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de quoi il allait parler? Il parlait de tout. «< Nul moyen d'analyser ses leçons. Il y règne une animosité violente, une colère furieuse, une sorte de terreur grotesque que tout révèle, jusqu'au trouble inouï du style et de la composition. Le plus souvent le professeur s'attaque aux hypothèses que crée son imagination, aux perfidies, aux égarements, aux corruptions qu'il suppose possibles, que dès lors il prend comme réels... Tout défile et se mêle en désordre, passé, avenir et présent, philosophie, politique, peinture, Pologne, bals du quartier latin, architecture, façon dont les babies mangent de la bouillie, et presque toujours il aboutit à parler de soi.

« Je suis sûr de ne pas rester court, disait-il, parce que ce que je raconte, c'est moi. » C'est lui qui a tout fait, qui a tout vu : il est la personnification de l'humanité il est le précurseur d'un nouveau Messie, s'il n'est ce Messie lui-même..... Chacune de ses leçons est un poème; il déclare « n'avoir jamais eu un sentiment plus religieux de sa mission, n'avoir jamais mieux compris le sacerdoce, le pontificat de l'histoire » (1).

Sainte-Beuve, indulgent, trouvait cela « un peu burlesque, ægri somnia » (2).

L'œuvre des deux étranges professeurs a cependant trop marqué dans l'histoire de l'antijésuitisme pour ne pas nous arrêter un instant. Beaucoup des idées cou

(1) Thureau-Dangin, p. 507-508. L'Eglise et l'Etat sous la Monarchie de Juillet, p. 269. Voir une lettre de Mgr Freppel, alors professeur aux Carmes, dans les Etudes, 1898, t. III, p. 669, note (A propos d'un centenaire. L'œuvre de Michelet, par C. de Beaupuy.) (2) Chroniques parisiennes, p. 88.

rantes sont-elles autre chose que du Quinet et du Michelet, légèrement atténué et appuyé de citations quelconques?

Et d'abord le Jésuite d'après Quinet.

Son programme de cours lui donnait à étudier l'Histoire des littératures et des institutions du midi de l'Europe. « Le sujet n'était pas fait pour lui. Ces races latines dont il ne cessera guère de s'occuper, au fond, il ne peut ni les comprendre, ni les aimer. Il n'a ni leur foi, ni foi en elles. A l'Allemagne protestante son admiration; aux peuples méridionaux, qui se traînent dans la poussière en récitant leur chapelet, son mépris. Leur infériorité ne faisant pas de doute à ses yeux, il en cherche la cause, et il découvre..... la Compagnie de Jésus. De cette trouvaille est sorti le fameux cours sur les Jésuites,... un de ces cours, écrit un admirateur, qui << font époque dans l'histoire de l'esprit humain » (1).

Pour lui, le fond du jésuitisme c'est la prétention de subjuguer le monde en subjuguant les âmes, à quoi l'on arrive en substituant partout l'esprit de servitude à l'esprit de liberté et de démocratie. Le point de vue général n'est peut-être pas très neuf, les développements le sont davantage, et les preuves plus encore.

Le premier soin de l'Ordre est donc de briser les individus qui voudront bien se laisser faire, volonté et raison. Tel un cavalier qui dompte un cheval.

(1) Valès, Notice biographique, en tête des Extraits de Quinet, Hachette, 1903, in-12. H. Chérot, Etudes, 1903, II, p. 233. Les fêtes du centenaire de Quinet.

C'est à quoi servent les Exercices spirituels de Loyola. L'auteur du livre mystérieux « a passé par toutes les conditions de l'extase, de l'enthousiasme, de la sainteté. » Par un calcul « dont je ne parviendrai jamais, dit l'orateur, à exprimer la profondeur, il entreprend de réduire en un corps de système, les expériences qu'il a pu faire sur lui-même jusque dans le feu des visions. » Il impose à ses disciples, comme opération, des actes qui, chez lui, ont été spontanés. Faire des extatiques automates, voilà le but. Pour réduire ainsi une âme, il ne faut que trente jours. On la disloque avec méthode, et elle sort du traitement à l'état de machine, capable de soupirer, sangloter, gémir, s'écrier, suffoquer à l'instant marqué, dans l'ordre donné (p. 165, 167).

