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les emmener en Palestine, n'avait pas sur l'avenir des vue si précises.

Dès les premières années cependant ses disciples vinrent en contact avec les novateurs. En Italie d'abord et jusqu'à Rome où l'hérésie cherchait à prendre pied, puis en Allemagne. L'année 1540 marque la définitive entrée en ligue des Jésuites dans la grande bataille engagée depuis vingt ans. Pierre Le Fèvre, le Jay, Bobadilla se virent bientôt rejoints par celui qu'on devait appeler le second Boniface de l'Allemagne, Pierre Canisius. Alors commença pour de bon le recul du protestantisme; mais alors aussi commença à couler sur les nouveaux ouvriers papistes un flot d'outrages qu'on n'est pas près d'endiguer. Et en voilà pour trois ou quatre siècles.

La première insulte consista à les appeler Jésuites.

Ce sobriquet, d'origine allemande, était d'usage courant depuis longtemps déjà. On disait ironiquement de quelqu'un «< c'est un jésuite », comme nous dirions d'un scélérat «< c'est un saint ». Dans un examen de conscience de 1519, le pénitent se demande : « Ai-je omis de faire le bien par crainte d'être appelé pharisien, jésuite, hypocrite, béguin? » Jésuite et hypocrite, on notera la juxtaposition; elle est plus vieille que les Jésuites eux-mêmes (1).

N'aurions-nous pas ici un cas intéressant de folk-lore? Sans doute, et nous ne tarderons pas à le constater pour

(1) Confessionale de Gottschalk Rosemund, Anvers 1519. « Prætermisi verbum Dei docere, etc. ob quorumdam derisorum obloquutionem. qui dicerent me esse pharisaeum, iesuilam, hypocritam, beginam.

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la France et l'Angleterre, certains épisodes contribueront à populariser la légende. Mais, tout à l'origine, en Allemagne, voici ce que nous trouvons : un sobriquet préexistant, le terme de Jesuita impliquant l'idée fâcheuse d'hypocrisie sous les dehors de la piété; puis des gens qui viennent réveiller la religion des catholiques et combattre l'hérésie. Quand on leur demande ce qu'ils sont, ils répondent qu'ils appartiennent à la Compagnie de Jésus. Leur piété ne plaît pas à tout le monde. De tout temps le public a été tenté d'identifier vraie et fausse dévotion. En voilà plus qu'il n'en faut pour qu'il monopolisent à leur profit tous les sens défavorables du mot Jesuita. Ils sont de faux dévots, des fourbes le mot fera fortune, et bientôt entrera dans le vocabulaire européen.

Qu'on veuille bien noter encore le rapprochement entre jésuite et béguin. Le mot béguin ou beghard équivalait depuis longtemps à hérétique. Ces associations de pieux laïques avaient, on le sait, presque partout dégénéré. Elles étaient devenues l'asile de rêveurs, d'illuminés, de faux mystiques. Doctrine panthéiste et quiétiste, pratiques souvent plus que suspectes, réunions secrètes cachant de vrais excès, extérieur austère, flagellations publiques, etc. Or, un certain nombre de ces hétérodoxes se donnaient le titre de jésuites. Le mot s'employait donc aussi parfois dans un bon sens (1).

(1) Les Chartreux semblent l'avoir affectionné: Ludolphe de Saxe Vita Jesu Christi, Pars I, cap. 10, Venise 1568 fol. 32-J.; Henri Arnoldi Tractatus de modo perveniendi ad veram et perfectam Dei et proximi dilectionem. Bâle, vers 1478.

Mais on voit les conséquences. Les disciples de saint Ignace se présentaient en Allemagne et en Flandre. armés de ce petit livre des Exercices, qui déjà en Espagne avait valu à son auteur les soupçons de l'Inquisition, les accusations d'illuminisme, mais aussi les approbations de Rome. Eux aussi, ils devaient être accusés, non plus seulement d'illuminisme, mais de tous les excès qu'on reprochait aux béguins ou à leurs descendants. Le mot jésuite en venait à signifier hérétique.

