5 D A GUMENT E LIVRE DE L'ÉNÉIDE. ÉNÉE, faifant route vers l'Italie, est forcé par la tempête d'aller relácher en Sicile, dans un port du Roi Aceste fon ami. Il y célebre l'anniverfaire de la mort d'Anchife par des jeux publics. Tandis qu'il eft occupé à ces exercices, Junon fait defcendre Iris vers les P. VIRGILII LIBER QUINTUS. Certus iter, fluctufque atros Aquilone fecabat : Polluto, notumque, furens quid fœmina possit, Ut pelagus tenuêre rates, nec jam ampliùs ulla 1 Par medium iter, il faut entendre le golphe, au fond duquel Carthage étoit bâtie. C'étoit le trajet mitoyen qui féparoit la ville de la haute mer. femmes Troyennes qui étoient fur le rivage. Iris, fous la forme de Béroé, les exhorte à brûler leurs vaiffeaux, afin de forcer Enée à fe fixer en Sicile. Elles fuivent ce confeil. Enée, informé de ce qui fe paffe, accourt avec tous les Troyens. Il invoque Jupiter. Une pluie furvient, qui éreint le feu & fauve la flotte, à l'exception de quatre vaiffeaux. L'ombre d'Anchife apparoît à fon fils, & le détermine à fuivre le confeil que lui a donné Nautés, de laiffer en Sicile les femmes, les vieillards & tous ceux qui étoient las de le fuivre. Elle lui ordonne enfuite d'aller, auffi-tôt qu'il fera arrivé en Italie, confulter la Sybille, & de defcendre aux enfers, où il apprendra la destinée de fa postérité. L'ÉNÉ IDE LIVRE CINQUIEME. CEPENDANT Enée déterminé à fuivre fa route, voguoit au milieu du golphe (1), & fendoit les flots foulevés par l'Aquilon. Comme il tournoit encore les yeux vers Carthage, la flamme du bûcher de l'infortunée Didon, lui fit paroître la ville tout en feu. Il en ignore la caufe. Mais comme tout le monde fait jufqu'où peuvent aller le défefpoir de l'amour trahi & la rage d'une femme, les Troyens tirent de triftes conjectures de ce fpectacle. Dès que la flotte eut gagné la pleine mer, que la terre eut difparu & qu'on ne vit plus que ΤΟ Olli cæruleus fuprà caput aftitit imber, Noctem hyememque ferens ; & inhorruit unda tenebris. Heu! quianam tanti cinxerunt æthera nimbi ! (25 35 At procul excelfo miratus vertice montis 2 Érix, felon la fable, étoit fils de Vénus, auffi-bien qu'Ènéc. ciel & eau, tout-à-coup une épaiffe nuée obfcurcit l'air, & répandit avec la pluie des ténebres fur la furface de l'onde. Alors Palinure, du haut de la pouppe, s'écria: ah! quel affreux nuage couvre l'horizon! Puiffant Neptune, de quelle tempête nous ménacezvous? Il dit; puis il fit plier les voiles, recourir à la rame & prendre le vent de biais. Enfuite il adreffa ces paroles à Enée. Non, Seigneur, non, quand Jupiter lui-même me promettroit de nous faire arriver en Italie par le tems qu'il fait, je ne l'en croirois pas. Les vents ont changé; ils viennent du couchant nous battre en travers, & raffemblent les nuées fur nos têtes. Il n'eft pas poffible de leur réfifter, & de tenir contre leurs efforts. Cédons à la fortune, puifqu'elle eft la plus forte, & allons où elle nous appelle. Si ma mémoire me repréfente exactement les aftres que j'ai obfervés, les rivages d'Erix votre frere (2), & les ports de Sicile ne font pas bien éloignés. Je vois bien, répondit Enée, que les vents nous le commandent, & que vainement vous luttez contre eux. Faites voile de ce côté. Quel pays au monde peut offrir à mes vaiffeaux fatigués, un afyle qui me foit plus agréable que cette terre où je trouverai Aceste qui eft du fang Troyen, & où repofent les cendres de mon pere. Il n'eut pas achevé, qu'on fit route vers les ports de Sicile, avec un vent favorable. La flotte fendit les eaux avec vîteffe, & bientôt les Troyens aborderent joyeusement fur des rivages qu'ils connoiffoient. 2 Auffi-tôt qu'Acefte, du haut d'une montagne, eut vu fes amis entrer dans le port, il vint au-devant d'eux, vétu négligemment en chaffeur. Il portoit à la main des dards, & il étoit ceint d'une peau d'ours. Troia Crinifo conceptum flumine mater Quem genuit. Veterum non immemor ille parentum. 40 Gratatur reduces, & gazâ lætus agrefti Excipit, ac feffos opibus folatur amicis. 1 |