne serait pas complètement oubliée aujourd'hui sans le voisinage des leçons de Michelet.

IV

A l'étrange érudition de son « plus que frère », Michelet ajoutait ses métaphores, ses visions, ses soubresauts de pensée, son lyrisme malade. A cela près le fond est identique.

Chez lui, l'antipathie pour les Jésuites n'était pas, comme on l'a cru, de fraîche date. Dès 1830, voici ce qu'il enseignait à l'Ecole normale :

<«< Les Jésuites avaient tout pour eux, même des martyrs. C'est une merveille que cet ordre intrigant ait su en faire. En Chine, au Japon, en Amérique, s'il reste quelques souvenirs des Européens, c'est un souvenir des Jésuites qui y ont pénétré au péril de leur vie. Plus que tous les autres Instituts, ils ont été les Christophes Colombs et les Hercules de la civilisation moderne. Voici ce qu'on peut dire contre eux. C'était un ordre d'intri

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gants. Le caractère de la Société était l'intrigue. Une autre chose les condamne, c'est qu'ils n'ont pas eu un homme de génie. Tous ont eu le mérite de l'instruction, quelques-uns ont été des héros d'une persistance et d'un courage admirables; mais au milieu de tout cela aucun grand talent. Les Jésuites n'ont pas bon cœur. Le vilain cœur perçait partout. C'étaient de vilaines gens..... Ils avaient donné leur âme. Que voulez-vous attendre d'un homme qui a donné son ame? C'est un homme vidé » (1).

On sait qu'une des originalités du système historique de Michelet, c'est l'abus du symbole. Il cherche l'âme d'une race ou d'une époque, l'étudie en toutes ses manifestations, et l'enferme dans une formule. Puis il l'incarne en des hommes qui en soient le symbole. Et si l'âme du vieux peuple romain, c'est d'être patiente et tenace, rangée et régulière, avare et avide, avidité qui, sous l'influence de la guerre, se transforme en esprit de conquête, Caton le censeur sera la sagesse italique en ce qu'elle a d'étroit, Caton d'Utique, l'attachement obstiné au passé. En revanche, César c'est l'homme de l'humanité, ennemi de l'esprit austère de la République.

Le Jésuite, lui, mis en face de la Réforme qui est liberté, ou de la Renaissance qui est épanouissement de la vie, en face de la Révolution qui sera l'affranchissement par l'amour, que sera-t-il? Michelet a trouvé la formule « l'homme vidé de son âme », donc esclave et stérile.

On sait aussi que, devant une de ces simplifications

(1) Cité dans la Revue des Deux-Mondes, 1894, t. VI, p. 910.

a priori, les faits contraires à la thèse ne sont pas pour le gêner beaucoup. Les martyrs, les missionnaires sontils aussi des hommes vidés? Vieira, par exemple, le défenseur des Indiens, l'ennemi de l'esclavage au Brésil, Pierre Claver, l'esclave des esclaves, et Bourdaloue et François Régis, et vingt autres. Michelet les a entrevus, puisqu'il se les objecte, mais il passe: ces gens-là ne comptent pas. Ils ne comptaient pas davantage pour Pascal (1).

A chaque instant, il est dupe de ses intuitions, et jamais ne songe à en faire la critique. Ce qu'il y a de pis c'est que, imaginatif comme il l'est, tout le monde le confesse, on le croit encore sur parole, et on répète, quand il s'agit des Jésuites, ses affirmations sans les contrôler. << Ils n'ont pas eu, en trois cents ans, un homme de génie, pas même un homme de grand talent. » De génie, soit; et l'on ne se demande pas combien il y en a dans l'histoire de l'humanité, je dis de ces génies incontestés, reconnus comme tels par tout le monde, non pas des génies d'école ou de coterie. Au