II

De tous les instruments d'apostolat mis par Ignace aux mains de ses enfants, il n'en était pas de plus original que les Exercices. Dans ce petit carnet, humble manuel de spiritualité, sans prétentions littéraires ou dogmatiques, le saint avait condensé le résultat de ses expériences personnelles. Sans le savoir, du même coup, il y mettait tout ce qu'il y avait d'universellement pratique dans l'ascétisme chrétien, depuis Cassien jusqu'à l'Imitation de Jésus-Christ (1). Il avait constaté l'efficacité de sa méthode sur beaucoup de consciences

(1) J. Janssen, op. cit. t. IV. p. 403. « Si le but et les principes d'Ignace sont aussi anciens que le christianisme, les moyens qu'il conseille ne sont pas plus nouveaux. La réception des sacrements, les différentes manières de prier, l'examen de conscience, le silence, la méditation indispensable pour purifier, éclairer, orienter l'àme vers Dieu, tout cela, la vie de Jésus-Christ et de ses saints en avait offert

et il en avait donné le secret à ses compagnons. Maintenant, dès qu'ils arrivaient quelque part, leur premier soin était de chercher les gens de bonne volonté, avides d'une vie meilleure et ils les soumettaient à ce traitement méthodique qui leur avait à eux si bien réussi. Sous leur conduite, des milliers d'àmes, prêtres, religieux, laïques, cherchaient pour un temps la solitude, se mettaient dans une atmosphère de pureté, d'amour, d'austérité et elles en sortaient plus humbles, plus zélées, plus unies à Dieu. Les couvents les plus réfractaires à la réforme, au bout d'un mois, n'étaient plus reconnaissables. Dans toutes les villes il se formait un noyau de catholiques fervents avec qui maintenant il fallait compter. D'où venait le succès? Il n'était pas nécessaire d'aller bien loin les Exercices faisaient prier.

Mais l'imagination populaire se jette sur les premiers éléments venus pour en créer des fantômes. Ces gens qui cherchaient solitude et silence, ces vocations religieuses multipliées, ces conversions du mal au bien et du bien au mieux, tout cela parut trop nouveau pour être naturel et l'on soupçonna des mystères.

Même en pays catholique, en Espagne et en Portugal, on parla d'ensorcellement, d'herbes magiques. Les Pères avaient, disait-on, la prétention de procurer des

l'exemple, tout cela avait été pratiqué par tous les siècles chrétiens. Mais ce qui donne au petit livre son caractère, son originalité, sa valeur intrinsèque, c'est, outre l'admirable concision de la forme, la mise en œuvre psychologique de tout ce qu'avait conseillé jusque là l'ascétisme chrétien de tous les siècles. Les Exercices, en effet, résument avec génie l'expérience des saints, etc. »

extases, des métamorphoses, des visions. Ce fut bien pis. en Allemagne.

<«< Quand nous sommes arrivés ici (à Vienne), écrivait en 1551 le Père Claude Le Jay, nous avons trouvé que des rumeurs couraient dans le pays, Sa Majesté avait fait venir certains Jésuites, hommes hypocrites et polis, qui enfermaient les gens dans une chambre, les faisaient jeûner plusieurs semaines dans l'attente du Saint-Esprit. Ils séduisaient les jeunes gens, leur faisaient faire des vœux, etc. Cette rumeur, le diable l'avait répandue je ne sais comment, probablement par le moyen de tels et tels maîtres et docteurs flamands qui avaient mal connu nos frères à Louvain (1). »

On a souvent cité cette page d'un calviniste, assez modéré en somme, qui pensant écrire une âpre satire des Exercices, en faisait, pour qui sait entendre, un assez bel éloge. « Par quelle fascination ces Jésuites font-ils tourner l'esprit à des hommes qui viennent se renfermer dans certaines cellules placées en dehors de leurs maisons et disposées de manière à former une nuit profonde au milieu du jour? C'est là que ces prêtres entretiennent ces malheureux dans une perpétuelle horreur. Malheur à qui tombe dans cette embuscade; car semblables aux infortunés qui descendaient dans l'antre de Trophonius, il peut dire adieu à la joie et au bonheur. On y entre plein de sagesse et on en sort insensé, mort à toutes les choses de la terre,

(1) Monum. hist. Soc. Jesu. Epistola P. Paschasii Broet, Claudii Jaji, etc. Madrid 1904, p. 378. Lettre du 16 déc. 1551.

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