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ordre une opinion exagérée : mais on ne cesse de s'occuper de lui; on lui fait l'honneur de le tenir pour redoutable, habile, influent; il mène tout, il fait tout, il est partout. Un livre est condamné à Rome? les Jésuites... Un professeur d'université est congédié pour enseignement suspect? les Jésuites... Un évêque reçoit un avertissement? les Jésuites... Dreyfus est condamné? les Jésuites... L'Eglise de France est persécutée? les Jésuites... Les congrégations sont supprimées? les Jésuites.....

Ils se croient nécessaires à l'Eglise, dit-on. Mais tous les écrivains hostiles à la papauté, affectent de ne voir qu'eux, et de les rendre, eux seuls, responsables des progrès de l'ultramontanisme depuis trois cents ans. S'ils ouvrent la correspondance de Voltaire, de d'Alembert et de Frédéric II, à toutes les pages ils liront ceci : « Le Jésuite détruit, ou aura vite raison du reste ». << Le Jésuitisme, écrivait Cuvillier Fleury, c'est tout ce dont on ne veut pas, tout ce qu'on hait : c'est ce qu'il y a de plus infâme et de plus vil, de plus fort et de plus saint, c'est l'Eglise tout entière (1). »

Les Jésuites, disent certains de leurs adversaires, sont, dans l'intérieur même de l'Eglise, l'élément obstinément rétrograde, tirant toujours dans le sens du passé, hostile à priori et par institution à tout progrès, à tout élargissement des horizons, traditionnel jusqu'à l'étroitesse, piétinant sur place, et anathématisant quiconque

(1) Cité par le P. de Ravignan, De l'Existence et de l'Institut des Jésuites, édit. 1857, p. 7.

veut aller de l'avant. Vrai ou faux, le reproche n'est pas pour donner grande vanité corporative : mais voici qui est étrange. « Toutes les fois je cite l'auteur d'une intéressante brochure sur les Universités allemandes, -toutes les fois qu'un théologien glisse vers l'hérésie, une Jésuitophobie aigüe se déclare chez lui. La haine de la Compagnie de Jésus est un des prodomes les plus significatifs de toute éruption schismatique. Cela est si vrai que, dès qu'un professeur d'Université commence à «< manger du Jésuite », il est prudent de contrôler son enseignement et d'examiner avec soin ses ouvrages. L'hérésie est proche. On peut être un excellent prêtre, parfaitement orthodoxe, et ne pas aimer la littérature, la théologie, l'exégèse ou la diplomatie des Jésuites. Mais quand cette réserve, ou même, si l'on veut, cette antipathie devient de la haine acrimonieuse, quand le S. J. agit sur un professeur comme le chiffon rouge sur le taureau, la défiance est parfaitement justifiée (1). » Le phénomène est curieux voilà trois cents ans qu'il dure. Depuis trois siècles les Jésuites vivent ainsi dans une atmosphère absolument spéciale. Si la situation a sa conséquence dans ce qu'il faut bien appeler la psychologie du Jésuite, je n'en serais pas autrement étonné. Ce qui m'étonne au contraire, après cela, c'est que, pris en corps, ou pris individuellement, les Jésuites n'aient pas plus de défauts réels qu'ils n'en ont.

(1) Kannengieser. Les origines du vieux catholicisme et les Universités allemandes, in-12, Paris, p. 196.

