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MELANGES

DE

LITTERATURE,,

D'HISTOIRE ET DE PHILOSOPHIE.

CHAPITRE PREMIER.

DES LANGUE S.

I

L n'eft aucune langue complette, aucune qui puiffe exprimer toutes nos idées & toutes nos fenfations; leurs nuances font trop imperceptibles & trop nombreufes. Perfonne ne peut faire connaître précifément le degré du fentiment qu'il éprouve. On eft obligé, par exemple, de défigner, fous le nom général d'amour & de haine, mille amours & mille haines toutes différentes; il en eft de même de nos douleurs & de nos plaifirs. Ainfi toutes les langues font imparfaites comme nous. Elles

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Elles ont toutes été faites fucceffivement & par degrés felon nos befoins. C'eft l'inftinct commun à tous les hommes qui a fait les premiéres grammaires fans qu'on s'en aperçût. Les Lapons, les Nègres, auffi - bien que les Grecs, ont eu befoin d'exprimer le paffé, le préfent, le futur; & ils l'ont fait. Mais comme jamais il n'y a eu d'affemblée de logiciens qui ait formé une langue, aucune n'a pû parvenir à un plan abfolument régulier.

Tous les mots dans toutes les langues poffibles font néceffairement l'image des fenfations. Les hommes n'ont pû jamais exprimer que ce qu'ils fentaient. Ainfi tout eft devenu métaphore, partout on éclaire l'ame, le cœur brûle, l'efprit voit, il compofe, il unit, il divife, il s'égare, il fe recueille, il fe diffipe.

Toutes les nations fe font accordées à nommer fouille, efprit, ame, l'entendement humain dont ils fentent les effets fans le voir, après avoir nommé vent, fouffle, efprit, l'agitation de l'air qu'ils ne voyent point.

Chez tous les peuples l'infini a été négation de fini; immenfité, négation de mefure. Il eft évident que ce font nos cinq fens qui ont produit toutes les langues, auffi - bien que toutes nos idées.

Les moins imparfaites font comme les loix : celles dans lefquelles il y a le moins d'arbitraire font les meilleures.

Les plus complettes font néceffairement celles des peuples qui ont le plus cultivé les arts & la focité. Ainfi la langue Hébraïque devait être

une

une des langues les plus pauvres, comme le peuple qui la parlait. Comment les Hébreux auraient-ils pû avoir des termes de marine, eux qui avant Salomon n'avaient pas un bateau? comment les termes de la philofophie, eux qui furent plongés dans une fi profonde ignorance jufqu'au tems où ils commencèrent à apprendre quelque chofe dans leur tranfmigration à Babylone? La langue des Phéniciens, dont les Hébreux tirèrent leur jargon, devait être très fupérieure, parce qu'elle était l'idiome d'un peuple industrieux, commerçant, riche, répandu dans toute la terre.

La plus ancienne langue connue doit être celle de la nation raffemblée le plus anciennement en corps de peuple. Elle doit être encor celle du peuple qui a été le moins fubjugué, ou qui l'ayant été a policé fes conquérans. Et à cet égard, il eft conftant que le Chinois & l'Arabe font les plus anciennes langues de toutes celles qu'on parle aujourd'hui.

Il n'y a point de langue mère. Toutes les nations voifines ont emprunté les unes des autres : mais on a donné le nom de languemère à celles dont quelques idiomes connus font dérivés. Par exemple le Latin eft langue-mère, par rapport à l'Italien, à l'Efpagnol, au Français mais il était lui-même dérivé du Tofcan; & le Tofcan l'était du Celte & du Grec.

Le plus beau de tous les langages doit être celui qui eft à la fois le plus complet, le plus fonore, le plus varié dans fes tours, & le plus régulier dans fa marche; celui qui a le

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plus

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