(1) Le martyrologe de la Compagnie de Jésus enregistre plus de 900 noms. Sur ce nombre, il y a 71 victimes du protestantisme en Angleterre, 12 en France, 42 en pays allemands, 8 dans les PaysBas, 6 en Suède; 55 furent tués en mer par des pirates protestants français, anglais ou hollandais; 9 le furent en pays de missions : Canada, Antilles, Pérou, Ceylan, etc. En Pologne, 31 victimes des schismatiques, plus 4 en Allemagne et tout le collège d'Ostroq en Moravie (1649). Un mourut des haines gallicanes. Lors des expulsions ordonnées par Pombal et d'Aranda, 169 périrent de misère dans les cachots ou à fond de cale. La grande Révolution tua 46 anciens Jésuites; et, au cours du XIXe siècle, 23 furent assassinés par la révolution cosmopolite. Presque tous les autres moururent dans les missions.

gré de Michelet, depuis 1540, où sont les hommes de génie? On dirait à le croire qu'ils se comptent par douzaines? Les Jésuites n'en ont pas eu, c'est fâcheux; mais, dans le même laps de temps, où sont les hommes de génie dans l'Université, dans l'ordre de saint Dominique? Et s'il n'y a eu là que des hommes de talent, qu'est-ce que cela prouve contre les dominicains et les universitaires?

Tel fut le point de départ de Michelet, déjà passablement injuste. Quand viendra le delirium de 1843, il n'aura qu'à broder sur ses vieilles impressions. Le Jésuite sera toujours l'« homme vidé de son âme ».

Voyez plutôt; ce sont des formules que je cueille au hasard dans les leçons du Collège de France, que M. Faguet trouve éloquentes, que Sainte-Beuve jugeait absurdes.

Les Exercices spirituels, « admirable mécanique où l'homme n'est plus qu'un ressort qu'on fait jouer à volonté. Seulement ne demandez rien que ce qu'une machine peut produire; une machine donne de l'action, mais nulle production vivante... Il lui a manqué constamment ce qui, pour toute société, est le plus haut signe de vie, il lui a manqué le grand homme... Pas un homme en trois cents ans!» (p. 32).

Dévotion jésuitique. « On montre une pomme à un enfant pour le faire venir à soi. Eh bien! on a montré aux femmes de gentilles petites dévotions féminines, de saints joujoux inventés hier; on leur a arrangé un petit monde idolâtre..... Quels signes de croix ferait saint Louis, s'il revenait et voyait?... Il ne resterait pas

deux jours. Il aimerait mieux retourner en captivité chez les Sarrasins » (p. 12).

Education jésuitique. « Les éleveurs anglais ont trouvé l'art de faire d'étranges spécialités, des moutons qui ne sont que suif, des bœufs qui ne sont que viande, d'élégants squelettes de chevaux pour gagner des prix; et pour monter ces chevaux, il leur a fallu des nains, tristes créatures à qui on défend de grandir... » (p. 56).

Les Constitutions : « Edifice plus grand que grandiose qui fatigue à voir parce qu'il n'offre nulle part la simplicité de la vie, parce qu'on y sent avec effroi que les forces vivantes y figurent comme des pierres. On croirait voir une grande église, non pas comme celle du moyenâge, dans sa végétation naïve, non! une église dont les murs n'offriraient que têtes et visages d'hommes, entendant et regardant, mais nul corps, nul membre, les membres et les corps étant cachés pour toujours et scellés, hélas! au mur immobile » (p. 70).

Le péril jésuitique. « Hier encore, je l'avoue, j'étais tout entier dans mon travail, enfermé entre Louis XI et Charles le Téméraire et fort occupé de les accorder..... lorsqu'entendant à mes vitres ce grand vol de chauvessouris, il m'a bien fallu mettre le nez à la fenêtre et regarder ce qui se passait.

« Qu'ai-je vu? Le néant qui prend possession du monde... et le monde qui se laisse faire, le monde qui s'en va flottant comme le radeau de la Méduse, et qui ne veut plus ramer, qui délie, détruit le radeau, qui fait signe,... à l'avenir? à la voile de salut? Non, mais à l'abime, au vide....

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