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Chassés de Venise en 1606, de Bohême en 1618, de Naples et des PaysBas en 1622, de l'Inde en 1623, de Russie en 1676, de France en 1764, d'Espagne en 1767, de Portugal en 1769, de Rome et de toute la chrétienté en 1773, condamnés solennellement par les peuples, par les rois et par les papes, démasqués, haïs et méprisés partout, les jésuites n'ont jamais cessé d'exister. On les frappe, ils se relèvent; ils défient et bravent les lois qui les proscrivent. Vaincus sans cesse, sans cesse ils recommencent la lutte. Aujourd'hui, ils seraient peut-être vainqueurs par surprise, si l'ardeur de quelques esprits impatients n'avait trahi trop tôt leurs projets de domination. Il y a un fait certain, évident, pour tout homme de bonne foi, et qui domine la querelle soulevée de nos jours, c'est la tyrannie que les jésuites exercent sur le clergé. Cette tyrannie, il faut la dévoiler, la rendre visible et palpable, pour qu'on ne puisse pas nous accuser d'envelopper dans une même et injuste réprobation, les bons et les mauvais, les innocents et les coupables. Si le clergé inférieur, si les prêtres des campagnes, ne protestent pas contre les miracles supposés, les médailles de la Vierge, et toutes les ridicules supersti

a

tions inventées pour abrutir le peuple, c'est qu'ils sont asservis, c'est qu'ils doivent obéir et se taire sous peine de mort. Ils sont complétement à la discrétion de leurs supérieurs, et leurs supérieurs sont les disciples de Loyola. Dans ce fait, on retrouve tout entier le véritable esprit, la politique constante et invariable de l'ordre de Jésus, le sens pratique des hommes et des choses qui de tout temps l'a distingué. Loyola a mis au monde une race éternelle de diplomates et d'hommes d'affaires qui, par la patience, la ruse, l'habileté consommée, ont tenu, tiennent et tiendront en échec les forces vives de la société. Ce grand penseur, ce profond sophiste a innoculé à l'humanité une maladie dont peut-être elle ne guérira jamais. Il n'y avait que le jésuitisme qui pouvait concevoir de nos jours l'idée de triompher encore une fois de la raison humaine, de la faire reculer de plusieurs siècles, de l'asservir à l'infaillibilité du pape, à sa puissance sur les choses temporelles. Certes, les chances de victoire n'étaient pas pour lui, il semblait qu'à la première rencontre, au premier choc, il devait être dispersé et anéanti.

Sa première tactique consista à se masquer, à se dissimuler. Il se tint derrière le clergé ; mais son allié lui-même était faible. En effet, sur quelle autorité s'appuyerait aujourd'hui le clergé? quels seraient ses titres et ses droits au recouvrement de ses priviléges et de son ancienne influence?

Sa parole était jadis un glaive; le glaive est passé en d'autres mains.

Il levait des armées : à sa voix, l'Europe entreprenait la conquête de l'Asie; il ne décide plus de la paix et de la guerre, son rôle est réduit à celui d'aumônier de régiment.

Les prêtres marchaient à la tête de la civilisation; ils en sont devenus les trainards.

Premiers dépositaires de la science, la science ne leur appartient plus ; elle leur a retiré le privilége des miracles, elle confond l'imposture de leurs prétendus prodiges.

La philosophie a proclamé la liberté de la pensée; ils se soumettent au jugement souverain et infaillible d'un homme.

C'était se représenter au combat avec des armes impuissantes, tirer des flèches rouillées contre le canon.

Il n'y a pas d'armée sans chef, point de soldats sans général. Le jésuitisme, pour posséder une milice. s'adressa à l'état-major du clergé. L'épiscopat fut embauché. Autrefois, les prêtres à charge d'àmes étaient inamovibles ; il fallait pour les destituer, pour les révoquer, un jugement canonique dans les formes. Louis XIV n'eût consenti à rendre les prêtres amovibles, que sous la condition que les évêques le seraient aussi. Les évêques ne voulurent pas de la réciprocité.

