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se demanda : « Il y a donc encore des Jésuites? Ah! je crois bien qu'il y en a encore. Ils sont partout. » Rien ne se fait sans qu'ils y prennent part. Et il les montre s'insinuant dans toutes les classes de la société, particulièrement dans le boudoir des jolies femmes; détournant le produit des quêtes pour former « les fonds secrets de la Congrégation »; propageant la morale relâchée dans le clergé, à preuve les églises, que l'on commence à chauffer. Guerres, révolutions, tout ce qui s'accomplit dans le monde est leur œuvre. Ils ont dans leur maisonmère, à Rome, un immense livre de police qui embrasse l'univers entier et où est admirablement racontée la biographie de tous les hommes auxquels ils ont eu affaire. « Un de mes amis a vu le livre »>, affirme M. Libri. A ce compte, et dans les conditions que décrit le facétieux bibliomane, le registre devait bien avoir 120.000.000 de pages. Ce détail horrifique se trouvait déjà équivalemment dans les comptes rendus de la Chalotais. Nous le retrouverons plus loin. Il a tout l'air d'être allemand d'origine. « Contes pour les grands marmots!» déclarait Henri Heine.

L'honnête Libri parlait avec une horreur décente de cette théorie du probabilisme, qui, « subversive de toute société, tend à établir que, lorsqu'un homme croit à peu près également probable que la loi est bonne ou mauvaise, il peut enfreindre la loi, car une loi douteuse ou incertaine ne pouvait donner lieu à aucune obligation »... d'où il résulte, dit-il, que, si un voleur n'était pas excessivement persuadé de la justice de la loi qui lui défend d'enlever le bien d'autrui, et le cas pouvait

arriver, il ne serait nullement tenu à être honnête homme ». Faut-il rappeler que, quatre ans plus tard, Libri était condamné pour détournements dans les bibliothèques publiques et dégradé de la légion d'honneur (1850) (1).

« Je ne sais si l'humilité chrétienne, disait M. Rossi, est parmi les vertus de cette congrégation, mais elle aura quelque peine à ne pas céder aux séductions de l'orgueil, tant est grande la place qu'elle a occupée dans cette controverse » (2).

Cette place devait s'élargir encore et on allait en servir bien d'autres aux «< grands marmots! » Michelet et Quinet entrent en scène. Jamais depuis Pascal, l'antijésuitisme n'avait reçu de pareilles recrues; et cette fois des traits presque nouveaux vont être ajoutés au Jésuite de la légende. Ceux-là du moins eurent le mérite de la franchise, et c'est bien ouvertement l'Eglise qu'ils attaquaient en attaquant les Jésuites.

II

Deux bonnes gens en somme, ayant un fonds de naïveté, de poésie, d'hallucination spontanée, qui explique bien des choses. Point chrétiens, mais jusque

(1) Thureau-Dangin. Monarchie de Juillet, t. V, p. 501. Pierre Clauer (P. Ch. Clair, S. J.), L'innocence de M. Paul Bert démontrée par un bibliophile. Paris, 1879. (Lecoffre), brochure.

(2) Cité par Thureau-Dangin. L'Eglise et l'Etat, p. 253.

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là peu agressifs, gardant au fond de leur âme une réserve de tendresse esthétique pour le moyen âge des cathédrales, travailleurs déjà très unis par la communauté des études et des idées.

Quinet passait pour un penseur, cherchant le Dieu qu'il souffrait d'avoir perdu, peu pratique, révolutionnaire, en 1830 et 1840, par un accès qu'on s'expliquait mal, point mêlé aux questions du jour, peu soucieux, croyait-on, des applaudissements populaires; mais, sous ces apparences placides, cachant un fonds d'amertume et de ressentiment contre le pouvoir et la société.