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III

Ce que je voudrais maintenant, dans ce travail, ce n'est pas précisément réfuter ce qui se colporte et se colportera longtemps encore contre les Jésuites. A quoi bon? D'autres l'ont fait cent fois, et cela n'empêche pas la calomnie d'aller son train. De temps à autre une réfutation paraît, c'est assez pour empêcher la prescription, pas assez pour enrayer le préjugé. Je ne m'interdirai pas cependant au passage d'essayer un bout d'apologie. Souvent je me contenterai, en face d'affirmations devenues classiques, et qu'on répète de livre en livre sur la foi des maîtres, de poser des points d'interrogation. Est-on bien sûr, mais absolument sûr de ce qu'on affirme? je dis, sûr de cette certitude qui suffit pour écarter même l'idée d'un procès à réviser. Je m'estimerais assez payé de ma peine si je parvenais à éveiller certains doutes rien que cela, dans quelques esprits réfléchis. Or, pour arriver à ce résultat, il suffit presque d'analyser les procédés de l'antijésuitisme, d'en faire l'analyse psychologique, de voir comment s'est formé, comment s'entretient et se renouvelle le mythe Jésuitique. Au fond la réponse n'est pas à chercher bien loin. Don Bazile l'a donnée, il y a longtemps, dans son fameux couplet : « La calomnie, Monsieur? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez : j'ai vu les plus honnêtes gens prêts d'en être accablés. Croyez qu'il n'y a pas de méchanceté, pas d'horreurs,

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pas de conte absurde qu'on ne fasse adopter aux oisifs. d'une grande ville en s'y prenant bien; et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit léger, rasant le sol comme l'hirondelle avant l'orage, pianissimo, murmure et file, et sème en courant le trait empoisonné. Telle bouche le recueille et piano, piano, vous le glisse adroitement. Le mal est fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando, de bouche en bouche, il va le diable; puis, tout à coup, ne sais comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'œil. Elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, éclate et tonne, et devient, grâce au ciel, un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y résisterait? » (1).

Il n'y a qu'un trait à effacer pour que cette spirituelle peinture devienne un abrégé, assez fidèle, de l'histoire de la Compagnie. C'est qu'avec les Jésuites, on ne fait pas tant de façon, et qu'on en vient toujours assez vite au forte et au fortissimo.

Si l'on cherche, pour plus de clarté, à classer par catégories ceux qui, de façon ou d'autre, se posent en adversaires ou en rivaux de la Compagnie de Jésus, peut-être se trouvera-t-on quelque peu embarrassé. Ce serait le cas de dire « Ils sont trop », et de toute nuance, depuis le calomniateur conscient, qui le premier a inventé que les Pères ont empoisonné Clément XIV, jusqu'à ceux qui taquinent leurs bons amis Jésuites,

(1) Barbier de Séville, act. II, sc. VIII.

uniquement parce que c'est une plaisanterie facile et de tradition; depuis l'esprit disciple qui, dans les articles de revue, thèses de doctorat, cours de faculté, va répétant les jugements traditionnels, jusqu'au journaliste qui a besoin d'un article à sensation et crée de toutes pièces une belle nouvelle... histoire de rire entre augures.

Des rivaux catholiques. je n'ai rien à dire; rivaux ou non, ce sont des frères. Les divisions les plus retentissantes ne cachent souvent qu'un malentendu. On veut nettement et sincèrement, de part et d'autre, le bien des âmes et la gloire de Dieu, on diffère sur les moyens. Parlant des « très subtils esprits », thomistes et molinistes, «< ils s'entendront toujours assez »>, disait saint François de Sales (1). Un qui fut ardent contre les Jésuites de Chine dans la controverse des rites, ce fut le dominicain espagnol Navarette. Ses rapports passionnés contribuèrent pour leur juste part à échauffer la dispute. Mais c'était un homme de Dieu. Quand, 1678, il fut nommé archevêque de Saint-Domingue, les Jésuites voulurent se retirer de son diocèse, craignant de lui être à charge. Il les conjura de rester; il fonda même pour eux un collège et une chaire de théologie. << Peu d'évêques ont parlé avec plus d'étendue de l'utilité que les pasteurs et les peuples peuvent retirer du ministère de la Compagnie de Jésus (2). »

en

(1) Ch. Aug. de Sales.

Paris 1870, t. II, p. 11.

Hist. du B. François de Sales,

(2) Feller. Dict. historique au mot Navarette.

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