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Si l'on croyoit d'abord que vous fussiez établie auprès de moi, on ne sauroit (quand même je serois une bien plus grande dame) de quelle manière on devroit traiter avec vous, les uns pourroient vous croire ma propre fille, les autres ma complaisante, etc., et sur cela faire des commentaires impertinens. Il faut donc que l'on connoisse votre mérite, et vos agrémens avant toute autre chose, c'est à quoi vous parviendrez aisément, aidée de mes soins, et de ceux de mes amis, mais il faut vous préparer à supporter patiemment l'ennui des premiers

tems.

Il y a un second article sur lequel il faut que je m'explique avec vous, c'est que le moindre artifice, et même le plus petit art que vous mettriez dans votre conduite avec moi me seroit insupportable; je suis naturellement défiante, et tous ceux en qui je crois de la finesse, me deviennent suspects au point de ne pouvoir plus prendre aucune confiance en eux. J'ai deux amis intimes, qui sont Formont et d'Alembert; je les aime passionnément, moins par leurs agrément, et par leur amitié pour moi, que par leur extrême vérité. Je pourrois y ajouter Devreux*, (parce que le vrai mérite rend

Her femme de chambre.

tout égal) et que je fais par cette raison plus de cas d'elle, que de tous les potentats de l'univers. Il faut donc, ma Reine, vous résoudre à vivre avec moi avec la plus grande vérité et sincérité, ne jamais user d'insinuation, ni d'exagération, en un mot de ne vous point écarter. et de ne jamais perdre un des plus grands agrémens de la jeunesse, qui est la naïveté. Vous avez beaucoup d'esprit, vous avez de la gaîté, vous êtes capable de sentimens; avec toutes ces qualités vous serez charmante, tant que vous vous laisserez aller à votre naturel, et que vous serez sans prétention et sans entortillage.

Je ne doute point de votre désintéressement, et c'est une raison de plus pour moi de faire pour vous tout ce qui sera en mon pouvoir.

Quand vous aurez vu M. D. vous me rendrez compte du résultat de votre conversation. Jusqu'à ce que j'en sois instruite, je n'ai rien à vous dire de plus.

Devreux m'a montré la lettre que vous lui avez écrite, elle est remplie d'amitié, mais la quantité de Mademoiselles que vous y avez placée est une espèce d'annullant. Vous me trouverez bien épilogueuse, mais je vous jure que je ne le suis sur rien, excepté sur ce qui altère la sincérité; mais sur cet article, je suis

sans miséricorde. Adieu, ma Reine; vous pouvez montrer cette lettre à notre ami, je ne lui cache rien de ce que je pense.

Madame du Deffand à Mademoiselle de
Lespinasse.

Paris, 29 Mars, 1754. JE reçois dans ce moment votre lettre du 26, en réponse à la mienne du 20; ce fut le lendemain de cette dernière lettre, que je fus informée de la résolution où mon frère étoit d'écrire à Mad. de Luynes, comme je vous l'ai mandé, je fus fort fâchée d'avoir fait partir ma lettre pour vous, je trouvai cruel de vous avoir donné des espérances si prochaines, tandis que l'affaire n'étoit point encore absolument décidée; ; je n'ai point encore envoyé ma lettre à Mad. de Luynes, j'attends pour cela que le Président Hénault soit à Versailles, je lui écrirai à lui une lettre ostensible, qui servira de supplément à celle de Mad. de Luynes; j'insiste beaucoup. sur la demande de neutralité, je ne saurois croire qu'elle me refuse; enfin si ce contre-tems.

nous arrivoit, j'aurois recours à M. le Cardinal de Tencin pour la persuader. Je vous recommande, ma Reine, de ne laisser pénétrer vos projets par personne, il est très-essentiel que nous ne soyons pas prévenus. Une grâce que j'ai encore à vous demander (et qui est la plus importante de toutes) c'est de ne point penser à venir auprès de moi, si vous n'avez pas parfaitement oublié qui vous êtes, et si vous n'êtes pas dans la ferme résolution de ne jamais penser à changer d'état; il y auroit de la perfidie à faire usage de mon amitié pour me couvrir de honte, m'exposer aux reproches de tous les honnêtes gens, et à me rendre l'ennemie irréconciliable de toute ma famille; a plus petite tentative que vous pourriez faire étant auprès de moi seroit un crime irrémissible. J'espère, ma Reine, que vous n'avez pas besoin de vous consulter de nouveau, il y a long-tems que vous m'avez promis tout ce que je pouvois désirer sur cet article; je suis dans la plus parfaite certitude que toutes vos entreprises seroient vaines, mais il ne seroit pas moins affreux pour moi que vous en fissiez aucune, et je vous le répète, je ne vous le pardonnerois jamais ; écrivez-moi sur cela une lettre que je puisse faire

voir à Mad. de Luynes, s'il en étoit besoin. M. de Macon est à Versailles, il n'en reviendra, je crois, que demain; il ne se veut mêler de rien, et il a raison, c'est un très-bon ami, j'en suis on ne peut pas plus contente, à ses colères près, qui nuisent beaucoup à la conversation, il prétend que c'est moi qui m'emporte; tout cela ne fait rien quand on finit par être d'accord.

Adieu, ma Reine, ne faites point de noir, j'espère que dans le courant du mois de Mai nous serons contentes l'une, et l'autre, et l'une, de l'autre.

'Madame du Deffand à Mademoiselle de Lespinasse.

J'AI enfin pris ma résolution, ma Reine, d'écrire à Mad. de Luynes; vous trouverez sans doute que je suis assez vieille pour ne devoir pas avoir besoin de permission; mais j'aime beaucoup Mad. de Luynes, elle me marque de la bonté et elle est très-raisonnable, d'ailleurs je connois trop bien Mad. de Vichy pour croire qu'elle

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