Cet état de choses qui garantissait l'indépendance, et avec l'indépendance la moralité du clergé inférieur, fut changé par Napoléon dans une intention politique. Parmi les articles organiques ajoutés au concordat, l'art. 31 déclare que:

« Les desservants sont approuvés par l'évêque et révocables par lui, » Le jésuitisme, habile à se servir de toutes les armes et de toutes les circonstances, fit ce qu'avait fait Napoléon : il s'empara des chefs, comme celui-ci s'en était emparé pour les rallier à sa cause. Dès lors il put entrer en campagne.

De tout temps les jésuites ont eu la prétention de dominer le clergé, d'exercer la police de l'Église. Cette accusation portée contre eux publiquement, en 1577, par Louis Dollé, avocat des curés de Paris, les frères Allignol viennent de la renouveler, avec autant de raison et de justice, contre l'épiscopat actuel, et on sait que par évêques il faut entendre jésuites.

« C'est avec un vif sentiment de tristesse, disent-ils, que nous nous résignons à descendre dans les profondeurs d'une situation dont le seul aspect nous met la rougeur sur le front, et nous serre le cœur; mais une conviction profonde qui nous fait voir l'honneur de l'Église, l'intérêt de la religion, celui de la société tout entière, compromis par cette situation fatale, ne nous permet plus de nous taire; le silence serait ici pour nous plus qu'une lâcheté, il serait une prévarication a. » Et quand ils déplorent la position fausse et humiliante (la révocation au gré de l'évêque) qui « paralyse l'influence du clergé inférieur, qui l'empêche de s'élever à la hauteur de sa mission et de se mettre au niveau des besoins actuels du peuple; » comment leur répond-on? on leur retire leurs cures, et les jésuites s'écrient par leur organe officiel : « A part quelques malheureux qui sont de mauvais prètres et qui auraient été de mauvais citoyens, le clergé inférieur ne se plaint nullement de la domination du haut clergé. »

Et notez que ces mauvais prêtres, ces hommes, que selon leur louable habitude, les jésuites insultent et calomnient, ont envoyé leur livre à Rome, que le pape l'a approuvé, et qu'il a condamné au contraire leurs persécuteurs par ces paroles :

« Je ne savais pas que les évêques de France fussent autant de papes. » Ainsi donc, si le clergé inférieur n'a pas l'influence qu'il devrait exercer par ses lumières, s'il se montre intolérant, ignorant, ce n'est pas lui qu'il faut en accuser. Il voudrait se mettre au niveau des besoins actuels du peuple: les jésuites, qui le tiennent asservi, ne le veulent pas.

Le jésuitisme avait aussi un autre auxiliaire, un autre allié, qui, s'il n'osait pas se déclarer pour lui ouvertement, n'avait garde de s'opposer à ses progrès. Cet allié, c'est le pouvoir.

Si les faits qui se sont passés et qui se passent sous nos yeux étaient consignés dans les livres des historiens, si au lieu d'appartenir à notre époque ils remontaient à quelques siècles, on aurait peut-être peine à comprendre, d'une part, l'audace et la ténacité d'un parti vaincu qui, le lendemain de sa défaite, essaye de parler en maître; de l'autre, la folie d'un pouvoir qui lie sa destinée à celle de ses plus dangereux ennemis, qui oublie qu'ils ont perdu la royauté et préparé la chute de la dynastie qui l'a précédé. C'est là pourtant ce qui est arrivé. Quelle en est l'explication?

