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Un Jésuite s'écriait naguère dans un panégyrique de saint Dominique, faisant allusion aux célèbres discussions sur la grâce:

« ..... Si ces divergences d'interprétation (de la pensée de saint Thomas) ont donné naissance à des controverses célèbres, ces luttes, où l'encre seule a coulé, plus abondamment, il est vrai, et plus vivement que le sang sur les grands champs de bataille, ont été fécondes pour la vérité, la religion et la philosophie, et ni eux ni nous n'avons à en rougir. Loin de là. Elles ont prouvé au monde avec quelle largeur d'esprit et quelle franchise d'allure les religieux de toute couleur abordent la science dans les questions où Dieu ne s'est pas prononcé par son Eglise. Sur ce terrain, la liberté est leur droit. et leur devise in dubiis libertas... Mais si, dans les questions non définies nous avons fièrement de part et d'autre pratiqué la liberté, nous avons dans les questions certaines donné le spectacle de l'unité la plus parfaite : in necessariis unitas. Et dans les unes et les autres, n'est-il pas vrai, mes Révérends Pères, quelques coups d'estoc et de taille, destinés aux doctrines et égarés sur les personnes dans la ferveur de la bataille, n'ont jamais altéré la charité in omnibus caritas..... Mais si la science n'a pu nous désunir, l'amour des àmes a encore resserré nos liens. Ensemble, depuis trois siècles, nous arrosons la terre de nos sueurs; ensemble, nous pénétrons partout où règnent l'ombre et la mort, portant à tous les peuples la lumière et le sourire du Christ. Tous les rivages ont vu vos blanches apparitions à côté de la robe noire si aimée du sauvage et de tous les malheu

reux... Et parfois, ils (les missionnaires) tombaient. ensemble, unis dans la mort sanglante.

<< C'était au Japon. Un jour, le Bienheureux Spinola, Jésuite, et quelques chrétiens chargés, comme lui, de chaînes, étaient conduits à une prison située au sommet d'une montagne. Ils devaient y passer la nuit avant de repartir pour le lieu de leur supplice. Heureux de souffrir pour le nom de Jésus, ils chantaient. A quelque distance de la prison, Spinola entonna le Te Deum. Après le premier verset, comme la bienheureuse troupe, fatiguée de l'ascension, se taisait pour reprendre haleine, voici que du haut de la montagne tombèrent les paroles du second verset. Etonné, ému, Spinola apprend de ses guides que la prison était déjà pleine de chrétiens ayant à leur tête un fils de saint Dominique et un fils de saint François. Pendant quelques instants les deux chœurs alternèrent les versets sacrés en se rapprochant, jusqu'au moment où s'ouvrirent les portes de la prison. Alors les enfants des trois ordres apostoliques se précipitèrent dans les bras des uns des autres, en pleurant de joie et en se félicitant de mourir ensemble pour le Christ (1). »

Eloquent symbole qui en dit plus long sur le fond des cœurs que des piles d'in-folio. En veut-on un autre plus récent? Ce sera, par exemple, dans la prison de la Roquette, le Père Olivaint, aux pieds de Mer Darboy, partageant avec l'archevêque gallican, un adversaire de

(1) Panegyrique de saint Dominique, prononcé par le P. Steph. Coubé, le 4 août 1895, dans la chapelle des RR. PP. Dominicains de la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Paris. Quelquejeu. 1895.

la veille, ses petites provisions de prisonnier, et se préparant à la mort de demain.

Donc, querelles de théologiens, querelles de missionnaires, querelles d'érudits, tout cela fait beaucoup de bruit, et n'empêche pas de marcher au martyre, la main dans la main, et même de monter ensemble sur les autels.

De ces rivaux-là nous n'avons pas à parler ici, nous réservant d'y revenir plus tard. Mais il en est d'autres.

Il y a l'antijésuitisme savant, et il y a l'antijésuitisme populaire. Entre les deux, toutes les nuances, antijésuitisme de tribune ou antijésuitisme de journal, antijésuitisme littéraire et critique, romanesque et mondain, social et pédagogique.

