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niere de celui que nous éprouvons; & n'imitons point ces Philofophes dont parle Montagne, qui interrogés fur le principe des actions humaines, cherchent encore s'il y a des hommes. Loin de vouloir répandre des nuages fur une vérité reconnue des Sceptiques mêmes lorfqu'ils ne difputent pas, laiffons aux Métaphyficiens éclairés le foin d'en développer le principe: c'eft à eux à déterminer, s'il eft poffible, quelle gradation obferve notre ame dans ce premier pas qu'elle fait hors d'elle-même, pouffée, pour ainfi dire, & retenue tout à la fois par une foule de perceptions, qui d'un côté l'entraînent vers les objets extérieurs, & qui de l'autre n'appartenant proprement qu'à elle, femblent lui circonfcrire un efpace étroit dont elles ne lui permettent pas de fortir.

De tous les objets qui nous affectent par leur présence, notre propre corps eft celui dont l'exiftence nous frappe le plus, parce qu'elle nous appartient plus intimément : mais à peine fentonsnous l'existence de notre corps, que nous nous appercevons de l'attention qu'il exige de nous, pour écarter les

dangers qui l'environnent. Sujet à mille befoins, & fenfible au dernier point à l'action des corps extérieurs, il feroit bientôt détruit, fi le foin de fa conservation ne nous occupoit. Ce n'est pas que tous les corps extérieurs nous faffent éprouver des fenfations defagréables; quelques-uns femblent nous dédommager par le plaifir que leur action nous procure. Mais tel eft le malheur de la condition humaine, que la douleur eft en nous le fentiment le plus vif; le plaifir nous touche moins qu'elle, & ne fuffit prefque jamais pour nous en confoler. En vain quelques Philofophes foûtenoient cris au milieu des fouffrances, que la douleur n'étoit point un mal : en vain quelques autres plaçoient le bonheur fuprême dans la volupté, à laquelle ils ne laiffoient pas de fe refufer par la crainte de fes fuites: tous auroient mieux connu notre nature, s'ils s'étoient contentés de borner à l'exemption de la douleur le fouverain bien de la vie préfente, & de convenir que fans pouvoir atteindre à ce fouverain bien, il nous étoit feulement permis d'en approcher plus ou moins, à proportion de nos

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en retenant leurs

foins & de notre vigilance. Des réflexions fi naturelles frapperont infailliblement tout homme abandonné à lui-même, & libre de préjugés, foit d'éducation, foit d'étude : elles feront la fuite de la premiere impreffion qu'il recevra des objets; & on peut les mettre au nombre de ces premiers mouvemens de l'ame, précieux pour les vrais fages, & dignes d'être obfervés par eux, mais négligés ou rejettés par la Philofophie ordinaire, dont ils démentent prefque toujours les principes.

La néceffité de garantir notre propre corps de la douleur & de la deftruction, nous fait examiner parmi les objets extérieurs, ceux qui peuvent nous être utiles ou nuifibles, pour rechercher les uns & fuir les autres. Mais à peine commençons-nous à parcourir ces objets, que nous découvrons parmi eux un grand nombre d'êtres qui nous paroiffent entierement femblables à nous c'est-à-dire, dont la forme est toute pareille à la nôtre, & qui, autant que nous en pouvons juger au premier coup d'œil, femblent avoir les mêmes perceptions que nous : tout nous porte donc à penfer qu'ils ont auffi les mêmes be

eux pour

foins que nous éprouvons, & par conféquent le même intérêt à les fatisfaire; d'où il réfulte que nous devons trouver beaucoup d'avantage à nous unir avec démêler dans la nature ce qui peut nous conferver ou nous nuire. La communication des idées eft le principe & le foûtien de cette union, & demande néceffairement l'invention des fignes; telle eft l'origine de la formation des fociétés avec laquelle les langues ont dû naître.

Ce commerce que tant de motifs puiffans nous engagent à former avec les autres hommes, augmente bientôt l'étendue de nos idées & nous en fait naître de très-nouvelles pour nous, & de très-éloignées, felon toute apparence, de celles que nous aurions eues par nous-mêmes fans un tel fecours. C'eft aux Philofophes à juger fi cette communication réciproque, jointe à la reffemblance que nous appercevons entre nos fenfations & celles de nos femblables, ne contribue pas beaucoup à fortifier ce penchant invincible que nous avons à fuppofer l'existence de tous les objets qui nous frappent. Pour me renfermer dans mon fujet, je remarquerai

feulement que l'agrément & l'avantage que nous trouvons dans un pareil commerce, foit à faire part de nos idées aux autres hommes, foit à joindre les leurs aux nôtres, doit nous porter à refferrer de plus en plus les liens de la fociété commencée, & à la rendre la plus utile pour nous qu'il eft poffible. Mais chaque membre de la fociété cherchant ainfi à augmenter pour lui-même l'utilité qu'il en retire, & ayant à combattre dans chacun des autres un empreffement égal au fien, tous ne peu vent avoir la même part aux avantages, quoique tous y ayent le même droit. Un droit fi légitime eft donc bientôt enfreint par ce droit barbare d'inégalité, appellé loi du plus fort, dont l'ufage femble nous confondre avec les animaux, & dont il eft pourtant fi difficile de ne pas abuser. Ainfi la force donnée par la nature à certains hommes, & qu'ils ne devroient fans doute employer qu'au foûtien & à la protection des foibles, eft au contraire l'origine de l'oppreffion de ces derniers. Mais plus l'oppreffion eft violente plus ils la fouffrent impatiemment parce qu'ils fentent que rien n'a dû

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