Michelet, baptisé à 18 ans, n'était pas croyant; les catholiques le comptaient pourtant comme un allié : il devait son premier avancement à Mgr Frayssinous; il était antivoltairien, goûtait le christianisme pour son côté poétique, et il écrivait en 1843 : « Les choses les plus filiales qu'on ait dites sur notre vieille Mère l'Eglise, c'est peut-être moi qui les ai dites ». Epris d'amour pour ses élèves et ses vieux documents, tendre et enthousiaste, H. Heine l'appelait « le doux et paisible Michelet, homme au caractère placide comme le clair de lune ».

Mais il avait son côté faible, une sensibilité douloureuse, des blessures d'amour-propre toujours à vif, un caractère concentré, une sorte d'exaltation intérieure que la solitude avait exaspérée, un grand orgueil et une vanité plus grande encore (1).

Michelet, depuis 1838, occupait au Collège de France

(1) Thurcau-Dangin, op. cit., V, p. 505.

la chaire d'histoire et de morale. Quinet venait de l'y rejoindre (1842) pour l'enseignement des littératures du Midi.

Quand le livre «le Monopole Universitaire » tomba comme une bombe dans le camp des libéraux avancés, tout ce qu'il y avait d'anticléricalisme et d'antijésuitisme plus ou moins latent chez les deux professeurs fit éruption. Il y a là, dans leur vie, un épisode qui ne laisse pas que d'embarrasser les plus sérieux de leurs admirateurs, et sur lequel ils se gardent d'insister (1).

On a vingt fois raconté les scènes de désordre qui eurent lieu au Collège de France en cette année-là. Simultanément Michelet et Quinet faisaient leur cours sur les Jésuites. Michelet avait ouvert le feu le 27 avril, par une leçon sur le Machinisme moral, c'est-à-dire sur les Exercices de saint Ignace; il le continua le 4 mai, et parla sur le perinde ac cadaver. Le 10, Quinet débuta par des généralités : De la liberté de discussion en matière religieuse. Puis les conférences se succédèrent :

11 mai, Michelet: Education contre nature.

17 mai, Quinet: Origine du jésuitisme. Ignace de Loyola.

18 mai, Michelet: Stérilité des Jésuites.

24 mai, Quinet: Pharisaïsme chrétien.

26 mai, Michelet: Stérilité de l'Eglise asservie. 31 mai, Quinet: L'Evangile déguisé. Les missions. 1er juin, Michelet: L'esprit de vie, l'esprit de mort.

(1) Par exemple M. Monod. Renan, Taine, Michelet, 1896, p. 204. Voyez même Cinquante ans d'amitié, par Mme Edgar Quinet, 1899, p. 119.

7 juin, Quinet: Politique des Jésuites. Ultramontanisme.

14 juin, Quinet: Du jésuitişme dans l'ordre temporel. Dès les premiers cours le tumulte commença. Les uns applaudissant les professeurs qui ouvertement identifiaient jésuitisme et catholicisme, et disaient c'était Quinet - « Je suis un homme qui enseigne ici publiquement au nom de l'Etat ». Les autres, les jeunes catholiques, venaient siffler ou couvrir de bravos ironiques la voix de Michelet. Le bruit fut tel à certains jours que l'administrateur accourait pâle d'effroi supplier Quinet de lever la séance. « Je ne sais pas si ce soir il restera une pierre du collège. » Bientôt les catholiques en vue intervinrent et les jeunes gens de leur parti se retirèrent. Les autres restèrent maîtres de la place et en profitèrent largement interpellations, bousculades, chansons de Bérenger, Marseillaise, couplets obscènes, que Michelet prenait pour des explosions patriotiques. Que pouvaient être des leçons faites en pleine bagarre? Celles de Quinet se tenaient encore un peu; il y apportait une sorte de fanatisme mystique, se croyant un apôtre et presque un martyr, mais enfin il parlait. Le bruit le grisait, et il a tenu à ce que l'édition de ses cours enregistrât les applaudissements, interruptions, ricanements, murmures, cris, sifflets, tumulte.

Pour Michelet, il arrivait là, porté par la foule, le regard ardent, le geste fébrile. Il commençait d'un ton saccadé, en style haché. Les mots ne venaient pas, il se grattait le menton, il attendait l'idée. Savait-il même

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