Toutes les choses humaines sont soumises à une loi logique, impérieuse et inflexible. Aucun fait ne se produit isolément dans le monde, aucun germe, sain ou empoisonné, ne reste stérile. La gloire appelle la gloire et l'amour des grandes choses; le mensonge engendre le mensonge, la corruption naît de la corruption. Partout où il y a un cadavre, les loups et les corbeaux arrivent pour le dévorer. Les rhéteurs et les sophistes se sont précipités sur l'empire romain penchant vers sa ruine, et ont achevé de l'énerver et de le mettre en lambeaux; les sophistes modernes, aussi âpres à la curée, ont flairé

la proie qu'on leur livrait, et sont accourus par troupeaux malfaisants. Le jésuitisme et le pouvoir devaient en se rencontrant, se reconnaître, se saluer, et se comprendre. Le second préparait le terrain au premier, et rendait sa tâche plus facile; il cherchait à étouffer dans la nation les instincts expansifs et généreux qui de tout temps ont fait sa force et sa puissance : il lui défendait le dévouement, la pitié pour les malheurs des autres, il la dressait à devenir patiente aux injures, insensible aux affronts; il la parquait dans l'immobilité et dans l'égoïsme, il lui soufflait la peur, il lui disait d'adorer le veau d'or, et de crainte d'un retour à ses nobles souvenirs, il la garrottait pendant son sommeil, et l'emprisonnait dans une ceinture de pierres et de canons. Mais tout n'était pas encore consommé : les visages gardaient encore leurs masques. Enfin, la trahison en vint à faire son apologie, à prononcer son panégyrique, à se glorifier à la tribune; elle se vanta d'avoir été chercher à l'étranger le SOL MORAL DE LA PATRIE. Alors le jésuitisme put croire que son heure était arrivée, et que, puisque cet impudent sophisme valait à son inventeur les plus hautes dignités de l'État, et l'honneur de le représenter et de le défendre à l'extérieur, il pouvait bien demander qu'on lui livrat l'enseignement de la jeunesse, lui qui avait aussi inventé des sophismes pour excuser le vol, l'adultère et le meurtre.

Oui, les doctrines impies de l'intérêt matériel, la démoralisation envahissant successivement comme une lèpre toutes les classes de la société, le succès offert partout et toujours comme l'excuse et la justification de toute action, ont servi les jésuites, comme les jésuites de leur côté, servaient un pouvoir corrupteur. L'obéissance passive, règle fondamentale de leur institution, l'obéissance au supérieur qui va jusqu'à faire de l'homme un cadavre, un bâton dans la main d'un vieillard; leur hiérarchie serrée, leur discipline inexorable, étaient un bon exemple à offrir à un peuple d'agioteurs, de commis et de fonctionnaires révocables à volonté : c'était le complément des lois de septembre et des fortifications.

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Le jésuitisme rencontra des cœurs malhonnêtes tout prêts à adopter ses maximes i les enrôla sans détours, sans précautions. Il trouva des cœurs honnêtes, mais faibles, déçus dans leurs espérances, fatigués de la corruption éhontée qui s'étalait autour d'eux, gémissant au spectacle des bassesses et des lâchetés qui triomphaient sous leurs yeux; il les attaqua de biais, il rusa, il mentit pour s'emparer de ces convictions incertaines et flottantes. Aux mondains, aux ambitieux, il prêcha le succès; aux dévots, il vendit des médailles et des miracles: l'argent et ses jouissances aux uns, la superstition et ses rêveries aux autres.

Le calcul était excellent, l'association eût été féconde, surtout pour les révérends pères, s'ils avaient agi avec leur prudence ordinaire, et attendu pour dominer le pouvoir qu'ils l'eussent attiré, enlacé et compromis au point de ne plus être maître de séparer sa cause de la leur. Le pouvoir voulait bien qu'on l'aidat à remporter la victoire; mais, la victoire gagnée, il prétendait se faire, dans le partage des dépouilles, la part du lion. Il s'était allié, mais non asservi, car la foi lui manque; il est philosophe, voltairien, protestant, tout, excepté catholique fervent et aveugle; il ne va pas à la messe, il n'a pas de confesseur; il sait ce qu'est le jésuitisme, le jésuitisme n'a pas su ce qu'est

le pouvoir. C'est là sa faute, la première peut-être de ce genre qu'il ait commise depuis sa fondation, mais elle est grave. L'esprit politique de Loyola et de ses disciples, leur habileté pratique, s'obscurcit et se perd: c'est un symptôme de décadence.