Après l'automate, le cadavre, perinde ac cadaver; après les Exercices, les Constitutions. L'âme, une fois brisée, broyée, ne demande plus qu'à s'abandonner, s'aliéner à jamais. Pour elle, liée qu'elle est par son obéissance cadavérique, il y a des provinciaux, des préposés, des examinateurs, consulteurs, admoniteurs, procurateurs, etc., mais où est Dieu? Le nom de Dieu apparaît à peine dans les Constitutions. Il y est parut, partout on parle de la gloire de Dieu; mais Quinet ne l'a pas vu. En revanche, il a la un texte interdisant de parler de Dieu dans les cours de philosophie « Quæstiones de Deo prætereantur » (1). Il y a des règles et très minutieuses, mais pas ombre de vie morale. Il y a des rouages d'une complication extrême, mais aucune éléva

(1) Nous reviendrons plus loin sur ce fameux texte.

tion; des combinaisons industrieuses, peu de confiance dans les ressources de l'âme (p. 185). Les grands instincts sont réprimés, et les petits développés. Plus d'enthousiasme, mais la délation, mais l'esprit de police (p. 186-187). Le cri de la conscience n'existe plus; à la place, le cas de conscience : le prêtre n'est plus que l'avocat patelin au tribunal de Dieu (p. 190). Vrais pharisiens du christianisme, les Jésuites ne voient en tout que la lettre et la surface (p. 195). Stérilisant tous les sols où ils se fixent (p. 195), échouant successivement dans toutes leurs entreprises, n'aboutissant dans leurs missions des Indes qu'à ouvrir la voie à l'Angleterre (p. 217), héroïques d'un héroïsme machiavélique qui s'enlace dans ses propres pièges, ou qui ne laisse après soi que le silence des morts, leur histoire n'est qu'un gigantesque avortement. Tous les gouvernements les repoussent car ils ruinent la monarchie au nom de la démocratie, et la démocratie au nom de la monarchie (p. 225). Les théologiens Jésuites se sont faits, contre la Réforme, les défenseurs du libre arbitre : on devrait les en bénir. Ne vous y fiez pas! Leur politique « a passé de bien loin celle de Machiavel ». Ils n'ont voulu qu'«< asservir l'esprit humain au nom de la liberté!» (p. 259). Il y a chez eux des docteurs qui célèbrent les bienfaits de la monarchie; d'autres ont des principes démocratiques. Regardez-y de près : ils veulent anéantir la monarchie au nom du peuple, enchaîner le peuple au nom des rois, et cela fait, régner seuls sur le monde esclave (5e leçon). Ils ont prêché à ciel ouvert, bien plus nettement que les autres, le régi

cide puis, quand le régicide n'est plus de mode, on ne tue plus l'homme, on se contente d'anéantir le roi, et c'est le règne des confesseurs (p. 236). Dernier aboutissement du jésuitisme : la théocratie, l'ultramontanisme à la façon de Grégoire VII.

Tel est le Jésuite de Quinet cela établi d'après un système de citations le plus extraordinaire, mots omis, contresens, textes introuvables, renvois impossibles à vérifier. Ce n'est plus de la négligence, c'est de la haute fantaisie. Et que dire des interprétations? (1)

Où a-t-il vu dans les Exercices qu'il fallait tracer des lignes de différentes grandeurs, qui répondent à la grandeur des pensées? (p. 166). Saint Ignace recommandant la discrétion dans l'usage des pénitences corporelles, déclare préférer par exemple les disciplines de corde qui ne font qu'effleurer la chair à d'autres qui risqueraient de blesser; cela devient pour Quinet « contrefaire froidement, frauduleusement les stigmates. et les meurtrissures des anachorètes »; c'est «< jouer avec le martyre, ruser avec l'héroïsme, frauder la sainteté ». Et il conclut : « De cette première fraude ne voyez-vous pas naître le sanglant châtiment et le fouet véridique des Provinciales? » (p. 178-179). On en citerait des vingtaines de cette force.

Les leçons de Quinet sur les Jésuites ont été traduites

(1) Ceux qui voudront s'édifier en détail sur cette érudition de Quinet, liront avec fruit le livre du Père Cahour: Des Jésuites par un Jésuite, 2 in-12, Paris, 1843-1844. Voir encore de l'abbé Delfour, Univers, 18 février 1903, l'article Quinet et les Jésuites; de H. Chérot, dans les Etudes, 1903, t. II, p. 213, Les fêtes du centenaire de Quinet.

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