On s'y perd; car ce qui s'est écrit de pamphlets contre la Compagnie de Jésus en trois siècles et demi est prodigieux anglicans et luthériens, parlementaires et jansénistes, philosophes et frères trois points, ont été sur ce sujet d'une fécondité inlassable. C'est que le Jésuite est un fantôme commode dont on se moque entre soi, mais qui, évoqué à point nommé, produit toujours son petit effet de terreur. Qui énumèrera les inventions saugrenues qui germent à certains moments en certaines cervelles surchauffées?

Les titres seuls sont parfois un peu drôles. Prenons au hasard :

Le guet des bons Pères Jésuites pour épier les actions des rois et princes chrétiens, 1621.

La sauterelle démasquée. Du puits de l'abysme sont sar

ties les sauterelles ayant des queues de scorpions et des aiguillons dans leurs queues, 1626.

Elixir Jesuiticum, sive quinta essentia Jesuitarum ex variis, imprimis pontificiis, authoribus, alembico veritatis extracta, etc., 1645.

Onguent pour la brûlure, ou secret pour empêcher les Jésuites de brûler les livres,... par Barbier d'Aucour, 1669. Les Jésuites marchands, usuriers, usurpateurs, et leurs cruautés dans l'ancien et le nouveau continent. La Haye, 1759.

Antiladrerie des Jésuites, 1759.

Le Jésuite Misopogon Séraphique, ou l'ennemi de la barbe des Capucins, par l'alguazil Don Diego, 1762.

Et ainsi, dans la Bibliographie historique de la Compagnie de Jésus, par le P. Carayon, pendant plus de cent pages, et la liste est fort incomplète (1).

Mais si les titres sont quelquefois curieux, le fond de ces pamphlets est terriblement monotone. On anéantirait toute cette littérature, que l'histoire ni les belleslettres n'y perdraient rien.

C'est chose piquante de suivre, d'àge en âge, la naissance et la déformation d'une légende, à mesure qu'elle passe à travers des esprits naïfs et populaires. On y sent au vif l'action de l'imagination non cultivée qui travaille sur une donnée plus ou moins historique, la simplifie, l'élargit et parfois en fait une épopée. Ici, rien de tel. L'épopée jésuitique est l'œuvre d'esprits qui ne sont rien moins que naïfs; elle est ennuyeuse et banale

(1 Exactement 153; mais la liste contient aussi les apologies.

comme le pire des poèmes épiques. Il faudrait être bien fort pour imaginer quelque chose de supportable et de prolongé, dans l'horrible mêlé au grotesque.

Quelques spécimens suffiront (les plus importants) pris, çà et là, pour donner une idée du genre. Le seul intérêt que nous puissions trouver à nous arrêter un instant sur ces folies, c'est de voir la haine de l'Eglise - car c'est l'Eglise qu'on attaque sous le couvert des Jésuites toujours semblable à elle-même à travers les âges, - à se déshonorer périodiquement par le.

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mensonge.

J'esquisserai donc l'évolution de l'antijésuitisme depuis ses origines, m'attachant surtout à la France. Je tâcherai de déterminer dans quelle atmosphère morale et intellectuelle s'est développée cette végétation touffue d'accusations et de mensonges. Impossible de fixer le plus souvent où, à quelle date, sous quelle plume, telle calomnie a été pour la première fois élaborée. A dire vrai, à quoi bon le rechercher? On peut du moins s'arrêter aux pamphlets les plus importants qui ont pris cette accusation et lui ont donné la vie. Il ne s'agit ni de résoudre tous les contes, ni d'aborder toutes les questions, ni d'épuiser celles que j'aborde. Pas une d'entre elles, qui, traitée comme elle le mérite, ne fournit matière à un volume. Je le répète, il ne s'agira le plus souvent que de mettre en marge de l'histoire classique des Jésuites des points d'interrogation, et de dire en deux mots la raison des doutes que l'on suggère.

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