Le pouvoir avait livré au jésuitisme la société pour la diviser, la corrompre et l'abrutir; il lui avait laissé la seconde place, mais il gardait pour lui la première. La société de Jésus ne traite pas sur ce pied-là. Les impatients ont fait entendre des menaces. Ces menaces, qui les a relevées ? qui a répondu à ces insolences? Le pouvoir auquel elles s'adressaient? Oh! non pas, c'eût été entrer en lutte, et l'on sait qu'il est pacifique, qu'il a horreur de la guerre; il s'est tenu coi, il a fait l'insensible et le mort, comme s'il se fùt agi d'un soufflet donné par l'Angleterre. Mieux avisé que les jésuites, il a détourné sur eux l'orage qu'ils amoncelaient sur lui; il avait très-bien compris qu'il devait se borner à les laisser faire, il comprit parfaitement aussi qu'ils se perdaient en révélant leur existence, et il se contenta, pour toute défense, de les abandonner à la haine et à la vindicte publiques. Ce qu'il avait prévu arriva.

Un cri d'alarme, un cri universel de réprobation se fût élevé si les jésuites avaient demandé le monopole de l'enseignement. Ils inscrivirent sur leur drapeau le mot de liberté. C'était, de leur part, un travestissement complet; mais ils sont si bien connus, que personne n'en fut dupe. Cependant, la manœuvre était habile, elle leur permettait d'embrouiller la question, de confondre deux choses distinctes, l'éducation que la jeunesse reçoit de l'université, et la direction qu'elle reçoit en entrant dans le monde. Un des malheurs de notre époque, un des fruits les plus amers de la corruption, le plus dangereux peut-être, parce qu'il compromet l'avenir, est le manque d'enthousiasme de la jeunesse. Chez elle, le calcul a remplacé l'inspiration, la sécheresse de cœur a tué les impressions naïves et généreuses, partage des belles années de la vie; on commence sa fortune à vingt ans, on veut l'avoir faite à vingt-cinq, per fas et nefas. Les jésuites disent : Voilà les hommes que la génération forme et que prépare le pouvoir par ses exemples et ses maximes, ce qui est vrai; et ils ajoutent : Par ses leçons, c'est-à-dire par l'enseignement de l'université, ce qui est faux. Ce n'est pas l'enseignement qui est mauvais, insuffisant, impie, comme ils affectent de le répéter; c'est la société qui est corrompue, viciée, et qui n'offre à suivre que des modèles d'égoïsme.

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La haine du jésuitisme est si profonde en France, qu'elle a recruté au pouvoir des défenseurs, mème parmi ses adversaires les plus décidés qui, en toute autre circonstance, ne l'avertiraient pas de ses fautes. Ce sont eux qui l'ont poussé à se défendre. Mais le souvenir de l'alliance tacite le lie et l'engage; il a tant fait de mécontents, il a inspiré tant de défiances, il s'est si bien appliqué à se rendre impopulaire, et il y a si complétement réussi, qu'il a besoin de ménager tout le monde, ses ennemis comme ses amis. Et puis, qui parlera en son nom? Quels sont ses avocats? Des hommes également compromis, sans autorité morale : à l'un, l'état de siége; à l'autre, les lois de septembre; celui-ci a élevé les bastilles nouvelles et fait rentrer la flotte, celui-là a désavoué nos amiraux; tous ont trempé dans l'œuvre commune d'abaissement et d'asservissement. De tels adversaires ne sont pas bien ardents, bien re

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